Carte Noire Nommée Désir

De Rébecca Chaillon Cie Le Ventre

Dans le cadre  du Focus Carte Noire : L’Afro-Féminisme sur scène et
après  » Mailles  » un deuxième spectacle était programmé, celui-ci au
Maillon. Le titre, il va sans dire, n’est pas innocent  et constitue un
vrai programme, étant un clin d’oeil au slogan publicitaire des
années 90. Il nous plonge d’emblée dans les problèmes du
 » Comment on regarde les femmes noires, ce que sont le sexisme et
le racisme « .

Nos premiers regards se posent justement sur une femme noire en
train de passer la serpillère, le corps à moitié nu, pendant qu’une
autre fait de la poterie et qu’une troisième sert des cafés à un
groupe de spectateurs assis en fond de scène.

Après cette mise en lumière des travaux traditionnellement
réservés à des employées le plus souvent exploitées, on suit une
longue scène où la  » potière  » lave le corps de la  » femme de ménage  »
assise sur un tabouret. Il s’agit d’une toilette très méticuleuse qui
n’oublie aucune partie du corps suivie de la fabrication d’une tresse
très longue, très épaisse, très lourde, symbole du poids de la
servitude, des préjugés.

Ainsi  s’organisent entre les huit interprètes (Bebe Melkor-Kadior,
Estelle Borel, Rébecca Chaillon, Aurore Déon, Maëva Husband, en
alternance avec Olivia Mabounga, Ophélie Mac, Makeda Monnet,
Fatou Siby) des scènes évocatrices de la vie de ces femmes noires
qui ont été , des  » boniches « , des esclaves sexuelles, en raison de leur
corps considéré comme attirant, sauvage, exploitable. Des images
s’imposent à contre-courant de ces clichés, à la fois pour se
réapproprier leur corps et pour narguer ces états de soumission,
comme celle d’une femme qui se promène en portant sur ses épaules
un long bâton sur lequel sont embrochés une ribambelle de poupons
blancs. Un pied de nez à la nounou, brave fille méthodiquement
exploitée.

Pour que le public ne soit pas en reste, elles lancent un jeu dans le
style  » questions pour un champion « , sollicitant des réponses sur
l’histoire du colonialisme. C’est un franc succès et prouve que des
connaissances en la matière existent bel et bien, engageant du
même coup notre responsabilité.

C’est un spectacle iconoclaste et manifestement politique. Si les
corps des femmes sont souvent nus ce n’est pas pour s’offrir à la
concupiscence des regards mais pour affirmer une identité, une
dignité fortement et justement revendiquées le refus des attendus
de la domination masculine et blanche.

Devant l’audace et la détermination qui marquent cette
démonstration, le public a reçu le spectacle avec compréhension et enthousiasme.

Marie-Françoise Grislin

Représentation du 11 décembre 2021