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Trap

Un film de M. Night Shyamalan

Quelques semaines à peine après la sortie du premier long-métrage de sa fille Ishana Night Shyamalan (l’intéressant Les Guetteurs), M. Night Shyamalan refait parler de lui, avec ce thriller efficace qui joue avec les codes du genre.


Comparé aux nombreux coups d’éclat de la filmographie du réalisateur -une quinzaine de longs-métrages- Trap prend le risque de faire pâle figure. Il suffit en effet de se rappeler de Sixième Sens, Incassable, Signes, Le Village, The Visit, Split, et plus récemment Old pour réaliser qu’à chacune de ses histoires il a tenu à promener son auditoire au cœur d’un environnement de prime abord familier, ou du moins balisé, avant de le confronter à l’envers du décor dans sa dernière partie. Trap ne fait pas partie de ces films à rebondissements, il n’y a pas de révélation spectaculaire juste avant la conclusion. La narration, linéaire, ne suit pas de faux-semblants, et le piège (trap en anglais) dont il est ici question est mis en place, exécuté et adapté sous nos yeux jusqu’à un final qui, s’il ne révèle pas de grosse surprise, n’en est pas moins sympathique.

Pour le dernier concert de la tournée de la méga pop star Lady Raven, Cooper Abbott (Josh Hartnett) emmène sa fille Riley (Ariel Donoghue), fan inconditionnelle de l’artiste. Le père tient à récompenser sa fille pour ses bonnes notes, et à partager un bon moment de détente avec elle. Sur la route, Cooper et Riley s’en donnent à cœur joie, la gamine chantant à tue-tête les tubes de son idole sous le regard attendri de son père. Arrivé sur place, Cooper réalise qu’un nombre important de membres des forces de l’ordre est déployé dans l’enceinte et aux abords de la salle de concert. Il observe cela machinalement, étonné au départ, puis semblant de plus en concerné. Cela ne l’empêche pas de profiter de la présence de sa fille adorée. Prêt à tout pour que cette journée soit inoubliable, il ne la quitte pas d’une semelle. Tout au moins au début. Au hasard d’une conversation avec un vendeur de tee-shirts, il va apprendre que le concert fait partie d’un dispositif visant à appréhender un célèbre tueur en série, « Le Boucher », le FBI disposant d’une information indiquant que celui-ci serait présent au concert.
Révélation qui n’en est pas une (la bande-annonce ne laissait que peu de doutes), Cooper est « Le Boucher », c’est la raison pour laquelle il prête une grande attention aux mouvements de la police. Au fil du concert, celle-ci interpelle de nombreux suspects, sur la base d’informations fournies par une experte du profilage dépêchée sur place. Comprenant qu’il ne lui reste que peu de temps avant d’être démasqué, Cooper va alors tout tenter pour se sortir de la toile dans laquelle il est piégé, tout en essayant de garder le change auprès de sa fille.

Si Trap ne se présente pas comme les histoires auxquelles M. Night Shyamalan nous a habitués, cela n’empêche pas au film de faire son petit effet. Le ressort de l’intrigue étant rapidement dévoilé, le réalisateur se concentre sur son personnage principal. Un être plein de ressources, très observateur et sociable, qui se fond dans la foule. Pour interpréter ce psychopathe aux grandes capacités d’adaptation le réalisateur a choisi le comédien Josh Hartnett. Connu pour ses rôles dans The Faculty, Pearl Harbour, Sin City, La Chute du Faucon Noir, Le Dahlia Noir, Slevin, ou encore la série Penny Dreadful, le comédien se régale dans le rôle de Cooper Abbott. En bon père de famille à la double personnalité il excelle, tour à tour cool, affectueux, souriant, ou calculateur, froid, brutal. Face à lui dans le rôle de Lady Raven, Saleka Shyamalan s’avère moins convaincante. Plus à l’aise dans la chanson, la jeune artiste a composé l’intégralité des morceaux interprétés dans le film, mais peine à convaincre dans les scènes auxquelles elle participe en seconde partie. Ce qui a d’ailleurs fait dire à certaines mauvaises langues que Trap était en fait une plateforme musicale mondiale déguisée en film réalisé par M. Night Shyamalan, et destiné à promouvoir la carrière musicale de sa fille.

Le réalisateur s’en est défendu, en expliquant avoir voulu créer une œuvre mêlant musique et action, comme peut le faire le cinéma à Bollywood. L’explication tient la route, même si les amateurs du cinéaste ne sont pas forcément habitués à ce genre de mélange et pouvaient s’attendre à un récit moins conventionnel. Trap n’est pas aussi virtuose que certains longs-métrages de M. Night Shyamalan, il offre tout de même un agréable moment passé aux côtés de son inquiétant personnage principal.

Jérôme Magne

Sans un bruit : jour 1

Un film de Michael Sarnoski

Six années après le très bon premier film imaginé et mis en scène par John Krasinski (qui en d’ailleurs a fait une suite tout aussi efficace deux années plus tard), l’histoire est envisagée sous un nouveau jour, celui où les effrayantes créatures ont atterri sur notre belle planète.


John Krasinski est toujours derrière l’histoire, mais c’est aujourd’hui Michael Sarnoski (Pig, son sympathique premier long-métrage, mettait en scène Nicolas Cage à la recherche de son cochon dénicheur de truffes) qui met son scénario en image. Le concept est ici légèrement différent, dans la mesure où nous ne suivons pas des individus ou groupes s’efforçant de survivre à une menace désormais bien connue et installée, mais assistons à l’arrivée (pas vraiment expliquée) des aliens par les airs, le jour où ils s’abattirent sur New York. Les premières images donnent le ton, comme pour faire ressortir le contraste avec la situation ultérieure : New York en début de journée, un bruit incessant, une activité grouillante, une énergie impalpable, un lieu où le silence ne peut exister. Et pourtant, il suffira de quelques traînées de feu dans le ciel et de quelques explosions au sol pour que tout soit profondément changé.

Nous faisons la connaissance de Sam, une jeune femme poète, soignée dans la banlieue dans un centre de soin palliatifs pour patients atteints de cancers. Acerbe et prête à tout pour aller manger une bonne pizza, elle accepte l’offre de Reuben (un infirmier avec lequel elle s’entend bien) de se rendre à New York pour assister à un spectacle à Manhattan, et de passer ensuite récupérer sa pizza avant de retourner au bercail. La sortie sera de courte durée, très vite le petit groupe devra se rassembler pour prendre le chemin du retour suite à des informations inquiétantes. Problème : le centre-ville deviendra un abattoir à ciel ouvert avant qu’il puisse le faire.

Michael Sarnoski filme sa menace comme son prédécesseur : dans un premier temps, on ne distingue pas les créatures, ou très peu (New York étant recouverte d’une épaisse couche de poussière/fumée lié à la chute des météorites et des incendies que celles-ci ont provoqué). Ce n’est qu’après plusieurs scènes qu’elles apparaissent, tout d’abord partiellement, puis dans toute leur laideur. Cohérence scénaristique oblige, leur apparence n’a pas été modifiée. Elles sont toujours autant longilignes, rapides et puissantes, aveugles et dotées d’une ouïe sur-développée. La ville dévastée s’est vidée de ses habitants, les survivants de la première heure se sont terrés dans les bâtiments dans l’attente d’instructions des autorités. Celles-ci ne tarderont pas, les survivants doivent se rendre aux principaux embarcadères de Manhattan, les ponts reliant l’île au reste de la ville ayant été détruits par l’armée américaine afin d’isoler la menace. Là, des bateaux viendront les récupérer pour les mettre en lieu sûr.

Sam va rencontrer Eric, un jeune étudiant anglais et faire un bout de chemin avec lui. Michael Sarnoski filme les scènes que les deux personnages partagent avec beaucoup de sensibilité, malgré la contrainte technique liée à l’absence de bruit. Ce duo réunit par les événements, bien que composé de personnalités aussi dissemblables que possible (Sam est courageuse, Eric beaucoup moins) va traverser les épreuves et réaliser le destin qu’il s’est finalement choisi. Au détour de quelques jolis épisodes (lorsque Sam et Eddie partagent une pizza, avant que le premier surprenne la seconde avec des tours de cartes, au cœur d’un piano bar désert et épargné par les flammes), les deux survivants arrivent à se connaître et s’apprécier. Et feront un bout de chemin ensemble.

Successeur de John Krasinski, Michael Sarnoski adapte l’histoire imaginée par son confrère sous un angle peut-être un peu moins frappant, moins effrayant. Sans un bruit : jour 1 n’en est pas moins un film émouvant, spectaculaire quand il le faut, basé autant sur la menace extra terrestre, saisissante, que sur le lien unissant les rescapés. Pour ceux qui découvrent aujourd’hui l’histoire, Sans un bruit : jour 1 est l’occasion de se plonger dans le concept en regardant Sans un bruit (2018), et sa suite, Sans un bruit 2 (2020).

Avant d’y revenir prochainement, un jour 2 étant prévu en 2025…

Jérôme Magne

Roqya

Un film de Saïd Belktibia

Basé autour de souvenirs d’enfance de son metteur en scène, Roqya est un film qui mêle plusieurs genres. Le thriller y côtoie le fantastique, au cœur d’une chasse à la sorcière éprouvante.


Présenté il y a quatre mois hors compétition au 31ème Festival International du Film Fantastique de Gérardmer, le film y a reçu un accueil plutôt chaleureux. Dans cette histoire de persécution que subit une jeune maman élevant seule son fils, Saïd Belktibia a mis des souvenirs de son enfance agitée. A l’époque, sa mère le pensait habité par un esprit maléfique (un djinn), et avait justement eu recours à la roqya, cette médecine prophétique se rapprochant de la sorcellerie dans sa manière d’aborder les maladies occultes telles la possession.

L’élément surnaturel justifiait donc la présence du long-métrage dans la prestigieuse manifestation vosgienne, même si les autres facettes (thriller, drame social) étaient tout autant présentes.
Invité sur la grande scène de l’Espace Lac avec deux de ses comédiens, Saïd Belktibia s’était exécuté de bonnes grâces, promettant au public son lot d’émotions fortes. La suite allait lui donner raison, le film ne donnant pas une seconde de répit au spectateur sur sa durée (90 minutes). Après une courte introduction à base d’extraits de films et documentaires tirés de l’Histoire nous expliquant l’évolution de la sorcellerie et sa perception à travers les âges, nous rencontrons l’héroïne, Nour, interprétée par la toujours très juste Golshifteh Farahani.

Nour vit de contrebande d’animaux exotiques. Elle parcourt le monde à leur recherche et les revend autour de chez elle, dans les banlieues de Paris, à des rebouteux pratiquant la roqya. Très populaires, ces guérisseurs supposés ont en effet besoin d’ingrédients, plantes et animaux en tout genre afin de fabriquer leur remèdes miracle. Et ceux-ci ne peuvent pas être achetés au coin de la rue. C’est donc là que Nour intervient. Au moment où nous faisons sa connaissance, sa petite affaire prend de l’envergure.

Embringuée dans une séparation douloureuse, Nour jongle entre son activité prenante, en plein essor (elle est d’ailleurs sur le point de mettre en ligne son site internet, suite au succès de son petit commerce) et la garde de son fils, au cœur d’un conflit avec un père de plus en plus pressant (interprété par Jérémy Ferrari). Le début du film nous présente Nour comme une femme pleine de ressources, très énergique, dont on ne sait si elle est juste une banale arnaqueuse, ou si elle possède réellement un don de guérisseuse.

La démarche du réalisateur est directe et efficace : en quelques scènes il a fait le portrait de cette mère courageuse et de sa vie compliquée. Habitant une barre de banlieue parisienne, Nour n’a pas beaucoup de moyens, bricole beaucoup, se débrouille et est à l’orée de l’expansion de son business. Attachante, elle espère que ce site internet lui permettra de prendre une autre dimension. Nour a du cœur, elle aura l’occasion de le prouver.

Mais suite au décès d’un gamin perturbé qu’elle suivait, elle va se voir pourchassée par toute une meute de la cité où elle habite. Pire, les réseaux sociaux qui jusque là la portaient aux nues et avaient contribué à l’essor de son commerce, font subitement marche arrière, devenant le vecteur de l’ire populaire, en participant en temps réel à une véritable chasse aux sorcières. Après avoir bien pris le temps de caractériser ses personnages (l’héroïne, son ex mari, ses voisins, tous ont droit à une attention particulière), le metteur en scène enchaîne sur une cavale très réaliste. Que ce soit à travers les couloirs ou les caves de ces grands immeubles de banlieue ou dans les rues à la nuit tombée, Saïd Belktibia nous fait partager la fuite de son héroïne, qui a enfin compris le côté dangereux de son petit commerce. Mais peut-être une peu tard…

Dans sa dernière partie, Roqya embrasse pleinement l’aspecte fantastique de son histoire. Nour décide de mettre en pratique ce qu’elle a étudié de la roqya pour se défaire de ses poursuivants en quête d’un bon lynchage. Elle utilisera au passage des méthodes radicales que les amateurs d’hémoglobine apprécieront (cf. son utilisation de la pompe à vide). Roqya est un film intéressant à bien des égards. Abordant la religion, la situation des banlieues et le surnaturel, il nous bringuebale aux côtés de son attachante héroïne dans une frénésie d’action qui ne se calme qu’aux toutes dernières images, nous montrant Nour et Amin sur un bateau, prêts à démarrer une nouvelle vie…

Jérôme Magne

Vampire humaniste cherche suicidaire consentant

Un film d’Ariane Louis-Seize

Présenté hors compétition lors de la 31 édition du Festival International du Film Fantastique de Gérardmer il y a deux mois, la comédie horrifique québecoise sort en fin sur nos écrans.


Une famille aimante (presque) comme les autres…

C’est là une excellente surprise, tant les sorties cinéma des films de genre projetés lors de la manifestation sont parfois aléatoires. Présente pour parler de son film, la réalisatrice québecoise Ariane Louis-Seize avait fait le déplacement en terre vosgienne, où la figure éminente du vampire était bien évidemment la bienvenue. Mais sa manière de l’aborder allait en étonner plus d’un…

Avant la projection, Ariane Louis-Seize allait parler de son film pendant cinq bonnes minutes sur la grande scène de la salle de l’Espace Lac, charmant accent québecois à l’appui. Son langage imagé était rafraîchissant, et son enthousiasme traduisait sa sincérité. À l’issue de son intervention, le public était impatient de voir le rideau se lever.

Surprise, les canines sont de sortie !!!

Tout commence avec l’anniversaire de Sasha, petite fille choyée au cœur d’une famille pas comme les autres. Sa famille lui offre pour l’occasion un cadeau lui aussi pas comme les autres, mais elle le dédaigne. Car Sasha est une jeune vampire dont les canines refusent de sortir, et qui refuse de tuer pour se sustenter. Elle éprouve une réelle empathie pour le genre humain, empathie qui l’empêche de pourvoir à ses besoins par elle-même. La famille est donc obligée de s’organiser pour la nourrir, ce que la mère ne supporte plus. Le père s’inquiète également beaucoup quant à l’absence d’autonomie de sa fille (les vampires vivent certes bien plus longtemps que les humains, mais ne sont pas immortels, que deviendra-t-elle lorsque ses parent auront disparu ?), mais il ne peut se résoudre à la forcer à tuer.

Finalement, la famille décide alors que c’en est fini, plus de pochettes de sang qui l’attendront au frigo au gré de ses fringales. Sasha devra s’installer avec sa cousine, Denise, qui aura la lourde tâche de lui apprendre enfin à chasser et tuer. Il lui faudra de la patience, et une bonne dose de chance. Le destin mettra Paul sur le chemin de Sasha. Rencontré un soir de vadrouille à la sortie d’un bowling, Paul est un lycéen dépressif qui vient de rater sa tentative de suicide. Il va partager son mal-être avec Sasha, et les deux « adolescents » vont peu à peu se rapprocher, en participant tous deux à des groupes de soutien pour les personnes en détresse psychologique. Très vite, Paul partage avec Sasha son envie d’en finir avec l’existence. L’occasion rêvée pour Sasha de prendre enfin son envol, sans se départir de sa compassion pour le genre humain. Mais si Sasha est prête à exaucer le souhait, elle veut néanmoins qu’il réalise ses dernières volontés auparavant.

La réalisatrice dresse le portrait touchant de deux êtres qui s’interrogent sur leur avenir, le sens de l’existence et qui vont, au fil du temps, tisser un lien fort entre eux. Sasha et Paul sont faits l’un pour l’autre. La caméra de la réalisatrice parvient à créer des scènes hors du temps, poétiques, tout en satisfaisant à la quête d’hémoglobine de tout vampire qui se respecte. Comédie dramatique, Vampire humaniste cherche suicidaire consentant se permet des moments de franche rigolade (certaines scènes et dialogues sont hilarants, du fait du décalage entre le genre et la réalité), au cœur d’un récit empreint de poésie.

Une adolescente comme les autres…

Avec ses deux personnages principaux très attachants, sa rêverie et son respect du genre, le film se présente comme une Famille Adams bienveillante, finalement confrontée à des dilemmes proches du genre humain. N’appartenant pas au genre vampire, Paul devra être prêt à faire un sacrifice pour pouvoir partager le quotidien de Sasha. Avant d’en arriver là, il sera confronté aux brutes qui le martyrisent au lycée, et bien aidé par Sasha pour l’occasion. Dans le rôle de cette dernière, Sara Montpetit exprime à la perfection les doutes et la mélancolie qui l’habitent, tandis que dans celui de Paul, le comédien Félix-Antoine Bénard fait des merveilles avec son grand regard candide et apeuré. Toujours hésitant, semblant perpétuellement s’excuser d’être là, il donne au personnage de Paul la fragile humanité qui va émouvoir Sasha au plus profond de son être. Sa ressemblance avec le comédien américain Evan Peters est d’ailleurs troublante, pour ceux qui l’ont vu dans le rôle de Vif-Argent dans les films X-Men (et un moins concernant son apparence dans la série Netflix consacrée au sinistre Jeffrey Dahmer).

Ariane Louis-Seize était restée dans la salle toute la durée de la projection. Bien lui en a pris, lorsque le rideau s’est levée elle a pu savourer le tonnerre d’applaudissements qui a suivi.

Jérôme Magne

Sleep

Un film de Jason Yu

Le premier film du Coréen Jason Yu arrive sur nos écrans trois semaines et demi après s’être aventuré en terres vosgiennes. Lors de la 31ème édition du Festival International du Film Fantastique de Gérardmer, Sleep a en effet décroché le Grand Prix.


Bernard Werber remet le Grand Prix à Jason Yu

Retour sur ce qui a été une des bonnes surprises de la manifestation, qui d’ailleurs cette année n’en manquait pas. Après être passé par la filière du court-métrage, le réalisateur a fait un grand pas en avant avec son premier long. Le film est un modèle d’équilibre, dans lequel comédie et Fantastique se mélangent avec une évidence plutôt rare.
Sleep nous fait partager la petite vie tranquille de Hyeon-soo (le regretté Lee Sun-kyun) et Soo-jin (Yung Yu-mi), un gentil petit couple comme le cinéma asiatique sait si bien les représenter. Habitant un appartement douillet, le couple se prépare à la naissance de son premier enfant. Hyeon-soo est comédien professionnel, mais des problèmes de somnambulisme viennent progressivement perturber sa vie conjugale ainsi que sa vie professionnelle. Au début, son épouse ne s’en inquiète pas. Mais la naissance de leur enfant approche, et les crises de somnambulisme prennent des proportions de plus en plus inquiétantes. Hyeon-soo se défigure en se grattant compulsivement le visage, il vide le frigo et va jusqu’à tenter de sauter par la fenêtre.

Ce ne sont là que les manifestations les plus « normales » de son somnambulisme, nous n’éventerons pas les autres. Jason Yu a écrit le scénario de son film (seul moyen de devenir metteur en scène en Corée du Sud quand on est novice, selon lui), ce qui l’a aidé à savoir quoi filmer et comment le filmer. Sa caméra est intimiste, elle est au plus près du quotidien du couple. La force de son récit réside précisément dans sa capacité à illustrer la vie d’un couple aimant et harmonieux, et sa réaction à une situation inhabituelle. Le Fantastique s’immisce peu à peu dans l’histoire, mais de manière tellement furtive qu’on ne sait comment comprendre les événements. Ce qui est assez plaisant il faut le reconnaître.
Son calvaire prenant des proportions inquiétantes, Hyeon-soo va donc naturellement se tourner vers une clinique spécialisée dans les troubles du sommeil, qui va lui proposer toutes sortes de conseils et de médicaments. Et des petits trucs sur l’aménagement de leur appartement afin d’éviter toute forme d’accident. Au début tout semble aller dans la bonne direction. Mais finalement l’amélioration s’arrête aussi vite qu’elle a commencé. Appelée en renfort, la belle-mère va faire intervenir une médium, et c’est là que le film évolue vers autre chose. La médium sentira une présence malfaisante, très puissante, sans parvenir à en dire plus et à mettre le doigt sur le « fantôme » qui serait la cause des troubles grandissants de Hyeon-soo. Le couple va alors chercher une explication surnaturelle, et se mettre en quête d’événements violents ayant pu toucher leur cercle proche. Commence une recherche fastidieuse auprès des ex petits-amis éconduits. Elle ne donnera pas de résultats tangibles.
Sleep est un film captivant, à l’atmosphère envoûtante. Maîtrisé de la première à la dernière image, le spectateur y partage un moment clef de la vie d’un couple ordinaire. Selon sa propre sensibilité, pour expliquer ce qu’il voit à l’écran, le spectateur empruntera deux directions qui n’ont rien en commun. L’amateur de fantastique choisira naturellement le surnaturel, la poésie, tandis que le rationnel se raccrochera à des éléments plus cartésiens.

Quoi qu’il en soit, chacun trouvera dans Sleep matière à satisfaction. Questionné sur le sujet, Jason Yu s’en est d’ailleurs amusé, se gardant bien de dire de quel côté il se rangeait. Avec sa maîtrise du cadre et de l’espace, le metteur en scène se place déjà comme l’un des grands espoirs du cinéma coréen. L’empathie dont il fait preuve pour ses personnages est le petit plus qui a convaincu les membres du Jury Longs-Métrages du dernier Festival de Gérardmer. Son « feel good horror movie » comme il le décrit lui-même a pleinement mérité son Grand Prix.

Jérôme Magne

31ème Festival International du Film Fantastique de Gérardmer

31ème Festival International du Film Fantastique de Gérardmer.

C’était iy a trente ans, au début du mois de février 1994. Fantastic’Arts naissait au coeur des Vosges à Gérardmer. Le festival prenait la suite du Festival International du Film Fantastique d’Avoriaz, qui s’était tenu dans la station de sports d’hiver de 1973 à 1993. Aujourd’hui la ville de Gérardmer est indissociable du festival, qui rayonne au-delà de nos frontières avec toute sa ribambelle de films primés. La manifestation s’est étoffée progressivement, offrant de nombreux événements en ville, des rencontres littéraires au Grimoire, des masterclass avec d’éminentes figures du Septième Art et de la littérature, des ateliers destinés au jeune public et, il n’y a pas si longtemps, des zombies walks qui grouillaient dans les rues de la ville. La horde bravait des conditions météo parfois rudes.
Pour sa 31ème édition, le festival avait convié deux grands noms de la littérature française pour chapeauter les deux jurys de films en compétition. Bernard Werber (il fait partie du décors, étant quasiment présent à chaque édition) pour le Jury Longs-Métrages, et Bernard Minier pour le Jury Courts-Métrages. Pour départager les 10 films en compétition, Bernard Werber était accompagné de Clovis Cornillac, Jean-Paul Salomé, Caroline Anglade, Sébastien Vaniceck, Mathieu Turi, Mélanie Bernier et Charlotte Gabris. De son côté, l’auteur de polars Bernard Minier était entouré d’Adrien Ménielle, Alice Moitié, Monsieur Poulpe, et Mara Taquin. Sur les 5 jours que durait le festival, le Jury Courts devrait lui départager 5 œuvres. Tout au long de cette (trop?) courte manifestation les écrivains, comédiens, scénaristes, réalisateurs et photographes composant les jurys se sont rendus disponibles, en participant à des tables rondes, des interviews et de longues séances de dédicaces ouvertes au plus grand nombre à l’Espace Tilleul.
Cette année, les films visionnés ont abordé le Fantastique et son bestiaire sous toutes ses coutures. Vampires, sorcières, fantômes, mutants, loups garous, zombies, possessions et sectes en tout genre ont envahi les quatre (bientôt cinq ?) écrans de la ville pour le plus grand plaisir de tous, ces amateurs de sensations fortes venus des quatre coins de France.

Revrgis

Resvrgis, du réalisateur italien Francesco Carnesecchi, s’intéresse à l’émouvante figure du loup-garou, cette créature incomprise soumise aux caprices de la lune. Venu présenter son film à Gérardmer sur la scène de l’Espace Lac, le metteur en scène a tenu à rendre hommage à ses illustres aînés, les Dario Argento et Lucio Fulci de l’époque, qui avaient donné à la terreur à l’italienne ses lettres de noblesse, il y a une éternité. Si son respect pour le genre et son illustration du mythe sont sincères, ils ne permettent pourtant pas à son film de rivaliser avec les grands classiques. Reste quelques belles images (la scène finale) et une créature au look plutôt réussi. Resvrgis était en compétition, mais n’a pas remporté de prix .

Vampire humaniste cherche suicidaire consentant

Présenté Hors Compétition, le film québecois Vampire humaniste cherche suicidaire consentant a été notre petit coup de cœur. Présenté par sa réalisatrice Anne Louis-Seize sur la grande scène de l’Espace Lac, pendant cinq bonnes minutes, son film a été celui qui a recueilli le plus d’applaudissements. Nous l’aborderons plus en détail lors de sa sortie le 20 mars prochain. Sachez seulement qu’il s’agit de suivre la crise d’adolescence (68 ans tout de même !) de Sasha, une vampire qui ne peut se résoudre à mordre et tuer ses proies afin de se sustenter. Ce qui pose problème à ses parents, qui voudraient la voir prendre son envol. Sa rencontre avec Paul, un adolescent lunaire aux tendances suicidaires, va peut-être lui offrir la solution : il est d’accord pour lui offrir sa vie. Anne Louis-Seize a fait l’effort de rester pendant la projection ; elle a ainsi pu assister au tonnerre d’applaudissements qui a parcouru la salle quand les lumières se rallumèrent.

Kaidan, Histoires étranges de fantômes japonais

Kaidan, histoires étranges de fantômes japonais d’Yves Montmayeur, est un documentaire hors compétition sur la J-Horror (Japan Horror), et plus particulièrement sur le sous genre du film de fantômes. Bien que ne pouvant être exhaustif en 1H30, le film illustre la figure du fantôme à travers ses différentes expressions : les contes, le cinéma, le théâtre, la danse, la télévision, le manga. Un voyage peut-être un peu rapide, qui nous a toutefois permis de croiser de grands noms ayant touché au genre : Hideo Nakata, Kiyoshi Kurosawa, Takashi Shimizu, Junji Ito et bien d’autres.

La Morsure

Premier long-métrage de Romain de Saint-Jean Blanquat, La Morsure était présenté hors compétition. Le spectateur y faisait la connaissance de Françoise et Delphine, deux jeunes filles pensionnaires d’un lycée catholique. Supportant mal le carcan religieux, Françoise est persuadée qu’il ne lui reste plus qu’une seule nuit avant sa mort. Elle décide de faire le mur avec son amie, pour se rendre à une fête costumée non loin de là, et vivre pleinement cette dernière soirée. La ballade un peu brouillonne nous fait rencontrer une belle brochette de personnages, certains énigmatiques (mention spéciale à Frédéric Blin, bien loin de son rôle d’Estèves, le neveu des Raymond et Huguette de la série Scènes de Ménages), tous confrontés à des situations improbables. Les amateurs de canines acérées devront s’armer de patience, La Morsure ne partageant qu’un rapport ténu avec le Fantastique (nous n’en dirons pas plus, de peur d’éventer la surprise…). Reste quelques jolies scènes, et des dialogues parfois très justes.

Roqya

Roqya de Saïd Belktibia aborde le thème de la sorcellerie. On y suit le quotidien de Nour, qui vit en faisant de la contrebande d’animaux exotiques qu’elle vend à des guérisseurs pratiquant la Roqya, cette médecine prophétique basée sur des méthodes de guérison occulte. Dans la banlieue de Paris, le trafic de Nour se développe, jusqu’au jour où une consultation vire au drame. Nour deviendra alors la proie d’une chasse aux sorcières, et aura fort à faire pour protéger la vie de son fils ainsi que la sienne.
Roqya s’appuie sur des comédiens qui ont fait leurs preuves : Golshifteh Farahani et Denis Lavant sont de la partie, entourés de comédiens moins connus, mais tout aussi convaincants.

When Evil Lurks

Le film argentin When Evil Lurks de Demian Rugna était très attendu à Gérardmer. Avec son histoire de possession, son style épuré, sa mise en scène efficace, ses effets gore et son imaginaire sur le démon bien développé, le film s’appuyait sur des décors et une musique aux petits oignons. Pas un moment de répit pour le spectateur qui, ravi, n’en demandait pas tant, et imaginait dès le début le pire. Très bien accueilli, When Evil Lurks repartit de Gérardmer avec deux Prix, celui de la Critique, et celui du Public. Bien à sa place au cœur de cette 31ème compétition, le film mérite ses récompenses, et illustre parfaitement ce que l’on cherche à Gérardmer : un mal pernicieux, sournois, et surtout qui a la vie dure…

The Funeral

The Funeral du réalisateur turque Orçun Behran suivait l’étrange ballade de Celam, un conducteur de corbillard solitaire, chargé d’une étrange mission : ramener le cadavre d’un jeune fille à sa famille, dans un coin reculé du pays. Problème, la jeune fille n’est peut-être pas aussi morte qu’elle en a l’air. Roadtrip atypique, The Funeral alterne moments contemplatifs, scènes gores et visions poétiques, en nous faisant parcourir une Turquie aux paysages variés, aux côtés d’un comédien qui n’est pas sans rappeler un certain Nicolas Cage, les fans de l’acteur apprécieront…

Perpetrator

Sélectionné dans le cadre de la compétition, Perpetrator de Jennifer Reeder affichait une certaine esthétique. Dans cette histoire en apparence très simple (un psychopathe enlève des lycéennes issues d’un même quartier) Jennifer Reeder fait quelque chose d’un peu plus original. On y suit la croisade de Jonny, une jeune fille qui subit une métamorphose à l’occasion de ses 18 ans. Elle décide de traquer le criminel. Dommage que le film n’exploite pas plus son imaginaire. Face à la caméra, on retrouve Alicia Silverstone et Chris Lowell, aux côtés de Kiah McKirnan, vue dans la série Vers les étoiles.

It’s a Wonderful Knife

Présenté hors compétition, It’s a Wonderful Knife marquait le retour de Tyler MacIntyre à Gérardmer, 6 ans après son précédent film, Tragedy Girls. Venu présenter son œuvre sur la scène du Lac, le réalisateur américain s’est exprimé avec son débit mitraillette pendant cinq minutes, qui ont paru bien longues au maître de cérémonie David Rault, chargé pour l’occasion de la traduction. Le film est un slasher de Noël, moins cynique que Tragedy Girls, qui remplit honorablement son cahier des charges. Comme souvent, quand c’est bien conçu, comédie et coups de couteaux cohabitent bien.

The Forbidden Play

The Forbidden Play marquait le retour d’Hideo Nakata en terres vosgiennes. Célèbre pour avoir contribué à la vague de films d’horreur asiatiques qui a déferlé sur le monde à la fin des années 90, avec Ring et plus tard Dark Water, le réalisateur nippon n’a rien perdu de son mordant. Il parvient toujours à susciter l’angoisse avec peu de choses. Son film est reparti bredouille, ce qui ne lui retire pas ses qualités.

The Seeding

Premier film du britannique Barnaby Clay, The Seeding récolta le Prix du Jury Jeunes de la Région Grand-Est. Dès l’ouverture le réalisateur pose une chape de plomb sur son histoire. Perte de repères, étouffement, claustrophobie et isolement sont au menu du récit, qui nous fait suivre le calvaire d’un randonneur égaré dans le désert. Venu photographier une éclipse solaire, il va venir en aide à un enfant égaré, et ne sera pas vraiment remercié pour son geste…

Sleep

Récompensé par le Gand Prix du festival, le film coréen Sleep était le premier long-métrage de Jason Yu. En suivant l’existence d’un jeune couple confronté aux crises de somnambulisme du mari, le réalisateur nous plonge progressivement dans le Fantastique. Il est méthodique, prend le temps de poser les jalons de son récit, et la magie opère :le Fantastique est partout et nulle part à la fois. Derrière chaque manifestation du somnambulisme de l’époux se cache quelque chose, ou quelqu’un. Ancien assistant de Bong Joon-Ho, Jason Yu partage avec lui sa maîtrise des décors et de l’espace. Il fait de l’appartement qu’habite le couple un personnage à part entière (et pas des plus bienveillants). En récompensant Sleep, le Jury a salué un feel-good horror movie (dixit Jason Yu lui-même), qui confronte des personnages on ne peut plus normaux à des phénomènes qui ne le sont pas. Le fantastique et la comédie se partagent ici les rôles de la manière la plus naturelle possible. Le film est dédié au comédien Lee Sun-kyun, adulé en Corée,et disparu il y un mois et demi (on se rappelle de lui notamment dans la Palme d’Or du festival de Cannes 2019, le film Parasite de Bong Joon-ho.)

La Damnée

Premier long-métrage du jeune réalisateur Abel Danan (25 ans), La Damnée était sélectionné en compétition. On y suit le quotidien de Yara, une jeune marocaine venue étudier à Paris. Souffrant de troubles psychologiques, Yara va devoir lutter contre la folie alors que le confinement s’abat sur la ville. Dans son appartement les choses vont se compliquer, la jeune fille n’ayant plus aucun contact avec l’extérieur. Au cœur de cet étouffant huis clos le spectateur découvre, avec Yara, ses vraies origines. Partant de là, elle peut désormais grandir…

Comme chaque année, les films se sont enchaînés, nous entraînant dans un tourbillon incessant, nous faisant perdre nos repères. Il était en effet parfois difficile de savoir à quel moment de la journée on se situait, les jours se suivant, truffés de péloches qui -heureusement- ne se ressemblaient pas. Les films en compétition étaient homogènes, d’un bon niveau, et les bénévoles, sans lesquels la manifestation ne pourrait exister, toujours aussi sympathiques. On ne les changera pas, et c’est tant mieux. La météo, clémente, a permis aux festivaliers de se balader dans la ville et aux abords du lac, lieu incontournable de la ville s’’il en est (avec l’Espace Tilleul et son célèbre Grimoire). A l’heure du bilan, Pierre Sachot, Président de l’Association du Festival, a dévoilé les dates de la prochaine édition. Ce sera du 29 janvier au 2 février 2025. A vos agendas et surtout, ne manquez pas l’ouverture de la billetterie, afin d’acheter le précieux sésame. Cette année la mise en vente des PASS a battu des records de fugacité, les festivaliers espèrent que l’année prochaine l’organisation s’y prendra autrement. A voir…..

Jérôme Magne

Second Tour

Un film d’Albert Dupontel

Second Tour est le huitième long-métrage mis en scène par Albert Dupontel. Comme toujours le cinéaste en a signé le scénario qui, comme toujours, ne ressemble à aucun autre, et positionne immédiatement le film dans la catégorie des œuvres inclassables.

Une fine équipe

Dans cette histoire suivant le parcours d’un brillant candidat à la présidentielle entre deux tours, il y a beaucoup de scènes de pure comédie, mais pas que. Des réflexions sur des thèmes actuels importants -coucou l’écologie, coucou l’immigration- font irruption ici ou là avec un sérieux d’autant plus percutant que l’atmosphère générale du film tire vers la loufoquerie.

Second Tour nous montre le quotidien de Pierre-Henri Mercier, interprété par Albert Dupontel, candidat sorti de nulle part et issu d’une riche famille industrielle. Il est financé par de puissants groupes aux intérêts uniquement mercantiles, qui attendent de lui une politique en leur faveur. Passé quelques scènes, nous découvrons que Pierre-Henri Mercier n’est pas la marionnette que ses sponsors espéraient, et qu’il a l’intention d’œuvrer à la défense de l’écologie, ce qui va totalement à l’encontre des promesses faites aux magnats qui le financent. Son secret était jusque là bien gardé…

Cécile de France et Nicolas Marié

Nathalie Pove (Cécile de France) est une journaliste TV sportive dynamique. Brillante, elle couvrait auparavant une actualité plus prestigieuse, mais a été placardisée suite à un reportage peu élogieux sur l’un des actionnaires de sa propre chaîne. Avec son fidèle cameraman, Gustave Clément (Nicolas Marié), elle se morfond en couvrant des événements sportifs, jusqu’au jour où son patron lui demande de suivre la campagne de Pierre-Henri Mercier suite à l’indisponibilité des principaux journalistes politiques de la chaîne. Son patron lui fait promettre de museler son esprit critique, et lui fournit l’ensemble des questions à poser, les aseptisées, celles évitant toute polémique. Nathalie acquiesce, bien entendu, mais va-t-elle réussir à réfréner son instinct, rien n’est moins sûr…

Infiltrés…

Second Tour démarre sur les chapeaux de roue, Albert Dupontel n’aime pas perdre de temps à planter le décors. Le réalisateur est efficace dès les toutes premières images, ses films durant la plupart du temps moins d’une heure trente (exception faite d’Au revoir là haut il y a six ans). Il nous présente ce candidat atypique en quelques scènes, l’homme providentiel que la droite libérale a propulsé sur le devant de la scène faute d’autre candidat. Vient le tour de Nathalie Pove, dépeinte comme une experte dans l’art de dénicher les petits secrets, sorte de Columbo moderne du journalisme. Avec son acolyte, le cameraman, elle forme un duo percutant, les forces et faiblesses de l’un et l’autre se compensant. .

Ce huitième long-métrage reflète partiellement l’âme de son metteur en scène, qui ne peut s’empêcher de (se) questionner sur la nature humaine, ainsi que son rapport à son environnement. La fable politique et écolo est bien évidemment teintée d’une certain cynisme, sans quoi ce ne serait pas vraiment un film de Dupontel, mais on remarque ici ou là des percées d’espoir, mesurées.

Albert Dupontel

Les dialogues sont très souvent hilarants et les scènes ne s’embarrassent d’aucun superflu. Les comédiens, parfaits, font des merveilles, chacun dans son registre. Les fidèles de l’univers Dupontel sont bien là, à commencer par Nicolas Marié, aux côtés de Philippe Duquesne, Philippe Uchan, et encore Bouli Lanners. Albert Dupontel les connaît bien, il leur offre des rôles, petits ou grands, aux petits oignons. Face à ses habitués, la comédienne belge Cécile de France trouve sa place sans difficulté, interprétant un personnage plus cérébral, moins physique qu’à l’accoutumée. Elle excelle dans ce rôle de femme forte, prête à aller au bout de ses idées et qui, malgré ses revers professionnels récents, arrive encore à se laisser gagner par une indignation salvatrice. Elle donne la réplique à un Albert Dupontel plus posé, qui ne se départ pas de son côté sombre. Leurs échanges, précautionneux au départ, leurs permettent de se révéler l’un à l’autre, au cours d’un jeu du chat et de la souris imprévisible. La conclusion, teintée d’espoir, est à l’image des films d’Albert Dupontel : traversée de doutes, mais ouverte et positive.

Jérôme Magne

The Creator

Un film de Gareth Edwards

En 2010, le réalisateur britannique Gareth Edwards se faisait connaître en réalisant un film de science-fiction indépendant intitulé Monsters. Le long-métrage allait récolter plusieurs récompenses et lui ouvrir les portes d’Hollywood.

La sinistre station NOMAD

Il allait par la suite mettre en scène deux blockbusters, Godzilla en 2014, et Rogue One : A Star Wars Story en 2016. The Creator est son quatrième long-métrage, dans lequel il confirme son attirance pour l’anticipation.

Le film s’ouvre sur des images d’archives. Un rappel des grandes découvertes de la robotique et de ses dates-clefs nous montre l’évolution de l’intelligence artificielle, jusqu’au drame survenu 10 ans plus tôt. L’intelligence artificielle (I.A.) aurait fait exploser une bombe nucléaire sur la ville de Los Angeles, faisant disparaître un million de personnes en un éclair.

Joshua et Alphie

Depuis, les États-Unis sont en guère contre l’I.A., et cherchent à l’éradiquer par tous le moyens. Une vision que les pays d’Asie du Sud Est ne partagent pas, ceux-ci ayant continué à développer des robots humanoïdes de plus en plus perfectionnés, au cœur d’une société où les androïdes et les humains cohabitent pacifiquement. Le États-Unis ne sont pas en guerre contre ces pays, mais n’acceptent pas leur fonctionnement. Ils ont décidé d’éradiquer l’I.A. partout sur Terre, et on développé une gigantesque station orbitale qui survole la planète dans le but de supprimer tous les foyers d’I.A. Pour cela, ils doivent trouver le mystérieux Créateur, celui qui a tout conçu depuis le début, et qui a permis de fabriquer des clones toujours plus perfectionnés et plus humains.

Joshua est un ancien soldat infiltré chez les robots. La bombe nucléaire a fait disparaître l’ensemble de sa famille, et lui a fait perdre l’usage d’un bras et d’une jambe. Suite à ce drame, il a fait ce que son pays voulait de lui, contribuer à débusquer le Créateur. Mais un drame viendra bousculer ses certitudes…

Le thème de l’interventionnisme américain est le premier qui apparaît dans le film. Il semble une évidence, et se teinte d’une grande sincérité, l’Amérique est condamné à défendre le monde contre lui-même. Elle souffre d’un complexe de supériorité tellement écrasant qu’elle l’empêche de comprendre les choses comme elles sont. Persuadés d’avoir raison, les Américains estiment avoir le droit d’imposer leur vision à tous, quitte à engendrer des dommages collatéraux sur leur route. Le complexe du Sauveur s’accompagne de manifestations belliqueuses : même en pays étranger, les États-Unis s’autorisent à intervenir, sans avoir consulté les dirigeants concernés. Ce « dialogue » de sourd est au cœur de l’histoire. Le pays exerce une forme de justice aveugle, que Joshua embrassera, du moins au début. Persuadé d’agir pour le bien de l’humanité, Joshua suivra d’abord ses ordres à la lettre, dans l’espoir de retrouver -ne serait-ce que brièvement- un être cher.

Alphie, le Sauveur

Gareth Edwards filme The Creator comme une fable d’anticipation. Cela lui permet d’aborder son genre de prédilection, la science-fiction, tout en faisant la critique de la civilisation occidentale opposée, selon lui, à la notion de tolérance prônée par les pays orientaux. Le thème de l’intelligence artificielle est finalement plus un prétexte pour défendre le droit à la différence et le respect de l’autre, quel qu’il soit. Les effets spéciaux n’éloignent pas le spectateur du récit, ils créent un monde futur plausible dans lequel les robots sont parfois plus qu’humains. Isaac Asimov aurait apprécié ! L’intelligence artificielle telle qu’elle est ici représentée n’apparaît jamais comme menaçante, son but est simplement de cohabiter avec les hommes. Loin du Skynet que James Cameron imaginait en 1984 dans son film culte Terminator, et qui allait donner de nombreuses suites.

Le périple de Joshua est éreintant, il est poussé par une force immense, et aidé par un petit «enfant» qui pourrait bien être la clef de tout…

A la toute dernière image celui-ci nous gratifie d’un sourire annonciateur de jours meilleurs. Gareth Edwards nous confirme qu’il n’a pas perdu espoir en l’humanité…

Jérôme Magne

Hypnotic

Un film de Robert Rodriguez

Avec plus d’une vingtaine de longs-métrages à son actif,
Robert Rodriguez a démontré qu’il était un cinéaste éclectique. Le réalisateur américain d’origine mexicaine a en effet prouvé qu’aucun genre ne l’effrayait
.

Capable d’aborder le film de gangsters (El Mariachi et ses suites, les Desperados), celui de vampires (Une nuit en enfer), pour ensuite passer par le film d’invasion extra-terrestre (The Faculty), la comédie d’action pour adolescents (Spy Kids et ses nombreuses suites), le film d’anticipation (Alita : Battle Angel) et le film d’horreur(Planète Terreur), Robert Rodriguez a démontré sa curiosité à la moindre occasion. Son amour pour le cinéma s’étend à tous les genres, et le pousse même à cumuler de nombreuses casquettes sur chacun de ses films.

En effet, le réalisateur ne se contente pas de la mise en scène de ses films, il en est très souvent le scénariste, le producteur, le monteur, le compositeur, tout en se permettant ici ou là des petits caméos bien sympathiques. Véritable homme-orchestre, son amour du Septième Art lui fait embrasser ses créations comme peu de cinéastes aujourd’hui. Avec Hypnotic, il choisit d’aborder un genre hybride, entre le thriller psychologique et le film d’anticipation, renvoyant à des classiques du cinéma. A la vue de certaines scènes et concepts, comment en effet ne pas penser aux Matrix des Wachowski, ainsi qu’à Christopher Nolan et son célèbre casse-tête Inception…

Le début du film nous montre un flic, Danny Rourke (interprété par Ben Affleck), en pleine conversation avec sa psychiatre. Le personnage est fatigué, amaigri, il suit une thérapie suite à la disparition de sa fille quelques années auparavant. Alors que le père et sa fille partageaient un moment ensemble dans un parc de la ville, celle-ci avait brusquement disparu. Rourke avait juste détourné le regard une fraction de seconde, elle n’était plus là… La séance de thérapie touche à sa fin, Rourke est déclaré apte au service alors qu’on l’appelle justement sur une affaire urgente.

Sur le lieu du braquage en cours, il constate rapidement que certains intervenants se comportent de manière étrange. Comme agissant dans un état second. Commence alors une course contre la montre dans laquelle il va découvrir une sombre machination et des personnes aux capacités étranges. Il devra faire face à une organisation opaque, dont le but ne sera jamais très clair (bras armé secret des USA, obscure organisation criminelle, secte …?). Dans le rôle de ce père qui n’a toujours pas fait le deuil de sa fille disparue, Ben Affleck s’en sort plutôt bien, de même qu’Alice Braga (La Cité de Dieu, Le Rite, Elysium et plus récemment le Suicide Squad version 2021 de James Gunn) dans celui de sa compagne de fuite, Diana Cruz. Le grand méchant nous offre le plaisir de croiser William Fichtner, second rôle de plus d’une soixantaine de films (Heat, Armageddon, La Chute du Faucon Noir, Strange Days, En pleine tempête, Pearl Harbour, Hell Driver), surtout connu pour sa participation aux séries Prison Break et Crossing Lines. Sa présence suffit à personnifier une menace plausible, même si on aurait aimé voir le personnage de Lev Dellrayne un peu plus développé à l’écran.
Hypnotic s’avère être un drôle d’objet, une pellicule qui pourra paraître brouillonne à certains, tandis que d’autres y verront une fois encore la sincérité de son metteur en scène. Pour certains, Robert Rodriguez a réalisé un sous-Christopher Nolan. Nous préférons y voir un film à prendre au premier degré, plein de bonnes intentions, parsemé de rebondissements et qui nous donne la brève occasion de revoir cette bonne vieille trogne de Jeff Fahey.

La scène qui suit le début du générique laisse entendre qu’une suite serait possible, mais au vu des chiffres d’exploitation au box-office (très mauvais, en grande partie du fait d’une campagne publicitaire inexistante aux USA) cela est malheureusement peu probable….

Jérôme Magne

Mission impossible : Dead Reckoning, partie 1

Un film de Christopher McQuarrie

En 1996, Brian de Palma mettait en scène un premier Mission impossible sur grand écran. Dans cet excellent film, aujourd’hui qualifié « d’old school », Tom Cruise endossait pour le première fois le costume d’Ethan Hunt, cet ex-soldat d’élite aux capacités d’adaptation extraordinaires et entraîné aux techniques d’espionnage.

Près de trente années ont passé, Emmanuelle Béart, Jon Voight et Jean Reno ne sont plus là, seuls Tom Cruise, Ving Rhames et Henry Czerny sont rescapés du premier film. L’époque, les moyens financiers et la technique ont beau avoir évolués, l’histoire conserve ce qui a fait la réussite de la saga. Une sombre machination, une menace planétaire, des trahisons et des déguisements à foison, le tout agrémenté de cascades ébouriffantes (mention spéciale à la course poursuite dans les rues de Rome, et à l’arrêt brutal de l’Orient Express, au bord d’un précipice). Ce qui se fait de mieux en terme d’image et d’effets spéciaux, une technique à l’état de l’art. Cela pourrait sembler répétitif à certains, et pourtant, il n’en est rien.
La menace qui plane sur l’Humanité est mise au goût du jour. Ère numérique oblige, il s’agit d’une intelligence artificielle ayant échappé à son créateur, évolutive, qui apprend de ses erreurs et s’améliore sans cesse. Et bien évidemment animée des pires intentions. Comme quoi, depuis le classique d’anticipation Terminator de James Cameron il y a 40 ans et son sinistre Skynet, il n’y a pas grand’chose de nouveau. Si ce n’est qu’aujourd’hui l’Humanité n’est pas décimée par les robots, mais en passe d’être manipulée par la désinformation par une Entité tentaculaire. De manière toujours aussi évidente, tous les gouvernements sont prêts à tout pour mettre la main dessus.


Solution de la dernière chance, l’équipe Force Mission impossible va accepter ce nouveau défi. Les premières images se prêtent au jeu de la paranoïa : dans le milieu confiné et étouffant d’un sous-marin, l’équipage russe teste un programme permettant de rester invisible aux yeux de tous. La manœuvre militaire prendra une tournure inattendue. On retrouve ensuite Ethan Hunt, caché et seul comme toujours. Contacté par son « employeur », il va accepter une nouvelle mission au nom de son équipe. Luther (Ving Rhames) et Benji (Simon Pegg) sont là, ils vont devoir retrouver Ilsa Faust (Rebecca Ferguson), une vieille amie. Transfuge du MI6, celle-ci possède la moitié d’une mystérieuse clef qui, associée à son autre moitié, permet d’ouvrir l’accès à cette mystérieuse Entité, capable d’altérer toute vérité pour faire disparaître le monde tel que nous le connaissons. Ethan croisera la route de Grace, une jeune femme aux multiples talents. Associée à Ethan Hunt bien malgré elle, elle lui donnera du fil à retordre.
Le metteur en scène n’en est pas à son coup d’essai. Il met en images son troisième Mission impossible (et signe son quatrième scénario), et collabore pour la neuvième fois dans un long-métrage mettant Tom Cruise en haut de l’affiche. Christopher McQuarrie évolue donc en terrain connu, et le degré d’exigence et de professionnalisme de la star ne l’étonnera pas. Mais le film ne se résume pas uniquement au personnage d’Ethan Hunt. La notion d’équipe conserve toute son importance. La Force Mission impossible est envisagée comme une famille, chaque membre la composant bénéficiant du soutien indéfectible des autres membres.
Pour personnifier les enjeux, l’Entité est affublée d’un avatar en la personne de Gabriel. Cette vieille connaissance d’Ethan le connaît trop bien, et sait à quel point il est prêt à mettre la sécurité de ses proches avant la sienne. Et n’hésiterait pas une seconde à se sacrifier pour eux. On pourra regretter que ce « méchant » soit un peu trop doux, trop mielleux à notre goût. La faute à des choix d’interprétation faits par Esai Morales, pourtant habitué aux rôles ambiguës. La froideur qu’il affiche est malheureusement atténuée par un petit côté espiègle qui ternit son aura de super méchant.

Cette première partie est très divertissante, on ne voit pas le temps passer, malgré les quelques deux heures quarante que dure le film. Tom Cruise porte bien évidemment le film sur ses épaules, mais laisse à chacun l’opportunité de marquer la pellicule à son image. Connue pour son rôle de Peggy Carter dans l’univers Marvel, la comédienne Hayley Atwell incarne le petit grain de sable qui grippera la machine Force Mission impossible dans un premier temps, avant d’en devenir un allié. Un électron libre, habitué à ne suivre que son propre instinct, et à faire cavalier seul, coûte que coûte. Face à elle, les fans des films Gardiens de la Galaxie auront bien du mal à reconnaître la comédienne française Pom Klementieff, dont les traits étaient maquillés pour donner vie à Mantis. Elle interprète ici Paris, une assassine française à la solde de Gabriel, déterminée mais rattrapée par sa conscience dans la dernière partie du film.
Lorsque le rideau se lève, il le fait au bon moment. Les événements se sont enchaînés naturellement, sans temps mort, et le spectateur n’a pas eu l’impression que l’histoire s’étirait en longueur. Une juste mesure, pour un long-métrage qui remplit son objectif à 100 %. La suite l’année prochaine…

Jérôme Magne