Beytina

D’un côté on ne savait pas trop à quoi s’attendre, on avait évoqué
 » un festin sur scène « … et on se disait  » Pourquoi pas ?  » cela , bien
sûr nous intriguait. D’un autre côté, on parlait de chorégraphie , de
musique. Alors, oui pourquoi pas ?

On a retenu nos places.

On n’a pas été déçu et on a tout eu… depuis une préparation de
repas sous la houlette d’une cuisinière, matrone, évidemment la
seule femme de cette entreprise  qui se révèle être la mère du
chorégraphe Omar Rajeh qui a concocté ce spectacle pour le
moins original, l’a mis en scène et y participe avec toute la
virtuosité du danseur qu’il est jusqu’à la musique et la danse.

Autour de la très grande table s’affairent au découpage des
légumes de saison, poireaux, carottes, céleri et choux , les  » petites
mains  » qui jouent avec un enthousiasme non feint avec les
couteaux affûtés et jettent avec précision les morceaux de
légumes dans l’immense saladier prévu à cet effet. Quelques
notes accompagnent cette activité à laquelle tous s’appliquent
très consciencieusement. Le percussionniste  placé en bout de
table impulse le rythme et donne du coeur à l’ouvrage.

Soudain, l’un des commis se  détache de la table pour entamer une
danse frénétique.

La cuisine, c’est bien parti, le spectacle aussi avec des séquences,
où, la table repoussée pour dégager l’espace, des danseurs de haut
niveau tels des athlètes qualifiés de même, viennent nous éblouir
par leurs prestations où l’énergie le dispute à la souplesse, à la
virtuosité, à la grâce.  Ils multiplient les effets, l’inventivité des
figures. C’ est stupéfiante, magnifique.

Parfois c’est un solo qui nous captive, parfois ils sont ensemble,
par deux, par trois ou quatre, se défiant, s’approchant l’un de
l’autre jusqu’au contact, en complicité, en rivalité. Il y a là,  le
togolais Anani Dodji Sanouvi, le coréen Moonsuk Choi, Koen
Augustijnen de Belgique tous et bien sûr, Omar Rajeh avec leur
particularité culturelle. Les musiciens, Ziad Ahmadie, Samir Nasr
Eddine, Ziyad Sahhab scandent leur gestuelle au rythme  de l’oud
appuyés par le percussionniste Youssef Hbeisch les soutiennent
dans leur performance, les propulsent semble-t-il  jusqu’au
paroxysme de ce que leur corps réussit à effectuer.

On les attend encore quand ils s’arrêtent pour reprendre, derrière
la table  leur travail de cuisinier. On les voudrait encore, danseurs
et musiciens quand ils nous invitent à partager le repas nous
offrant les premières assiettes pleines de cette salade aux

légumes variés, aux multiples couleurs et saveurs.

Puis les spectateurs sont invités à venir se servir. Alors on y va et
on déguste salade fraîche, plat chaud de lentilles et haricots et on
peut même boire un petit raki !

C’est vivant, joyeux, abondant, convivial. Le public a du mal à
quitter le plateau, du coup, ceux qui se sont rassis ne voient pas
trop  » l’invitée surprise  » qui exécute d’habiles figures  et de
parfaites voltiges. Finalement, danseurs et musiciens reprennent
leurs danses, leurs joutes. On a l’impression d’être sur la place
d’un village en fête.

Un spectacle étonnant, ludique qui apporte lumière, soleil et
chaleur humaine, dans ces nuits de grisaille et de froidure.

Par Marie-Françoise Grislin