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Une vérité qui dérange

KatynBernie Günther mène l’enquête en terre soviétique.

On avait laissé à Prague l’inspecteur de la Kripo, la police nazie, Bernie Günther, héros des romans désormais célèbres de Philip Kerr. Notre policier favori, tiraillé par sa conscience, démêlait l’écheveau du meurtre de l’un des proches de Reinhard Heydrich, l’un des hommes les plus puissants du Troisième Reich.

C’était en 1942 et la Wehrmacht volait alors de victoires en victoires. Mais depuis, la défaite de Stalingrad est intervenue. Commençait alors sous les coups de boutoirs de l’Armée rouge, l’agonie de l’armée allemande en terre soviétique. Au cours de cette retraite qui allait prendre l’aspect d’un calvaire, dans les forêts glacées de Biélorussie, près du village de Katyn, les Allemands découvrent un charnier d’officiers polonais qui visiblement ont été exécutés.

Et à la défaite militaire, le ministre de la propagande, Joseph Goebbels, lance une contre-offensive médiatique. Pour lui, Katyn est une aubaine. Günther est donc envoyé sur place, à Smolensk, pour faire la lumière sur ce meurtre de masse.

Dans cette atmosphère qui pue la mort et la charogne et où les morts et les fantômes ne se rencontrent pas uniquement dans les fosses communes, Günther se retrouve très vite pris entre sa volonté de révéler la vérité et son devoir moral de promouvoir un régime qu’il déteste car il sait bien que ce massacre a été perpétré par le NKVD de Beria (que les Soviétiques imputeront aux nazis après la guerre).

Une nouvelle fois, Philip Kerr parvient à restituer à merveille cette dichotomie qui agite en permanence son héros et traverse tous ses romans. Cette dimension contribue d’ailleurs grandement à la réussite de ce nouvel opus.

Le décor de cette nouvelle enquête où le silence des morts côtoie la fureur des combats ajoute avec bonheur à la dramaturgie du roman. Günther se confronte enfin à la guerre, bien loin de ses enquêtes précédentes entre salons praguois ou ruelles berlinoises mal famées. Ici, arbres morts, paysages enneigés construisent une ambiance de désolation qui n’est pas sans rappeler l’extraordinaire Empereurs des ténèbres d’Ignacio del Valle (Phébus, 2010).

A Smolensk, Günther se rend vite compte qu’il se trouve au milieu d’un piège qui chaque jour se referme sur lui car il dépasse le simple cadre du front russe. Pour s’en sortir et faire surgir la vérité, notre inspecteur de la Kripo devra tirer tous les fils de cette nouvelle enquête en forme de toile d’araignée que Kerr a une nouvelle fois construite de main de maître. Pour notre plus grand bonheur.

Philip Kerr, les ombres de Katyn, JC Lattes-Le Masque, 2015

Laurent Pfaadt