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#Lecturesconfinement : La chambre des échos de Richard Powers par Frédérique Deghelt

« À la tombée de la nuit, les grues se
posent en flot continu. Par ruban, elle
déroulent leurs trajectoires
descendantes, lâches sur le fond du ciel.
De tous les points de l’horizon, elles
arrivent par flottaison de douze et
tombent avec le jour. Des populations
de Grus Canadensis s’installent sur la
rivière en dégel. Elles s’amassent sur les
bancs de sable où elles grappillent,
battent des ailes et trompettent :
première vague d’un exode massif. »

 
C’est le grand talent de Richard
Powers. La seule vraie preuve d’un grand écrivain… Qu’il vous
raconte une histoire issue du monde des musiciens, de celui des
militants écologiques défenseurs des arbres ou des folies des
informaticiens de la Sillicon Valley, vous y êtes. Vous ressentez
profondément ce monde qui n’est pas le votre mais que l’écrivain
vous fait éprouver. Vous êtes le héros, ou l’un de ceux qui le côtoie,
vous relevez la tête de temps en temps, hébété de vous retrouver
soudain dans votre fauteuil ou dans votre lit car vous vous trouviez
la seconde d’avant dans ce monde que Richard Powers vous balance
dans ses lignes, entre les lignes, entre les pages, tout autour de la
couverture et au delà.

Encore une fois, La chambre aux échos, tout comme Le temps où nous
chantions
 ou L’arbre monde distille cette immense sensation de
lecture et d’immersion.

Cette chambre aux échos va longtemps résonner en vous (voire
raisonner en vous).

Et, à part ça, c’est l’histoire d’un homme qui a un accident de voiture
et perd la mémoire de sa sœur… Le résumé officiel dit : 
Par une nuit
d’hiver, sur une petite route du Nebraska, Mark Schluter est victime
d’un grave accident de voiture. Sa sœur aînée, Karin, revient dans sa
ville natale pour être à son chevet. Mais lorsque Mark sort du coma,
il semble ne plus la reconnaître. Karin fait alors appel à Gerald
Weber, un célèbre neurologue, spécialiste des troubles singuliers du
cerveau.

Récompensé par le 
National Book Award, 
La chambre aux échos est
un fascinant voyage au cœur de l’esprit humain. Tout comme le
voyage des grues au cœur du ciel migratoire.
Frédérique Deghelt est écrivaine, auteure de nombreux romans
dont La vie d’une autre (Actes Sud, 2007) portée à l’écran par Sylvie
Testud. Dernier livre paru : Sankhara (Actes Sud, 2020)
La chambre des échos de Richard Powers (Cherche-Midi)
par Frédérique Deghelt

#Lecturesconfinement : La Nueve, 24 août 1944, ces Républicains espagnols qui ont libéré Paris d’Evelyn Mesquida par Alberto Toscano

Le livre La Nueve, 24 août 1944, de la
journaliste et écrivaine espagnole
Evelyn Mesquida, m’a révélé une
aventure extraordinaire, longtemps
méconnue dans l’histoire française :
l’importante participation des
Espagnols à la Libération de Paris.

Après s’être battus dans leur pays,
plus de 500.000 républicains
espagnols se sont refugiés en France
en 1939, pour échapper à la
vengeance de Franco. Placés dans
des camps d’internement, plusieurs
milliers d’entre eux s’engagèrent dans les forces de la France libre du
général de Gaulle. Le soir du 24 août 1944, ces hommes intégrés
dans la 9e compagnie (la Nueve en espagnol) de la 2e Division Blindée
du général Leclerc et commandée par le capitaine français Dronne
jouèrent un rôle fondamental dans la libération de Paris. Le
lieutenant espagnol Amado Granell et d’autres combattants de la
Nueve
, furent les premiers à arriver à l’Hôtel de ville, marquant ainsi
le tournant décisif de la bataille dans les rues de la capitale. Sur les
160 membres de la 9ème compagnie, 146 étaient Espagnols. Les
ordres étaient donnés en espagnol et leurs véhicules portaient les
noms des batailles remportées par les républicains contre les forces
de Franco. Ainsi, le premier véhicule militaire qui arriva à la place de
l’Hôtel de ville s’appelait « Guadalajara ».

A cette histoire extraordinaire des hommes de la Nueve s’ajouta
celle du travail réalisé par son auteure, Evelyn Mesquida, elle-même
fille d’un ancien combattant de la République espagnole. Arrivée à
Paris en 1977, Evelyn Mesquida est la doyenne des correspondants
de la presse espagnole en France et a été, entre autres, la présidente
de l’Association de la Presse étrangère. En 1998, réalisant un
reportage, elle rencontra un ancien combattant de la Nueve et
découvrit l’histoire de ces hommes oubliés. La journaliste continua
son activité en tant que correspondante de l’hebdomadaire
espagnol Tiempo, mais travailla également à ce qu’elle considérait
comme une injustice : l’oubli des Résistants espagnols dans la
mémoire collective des combats de la Deuxième Guerre Mondiale.

Il y a une vingtaine d’années, Evelyn Mesquida partit à la recherche
des survivants de la 2ème DB en général et de la Nueve en particulier.
Elle en retrouve certains, installés dans dans diverses régions de
France et tombés dans l’oubli. Ils lui racontèrent leurs histoires,
évoquant leurs compagnons disparus et leurs expériences de neuf
ans de combats (en Espagne, Afrique du Nord, Norvège, France,
Allemagne), à travers des photos et leurs nombreuses médailles
militaires. Certains menaient une existence paisible, tandis que
d’autres vivaient dans des conditions difficiles, parfois même
dramatiques. La ténacité d’Evelyn Mesquida et la présence de son
immanquable magnétophone constituèrent pour eux un moment de
joie dans une réalité de solitude.

Grâce à la sortie de ce livre (en espagnol, en français et en anglais), il
nous est possible de connaître cet épisode longtemps caché de
l’histoire de la libération de Paris à travers ces témoignages
extrêmement humains et intéressants, qui auraient été, autrement,
perdus.

Une fois à la retraite, Evelyn Mesquida multiplia son activité pour la
mémoire des républicains espagnols en France. Le 24 août 2004, son
acharnement se concrétisa avec une plaque portant la mention
« Aux républicains espagnols, composante principale de la colonne
Dronne » est inaugurée par la Mairie de Paris tout près de l’Hôtel de
ville, où se trouve désormais, côté Seine, le « Jardin des combattants
la Nueve ».

Le livre de Evelyn Mesquida est publié en France par les éditions du
Cherche Midi avec le titre La Nueve, 24 août 1944 et le sous-titré Ces
républicains espagnols qui ont libéré Paris
. Dans ces pages, l’histoire de
la Nueve
est relatée à travers les témoignages et les portraits de dix
espagnols de cette compagnie. La préface du livre est signée de
l’écrivain Jorge Semprun, selon lequel l’œuvre de cette journaliste
devenue aussi historienne demeure fondamentale pour comprendre
que ces résistants furent non une « poignée d’hommes » mais « des
dizaines de milliers qui luttèrent, dans tous les combats de l’armée
française »
.

Correspondant de la presse italienne à Paris depuis 34 ans, Alberto
Toscano a écrit plusieurs livres sur la relation franco-italienne. Parmi
eux Les Italiens qui ont fait la France de Léonard à Pierre Cardin
(Armand Colin, 2019)

La Nueve, 24 août 1944, ces Républicains espagnols qui ont libéré Paris d’Evelyn Mesquida (Cherche-Midi)
par Alberto Toscano

#Lecturesconfinement : ZOF de Jean-Christophe Berthain par Laurent Pfaadt

Trois lettres : ZOF pour Zone
d’Occupation Française, cet espace
allemand en forme de «soutien-gorge»
administré par la France au
lendemain de la défaite du Reich. Nid
d’espions en même temps que panier
de crabes, l’endroit est le terrain
privilégié de fonctionnaires véreux,
militaires revanchards et autres
crapules. Sous couvert de
dénazification, on y pratique la
chasse façon comte Zaroff et autres
humiliations dans un sinistre remake
de 1918.

C’est dans cette atmosphère douce-amère que débarque René
Valenton, gaulliste de la première heure, pour remettre un semblant
d’ordre avant la visite officielle du général de Gaulle. Aidé de son
acolyte alsacien Metzer, il va devoir démêler le vrai du faux dans
cette anarchie baroque. Jean-Christophe Berthain nous conduit
avec délice dans cette aventure à la OSS 117 où la tragédie des
blessures du passé côtoient l’incertitude d’un nouveau monde. Dans
cet opéra-bouffe où l’on croise collabos venus se refaire une
virginité, femmes énigmatiques et vrais-faux gaullistes mais
également Edgar Morin, Frédéric Joliot-Curie ou Pierre Bourdan,
toute cette histoire ne pourrait être qu’un divertissement plaisant si
derrière tout cela, l’auteur ne dressait pas subtilement le décor du
grand jeu à venir, celui où se mêlent quatrième république,
construction européenne et guerre froide.

ZOF de Jean-Christophe Berthain (Cherche-Midi)
par Laurent Pfaadt