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#Lecturesconfinement : Les enfants vont bien de Nathalie Quintane par Arnaud Laporte

Dans ses premiers livres, Nathalie
Quintane se faisait orfèvre, en
montant et assemblant des
fragments, des phrases, des bouts
de récits, pour évoquer des
éléments constitutifs de notre
imaginaire commun, de Jeanne
d’Arc à l’autobiographie, en
passant par le monde du
commerce.

Quintane s’intéresse tout
particulièrement à ce que l’on
appellera, pour faire simple, les
injustices sociales. Ce que je trouve particulièrement
impressionnant avec Nathalie Quintane, c’est sa capacité à trouver
la forme adéquate avec son propos, une forme sans cesse en
mouvement, d’un livre à l’autre, mais toujours la plus juste possible.

Les enfants vont bien est sorti en novembre 2019. C’est un livre de
montage.

Il y a, bien entendu, une différence de taille entre telle ou telle
phrase des présidents de la République ou de leurs ministres de
l’Intérieur déclarant tous, invariablement, année après année et
quelle que soit leur « couleur » politique officielle, qu’il faut « faire
preuve de fermeté » et les batailles incessantes auxquelles se livrent
les réseaux d’aide pour obtenir de quoi chausser, de quoi nourrir, de
quoi mettre à l’abri, ne serait-ce que pour quelques jours, une
famille. Tout le monde n’est pas à mettre dans le même sac – ce livre,
aussi bien, n’est pas un sac.

Chaque fragment a, sur la page et selon sa provenance, une place et
une typographie attribuées : le cynisme et l’opportunisme sans frein
des hommes politiques ont la leur, tout en haut ; puis,
successivement, l’apparente neutralité des textes de loi ; la gestion
administrative à la fois débonnaire et implacablement
bureaucratique et dirigiste des centres d’accueil ; la routine
éditoriale de la presse quotidienne ; et, un peu à part – parce que le
vocabulaire, la syntaxe, la ponctuation n’ont pas le même ton et
témoignent d’une vision réellement différente de la situation –,
l’expression de la ténacité, de la fatigue, du découragement des
réseaux d’aide a sa place, en bas de page…

Ce livre n’est donc pas un récit, il ne raconte pas l’histoire des
réfugiés en France entre 2014 et 2018 ; pourtant, vous pourrez, à la
lecture, suivre sans peine une progression lacunaire, une
chronologie trouée, commençant par l’ouverture d’un centre
d’accueil en province.

L’essentiel se joue, comme pour les réfugiés (et pour nous tous), dans
l’implicite, dans ce qui n’est pas dit – l’officieux, le négociable et le
non négociable, le papier qu’on a, qu’on n’a pas, dont on vous dit que
vous l’aurez et qui ne vient jamais et dont, parfois, vous doutez de
l’existence même.

Ceci posé, qu’est-ce que ce dispotifif procure comme sensation pour
le lecteur ?

Il procure d’abord de la liberté.

On peut le lire page après page

On peut aussi choisir de lire section par section, en commençant par
le haut, par le bas, ou par le milieu.

C’est une autre sorte de ruissellement qui est montré, noir sur blanc,
sur la page. Il y a la parole politique, qui vient d’en haut, et qui écrase
tout le reste, car en dessous, on trouvera des textes de lois ou de
réglementation, les discours médiatiques puis en bas, en tout petit,
les mots de celles et ceux qui sont sur le terrain, au plus près des
migrants.

Parce que ce livre montre en creux une parole absente : celle des
migrants. Une parole absente pour dire aussi une invisibilité, alors
même que tant et tant de gens ne parlent que de ces personnes.
Pourtant, on ne les entend pas, ou si peu. Personne ne leur donne la
parole, ou si peu.

Ils obsèdent notre société, et c’est en même temps comme si leur
existence, leur être été niés.

Et ces autres paroles, celles relevées par Nathalie Quintane, les
assignent à cette place, la plus mauvaise, celle du coupable, mais un
coupable qui est aussi une victime.

C’est donc un livre politique, en ceci qu’il montre combien la parole
d’en bas est inaudible pour les étages d’au-dessus, ceux-là même qui
sont en capacité de changer le réel. Mais de ce réel, ils sont
déconnectés.

C’est un livre politique, poétique, littéraire.

C’est à vrai dire très difficile de parler de ce livre, tant il agite de
questions.

Mais c’est bien cela que l’on attend d’un livre, non ?

Il me faut aussi dire, ce qui n’est pas évident si vous ne l’avez jamais
lu, et que vous la découvrez au travers de mes propos, que les livres
de Nathalie Quintane sont drôles, à leur façon. Drôle d’une ironie
mordante, drôle d’un humour très noir.

Ici, il y a des phrases tellement hors-sol, comparées à la réalité du
bas de page, que l’on ne peut parfois qu’en rire, avec un énorme
frisson dans le dos.

Arnaud Laporte est journaliste, producteur de l’émission La Dispute
sur France Culture.

Les enfants vont bien de Nathalie Quintane (P.O.L)
par Arnaud Laporte