John Eliot Gardiner : « Bach était un homme qui doutait »

© Maciej Gozdzielewski
© Maciej Gozdzielewski

A l’occasion de la conclusion du Dixit Dominus tour de l’English Baroque Soloists et du Monteverdi Choir mais également profitant de la sortie de plusieurs enregistrements et de la parution de sa biographie de Jean-Sébastien Bach (Musique au château du ciel, Flammarion), le chef d’orchestre britannique John Eliot Gardiner était à Paris. Considéré comme l’un des plus grands chefs d’orchestre en activité, ancien directeur de l’opéra de Lyon et ayant dirigé les plus grandes formations musicales, ce grand spécialiste de la musique baroque revient sur Bach, la musique romantique et la France.

Comment est né ce livre ?

Je dois vous avouer tout d’abord qu’il est mille fois plus facile de diriger Bach que d’écrire sur lui. Ce travail d’écriture m’a pris douze ans. En tant que directeur de la fondation des archives Bach, j’ai également eu accès à certaines sources directes dans les librairies même si la vie de Bach est tellement difficile à cerner car il y a peu de sources écrites. Il a également caché beaucoup de choses sur sa vie privée. Par exemple, j’ai découvert qu’il était un mauvais élève, souvent absent. Mais une chose est certaine : mon approche de Bach a été complètement modifiée par ce travail. J’y ai découvert un être plus humain, très amical avec les jeunes musiciens. La demeure des Bach était ainsi un carrefour de tous les musiciens venant de Dresde ou d’Italie.

Bach vous accompagne donc depuis toutes ces années…

Oui et même depuis tout jeune car mes parents possédaient à la maison grâce à un concours de circonstances le seul portrait officiel de Jean-Sébastien Bach (celui d’Haussmann). Donc, il a partagé ma vie dès mon plus jeune âge. Puis, à partir de 12 ans, j’ai commencé à chanter ses motets. Mais c’est surtout durant mon pèlerinage où j’ai joué toutes les cantates en 2000 que j’ai commencé à envisager l’écriture de ce livre.

A quoi fait référence le titre de votre ouvrage, Musique au château du ciel ?

Il s’agit en fait de la chapelle dissimulée sous une coupole de l’église de Weimar où étaient interprétées ses œuvres et la musique descendait tel un parfum. J’ai d’ailleurs essayé de montrer dans mon livre combien les conditions de travail de Bach étaient difficiles à Leipzig entre le froid, le bruit perpétuel durant les interprétations de ses cantates. Mais c’est également une métaphore de sa musique, de cette vie après la mort où tout est parfait.

Votre biographie montre également à travers sa musique qu’il y a le croyant mais également l’homme.

Oui, tout à fait, Jean-Sébastien Bach était bien entendu croyant. D’ailleurs, le cœur de sa musique, c’est les cantates et il y a un intérêt particulier dans chacune d’entre elles. Il n’est d’ailleurs par étonnant que sa première nécrologie mentionne en premier lieu ses cantates. Mais Jean-Sébastien Bach était également un homme qui doutait et sa vie est une lutte permanente entre le croyant et le musicien car en bon luthérien, il aimait bien vivre, bien manger et pouvait sympathiser avec ceux qui avaient des doutes religieux.

Deux de ses fils étaient plus célèbres que lui de son vivant. Quels étaient les relations musicales qu’entretenaient Jean-Sébastien Bach avec ses fils ?

Leurs relations étaient pleines de respect mutuel. Dans le dernier volume des œuvres complètes, on retrouve ainsi une correspondance entre le père et Wilhelm Friedemann où les deux hommes composent à distance une fugue. N’oubliez pas que Bach a perdu ses parents, deux de ses frères et dix de ses vingt enfants. Et malgré ces deuils qui auraient pu marquer à jamais sa musique d’une certaine amertume, celle-ci, en particulier sa musique funéraire est d’une luminosité, d’un réconfort extrêmement touchant. Il y a véritablement une bénédiction dans cette musique que je trouve magnifique.

Vous fêtez également cette année le 25e anniversaire de l’Orchestre Révolutionnaire Romantique que vous avez fondé. On sait que vous êtes un ardent défenseur de Berlioz

Oui, j’ai toujours apprécié la musique romantique notamment Berlioz. Je fais partie en cela d’une tradition britannique de chefs d’orchestres qui va de Thomas Beecham à Colin Davis et qui ont toujours défendu avec passion la musique de Berlioz qui, avec celle de Rameau, ne sont pas appréciées à mon sens à leur juste valeur en France. J’ai d’ailleurs été le premier à donner dans son intégralité les Troyens en 2003 sur des instruments d’époque. Ce fut une aventure magnifique.

Les Français ont-ils des problèmes avec leur musique nationale ?

Peut-être. C’est d’ailleurs paradoxal pour un peuple réputé dans le monde entier comme le plus chauvin. Lorsqu’il s’agit de musique française, vous ne la défendez pas assez. Prenez par exemple l’œuvre de Jean-Philippe Rameau. Lorsque j’ai dirigé les Boréades par exemple, le public parisien a haussé les épaules. Maintenant tout le monde joue Rameau et je suis content !

Après Bach, avez-vous d’autres projets d’écriture ?

Oui (silence), j’aimerai écrire un ouvrage sur les Français (rire). Mais en cette année d’anniversaire du Monteverdi Choir, j’ai l’idée d’écrire sur la vie de Claudio Monteverdi.

A lire : John Eliot Gardiner, Musique au château du ciel, Flammarion, 2014
A écouter : Beethoven, Symphonies No.2 & 8, ORR, live at Cadogan Hall, Soli Deo Gloria, 2014
Mendelssohn, Symphonie No. 3 ; Schumann, Concerto pour piano (Marie Joao Pires), LSO, 2013
Vigilate ! œuvres de Peter Philips, Robert White, Thomas Tallis, William Byrd, Thomas Morley, Thomas Tomkins, Monteverdi Choir, John Eliot Gardiner, Soli Deo Gloria, 2014

Interview du chef d’orchestre britannique John Eliot Gardiner par Laurent Pfaadt pour hebdoscope, novembre 2014

« Hebdoscope présente ses excuses à Maciej Gozdzielewski pour avoir omis qu’il était l’auteur de cette photographie »