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Sous l’oeil des muses

Un coffret revient sur les grands moments de la Mozartfest de Würzbourg

Kaisersaal of the Residenz
© Oliver Lang

Amadeus signifie en latin « Aimé de Dieu ». Ainsi depuis un siècle, les
muses des fresques de Tiepolo veillent, dans la résidence princière
de Würzbourg sur ce Mozart célébré par les hommes. Elles inspirent
aux solistes et aux chefs des moments d’exception et aux
spectateurs des instants d’éternité. A l’occasion de la célébration en
2021 de son centenaire, la Mozartfest, qui se réunit à chaque fin de
printemps dans la résidence du prince-évêque a ainsi édité un
coffret rassemblant pour la première fois, des enregistrements
inédits. Couvrant une période allant de 1954 à 2020, ces disques
constituent autant de témoignages uniques sur le rapport
qu’entretiennent de grands artistes de la musique classique avec le
plus célèbre des compositeurs.

Concerts symphoniques ou récitals, les surprises ne manquent pas. Il
y a bien évidemment les grandes symphonies et œuvres
orchestrales : La Jupiter par le Symphoniorchester des Bayerischen
Rundfunks menée par un Lorin Maazel maniant la baguette comme
un foudre, la 30e par un Kleiberth inspiré, et ce délicieux
divertimento plein d’entrain signé Il Giardino Armonico; les grands
concertos par les plus grands mozartiens, notamment ce 20e
concerto pour piano d’anthologie par un Brendel au somment de son
art et ce 5e concerto pour violon par une Ana Chumachenco virevoltante. Les grands airs lyriques semblent, quant à eux,
directement descendre des fresques. Qu’ils soient profanes avec
Erika Köth dans l’Enlèvement au sérail en compagnie d’Eugen Jochum
et avec Krassimira Stoyanova dans ce récitatif et rondo pour
soprano et orchestre, ou sacrés avec cette joie de retrouver la voix
de Lucia Popp dans cet enregistrement de 1981 de la Grande messe
qui offre un merveilleux écho, à vingt ans d’intervalle, avec une autre
grande voix mozartienne, celle de Diana Damrau, tous ces disques
émerveillent l’auditeur de leurs beautés.

La musique de chambre n’est pas oubliée, loin de là et les habitués
des Mozartfest se rappelleront, à n’en point douter, les souvenirs de
ces dernières années lorsqu’ils eurent la chance d’écouter une jeune
Veronika Eberle au talent si prometteur dans ces magnifiques
nocturnes pour violon, alto et piano en 2013 et, il y à peine un an et
demi, l’incroyable pianiste allemande surdouée, Ragna Schirmer
dans cette huitième sonate à donner le tournis.

Un coffret nécessaire donc à tous les amoureux du grand Mozart. Un
coffret pour patienter avant de retrouver les muses, celles des
fresques et celles des scènes et qui, chacune à leurs manières et
peut-être ensemble, font tourner les têtes et chavirer les cœurs.
Rendez-vous donc fin janvier avec l’annonce de la programmation de
la Mozartfest 2022.

Par Laurent Pfaadt

Wolfgang Amadé Mozart, Imperial Hall Concerts, Live from the Residence, First release, Orfeo
BR Klassik, 100 Jahre Mozartfest, Würzburg, 6 CD.

Miserere

Arvo Pärt est très certainement l’un des plus grands compositeurs
vivants. Son énorme production placée sous le signe du mysticisme
et de la méditation explose littéralement dans ce Miserere. De cette
œuvre musicale composée d’après le Psaume 51, « Miserere mei,
Deus »« Ô Dieu, aie pitié de moi », tout le monde a en tête la version
d’Allegri. Mais celle d’Arvo Pärt, composée initialement en 1989 et
révisée en 1992, n’a rien à envier à son lointain modèle, bien au
contraire.

Dotée d’une puissance émotionnelle absolument prodigieuse portée
par un orchestre très inspiré et qui fait oublier la version de
référence du Hillard Ensemble, cette version du Miserere, œuvre
que Nanni Moretti utilisa dans son film Habemus Papam est
véritablement portée par la grâce. Le caractère minimaliste de son
écriture, loin d’appauvrir l’œuvre, la transcende au contraire,
produisant un effet émotionnel similaire à celui de la troisième
symphonie de Górecki. Quant à son Dies Irae, il est bienveillant,
impérieux sans être punitif.

Une œuvre à posséder assurément dans sa discothèque.

Par Laurent Pfaadt

Arvo Pärt, Miserere, Chor des Bayerischen Rundfunks, Münchner Rundfunkorchester, dir. Howard Arman
Chez BR Klassik

Mariss Jansons

Voilà plus d’un an, le
30 novembre 2019,
Mariss Jansons, l’un
des plus grands chefs
d’orchestre de la fin
du 20e et du début du
21e siècle, était
emporté par une
crise cardiaque. Trois
semaines plus tôt, il
donnait son dernier
concert à la tête de
cet orchestre qu’il
affectionnait tant, le Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, l’orchestre de la
radio bavaroise, à New York dans le magnifique écrin du
Carnegie Hall.

Avec Strauss et Brahms, Jansons avait choisi le répertoire
germanique. Le ton y est toujours juste, les équilibres sont parfaits,
notamment dans cette quatrième de Brahms où les cuivres donnent
une respiration très vivante. Quant à son Strauss, il est brillant. Pas
inventif mais intense tel qu’il devait l’être à l’origine. Il y a là la
marque d’une grande baguette, celle qui a côtoyé le grand
Mravinsky à Leningrad et qui a fait du Concertgebouw et du
Bayerischen Rundfunks, des phalanges musicales admirées et
acclamées. A l’image de cette symphonie de Brahms, Jansons
raconte plus qu’il n’interprète. Sa musique tisse un hymne à l’histoire
de cette musique qu’il servit admirablement, inscrivant là ses pas
dans ceux du grand Giulini qu’il est allé rejoindre dans notre
mémoire.

Par Laurent Pfaadt

Mariss Jansons, His Last Concert, Live at Carnegie Hall,
BR-Klassik

CD du mois

Franz von Suppé,
Ouvertüren,
Munchner
Rundfunkorchester,
dir. Ivan
Repušić

Tout le monde
connaît Franz von
Suppé, compositeur
emblématique de la
grande tradition
viennoise au côté
d’un Johann Strauss, avec sa fameuse Cavalerie légère (1866), prompte à transformer
n’importe quel orchestre en fanfare militaire. Ce roi de l’opérette – il
en composa près de trente – possédait d’autres cordes à son arc
comme en témoigne cette anthologie regroupant plusieurs
ouvertures.

L’orchestre de la radio de Munich, petit frère du
Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, sous la conduite
de son nouveau chef, Ivan Repušić, nous fait ainsi découvrir les
différentes facettes de ce compositeur. Si certaines ouvertures
telles que la belle Galathée ou la Dame de Pique avec leur explosivité
bien maîtrisées au demeurant par un orchestre et un chef très
inspirés sont de beaux exemples de cette musique pompeuse
viennoise, certaines d’entre elles, en revanche, comme Boccacio
évoquent plus un Rossini. Une belle découverte.

Par Laurent Pfaadt

Chez BR Klassik

Opéra funèbre

©Peter Meisel
©Peter Meisel

Le Requiem de Verdi réinventé.

Chaque nouveau disque de l’orchestre de la radio bavaroise conduit par Mariss Jansons est attendu avec impatience et constitue toujours un évènement. On garde encore à l’esprit l’extraordinaire intégrale des symphonies de Beethoven mis en miroir avec des oeuvres contemporaines. Et il faut dire qu’à chaque fois, on n’est pas déçu, comme en témoigne cet enregistrement du Requiem de Verdi.

Immédiatement, dès le Kyrie, ce qui frappe, c’est l’approche de Jansons. On est loin de ces interprétations fracassantes, puissantes, peut-être parfois trop lourdes où la dramaturgie et la dimension culpabilisatrice de Dieu et de son jugement est souvent portée à son paroxysme. Ici, rien de tout cela. Même le Dies Irae, symbole même de la colère divine, n’a pas la violence musicale retenue habituellement. Certes, les timbales battent la mesure mais elles témoignent surtout de la toute-puissance de Dieu.

Lentement, l’oeuvre s’apparente alors à un voyage vers l’au-delà, sur une sorte de barque musicale rythmée certes par quelques tempêtes, mais toujours bienveillant. L’orchestration menée par l’un des meilleurs orchestres du monde est une fois de plus brillante et son chef, qui a annoncé son départ du Concertgebouw d’Amsterdam, y veille scrupuleusement. Il faut dire que l’on attendait depuis longtemps au disque sa vision du répertoire italien. A l’opposé d’un Gergiev par exemple, Jansons n’abuse pas des cuivres et fait intervenir l’orchestre quand cela est nécessaire tantôt avec les percussions, tantôt avec le basson, instrument funèbre par essence.

Mais surtout, le chef donne toute sa place au choeur. Celui de l’orchestre de la radio bavaroise est parfait, jouant un rôle non plus secondaire d’accompagnateur mais de premier plan. Véritable personnage à part entière de l’oeuvre, le choeur est une sorte de coryphée à lui tout seul, accompagnant une pléiade de chanteurs.

On ne comprend alors les choix des chanteurs qu’à travers la vision musicale de Mariss Jansons. Ainsi, le choix de Saimir Pirgu à la tessiture si italienne ne se comprend qu’à travers cette conception de l’oeuvre qui fait du Requiem, non pas une pièce isolée de musique sacrée dans l’oeuvre de Verdi, mais un opéra funèbre. Orlin Anastassov, qui a récemment triomphé dans le Barbier de Séville à Paris, est une nouvelle fois à la hauteur de sa réputation dans cette oeuvre qu’il connaît particulièrement bien pour l’avoir interprété avec Chailly, Prêtre, Maazel ou Davis. On touche ainsi au sublime dans le Confutatis. Les deux chanteuses sont également exceptionnelles, Krassmira Stoyanova excellant une fois de plus dans le répertoire sacré et Marina Prudenskaja, premier prix au concours international de l’ARD en 2003, dont le magnifique timbre de voix d’une densité incroyable illumine le Requiem et contribue à le rendre si sensible et captivant.

Ce disque constitue un nouveau témoignage du génie de Jansons. Avec cette interprétation singulière du Requiem de Verdi qu’il transforme en opéra funèbre, le maestro marque à nouveau le répertoire de son empreinte indélébile.

Giuseppe Verdi, Messa da Requiem, Chor und Symphonieorchestrer des Bayerischen Rundfunks, Krassimira Stoyanova, Marina Prudenskaja, Saimir Pirgu, Orlin Anastassov, (dir) Mariss Jansons, BR Klassik, 2014.

Laurent Pfaadt