Bel Abîme

A l’heure où la Tunisie s’enfonce une fois de plus dans une nouvelle
crise de régime, dix ans après la chute de Ben Ali, le roman singulier
de Yamen Manai tombe à pic. Véritable jeu de massacre, tout y
passe : l’Etat, la société, nos rapports aux autres, à l’environnement, à la culture, à l’éducation. Le héros du livre, un jeune adolescent, se
retrouve ainsi incarcéré pour avoir blessé plusieurs personnes qui
ont voulu s’en prendre à son chien.

Car y regarder de plus près, ce chien représente l’unique espoir de
ce garçon et d’une société tout entière face à un pouvoir enfermé
dans ces dogmes qui ne sont que des postures comme par exemple la
place de la femme représentée par la mère. Le citoyen est corseté,
oppressé jusqu’à la révolte. L’adolescent a trouvé refuge dans les
livres car « lire ne rend pas immortel, je vous l’accorde, mais moins
con, et ça c’est déjà beaucoup
 » écrit ainsi Yamen Manai. Les livres
puis ce chien, on le comprend très vite sous la plume alerte de
l’auteur, constituent des refuges, des espoirs, des rêves de liberté.
Mais les tyrans de tous bords n’aiment pas les rêves car ils
représentent les matrices d’une humanité qui pense, qui évolue et
aspire à mieux. Alors on tue les rêves des enfants après les avoir,
comme les citoyens, bernés, achetés.

La violence n’est que la conséquence logique de cette implacable
mécanique. Et quand on a tout perdu, on est prêt à tout, surtout à
plonger dans l’abîme. Derrière une magnifique histoire d’amitié
entre un enfant et un chien, Yamen Manai lance un appel à la
résistance. Déjà présent dans la sélection de printemps du
Renaudot, ce livre porté par l’excellente maison d’édition Elyzad,
devrait certainement briller dans les semaines et les mois à venir.
« J’ai appelé de mon cœur mon pays et je vous ai plains. Je lui racontais
qu’on était maudits, qu’on était perdus. Je lui murmurais que l’un
comme l’autre, nous étions un bel abîme dans lequel les rêves se
sont échoués
 » avoue notre héros. On ne peut être plus explicite,
surtout dans cette époque troublée. Et on aurait tort de croire qu’il
ne s’agit que de la Tunisie.

Par Laurent Pfaadt

Yamen Manai, Bel Abîme
Aux Editions Elyzad, 120 p.