Bananes amères

En utilisant le polar, Philippe Godoc sensibilise de la plus belle des manières l’opinion au scandale du Chlordécone

C’est un scandale de santé publique, presque une affaire d’Etat qui, pendant longtemps, a été ignoré. Le chlordécone est ainsi le nom de ce pesticide utilisé dans les Antilles notamment dans le traitement des bananeraies contre le charançon. Interdit aux Etats-Unis depuis 1976, il a fallu attendre 1993 pour qu’une mesure similaire soit prise en France. Ce décalage de dix-sept années fut surtout le fruit d’un intense lobbying qui a conduit à une pollution des sols et de la faune, entraînant chez l’homme une recrudescence de cancers. Révélée ces dernières années, l’affaire du chlordécone, commercialisé sous les noms Kepone et Curlone, a fait l’effet d’une bombe dont les explosions continuent de résonner surtout depuis l’ordonnance de non-lieu rendue le 2 janvier dernier. Une bombe qui, comme à chaque fois, donne naissance à des œuvres littéraires. 


La première d’entre elle est signée Philippe Godoc, responsable associatif dans la protection des milieux marins, et dont l’amour pour la Guadeloupe, son île d’adoption depuis quarante ans, l’a conduit à écrire ce manifeste en forme de polar.

Et il faut dire que celui-ci marche assez bien. On y entre très facilement en suivant Marc Montroy, journaliste pour un journal écologique qui enquête sur le Kepone. Car, de Richmond aux Etats-Unis à la métropole en passant bien évidemment par les Békés, les descendants des colons blancs des Antilles, nombreux sont ceux qui ont intérêt à ce que l’affaire ne s’ébruite pas, surtout ceux qui commanditent les meurtres qui suivent et se rapprochent de Montroy. Philippe Godoc tire ainsi plusieurs fils – les meurtres, l’enquête journalistique sur le Kepone et l’histoire personnelle du héros, tragique, qui se confond avec celle de la Guadeloupe – lui permettant de tenir en haleine assez efficacement son lecteur. 

Une petite dose américaine subitement tirée de la chaleur moite d’un sud façon John Grisham combinée à quelques scènes dignes d’un film d’action viennent ainsi donner du piment antillais à ce thriller écologique entre lanceurs d’alerte et tueurs à gages haïtiens où l’on ne s’ennuie jamais. Une belle découverte à la fois instructive et pleine de rythme.

Par Laurent Pfaadt

Philippe Godoc, Kepone
Viviane Hamy, 432 p.