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Rencontre au sommet

rollandCharles Péguy raconté par
Romain Rolland. Sublime

C’est souvent dans les librairies que naissent les plus belles histoires littéraires. A Paris, dans celle de la rue Cujas dans le Ve arrondissement, près de la Sorbonne, vit la rencontre de deux monstres sacrés de la littérature française. Car c’est en poussant la porte de la librairie de Charles Péguy que Romain Rolland y rencontra son destin qui devait le mener au Prix Nobel de littérature en 1915.

Toute l’histoire de ce livre commence ici, entre les manuscrits des Cahiers de la quinzaine et les épreuves des Loups de Rolland. Mais en cette année 1898, les préoccupations sont ailleurs car la France est secouée par l’affaire Dreyfus. Nos deux héros ont pris fait et cause pour le capitaine et se lancent à corps perdu en compagnie d’autres apôtres de la justice (Zola, Blum, Jaurès) dans cette cause magnifique.

Romain Rolland revient d’ailleurs assez longuement sur l’amitié entre Péguy et Jaurès qui allait se muer au fil du temps en opposition puis en haine notamment à propos de la question de l’anticléricalisme. Et ces deux hommes, ces deux grandes figures de notre histoire ne se survécurent que de quelques semaines.

Ce livre va bien au-delà de la simple biographie. Elle raconte parfois de façon assez sévère ces relations qui sont allées bien au-delà de l’amitié indéfectible entre Romain Rolland et Charles Péguy et permet, plus qu’aucune biographie d’historien, de pénétrer l’âme de son sujet, cette âme si grandiose de Charles Péguy, façonnée par la grandeur de la République et de ses idéaux de justice et de tolérance, ainsi que son rejet du capitalisme et sa dimension annihilatrice.

En tournant les pages de ce livre, on comprend sous la plume de l’auteur de Quatorze Juillet que Péguy fut une sorte de Robespierre des lettres, être inclassable, unique, incorruptible au sens premier du terme dont l’idéalisme se mua en idéologie totale. « Il était l’homme des idéalisations lyriques – absolues – sans nuances (…) Ses vues de tout étaient extraordinairement étroites et fortes. Cette puissance de resserrement et d’exclusion lui conférait parfois une lucidité foudroyante qu’il projetait dans une direction unique, sur un seul point » écrit Rolland.

Mais surtout, elle remet Péguy à sa juste place dans notre histoire. Non, Charles Péguy ne fut pas le héraut d’un conservatisme et d’une droite réactionnaire qui se compromit sous Vichy. Romain Rolland pose alors cette question : et s’il avait vécu ? « Il eût donc fallu pour Péguy se soumettre ou rompre. Qui, le connaissant, pourrait penser qu’il se fût soumis, qu’il eût répudié ses admirations et ses antipathies ? »

Après les évènements tragiques de Charlie Hebdo et de l’hyper casher, il est nécessaire de relire le Péguy de Romain Rolland car la voix du grand homme, mort le 5 septembre 1914, a retenti ce 11 janvier 2015, dans un formidable cri national, ce cri qu’il avait nourri de ses engagements et de ses écrits au service des causes qui transcendent l’humanité.

Romain Rolland, Péguy, éditions La Découverte, « les empêcheurs de penser en rond », 2015.

Laurent Pfaadt