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Du sang, des larmes et de la sueur

Soccer - Football League Division One - Liverpool v Leicester CityFresque footballistique et lyrique signée
Davide Peace. Du grand art.

Le rouge qui macule les romans de David Peace ressemble en général au sang des victimes de ses assassins notamment celui de sa formidable trétralogie du Quatuor du Yorkshire. Alors lorsque ce même rouge désigne le maillot de l’équipe de football de Liverpool, on a été un peu surpris. Mais cette surprise ne dure qu’un temps car on a vite plongé avec avidité dans son nouveau roman.

Rouge ou Mort est avant tout l’histoire d’un homme, Bill Shankly, l’entraîneur écossais mythique des Reds, surnom donné au Liverpool Football Club, sorte d’Alex Ferguson des années 60-70 qui allait emmener entre 1959 et 1974 le club du ventre mou de la seconde division anglaise aux sommets européens. A travers cet homme singulier connu pour son franc-parler – « dans un club de football, il y a une Sainte Trinité : les joueurs, l’entraîneur et les supporters. Les présidents n’en font pas partie. Ils sont juste là pour signer les chèques » – le lecteur revit une époque dorée de ce club mythique qui a écrit quelques-unes des plus belles pages sportives du sport anglais et européen. Les amoureux du ballon rond trouveront à ce titre matière à rêver et à frissonner dans ces reconstitutions littéraires de matchs gagnés ou perdus sur la pelouse d’Anfield en compagnie des supporters face à Leeds United, le Borussia Dortmund ou l’Inter de Milan. Ils y croiseront Ron Yeats surnommé « Colossus », Kevin Keegan ou le jeune Johann Cruyff qui reprennent vie sous la plume de Peace.

Mais le roman n’est pas une simple histoire de Liverpool, il va bien au-delà et c’est là sa grande force et son universalité. Rouge ou mort retrace une aventure humaine collective faîte d’abnégation et de souffrance comme on en fabrique plus de nos jours. Dans cette équipe où les joueurs gagnaient tous le même salaire, David Peace a trempé sa plume dans le charbon de ces mines du Lancashire pour nous conter l’histoire d’une utopie moderne.

Le football s’efface alors derrière une expérience humaine et le collectif tant vanté dans ce sport prend tout son sens, toute sa pertinence. David Peace qui n’a jamais caché ses convictions de gauche, délivre alors un message optimiste sur l’être humain, sur sa nature et les valeurs qui sont véhiculées par le football et qui traversent ce livre grandiose.

On comprend alors que la devise de Liverpool, « you’ll never walk alone » (« tu ne marcheras jamais seul ») n’était pas qu’un simple slogan car elle plonge dans ces couloirs obscurs des mines de charbon où les hommes ont construit ensemble un destin qui les engageait tous. A l’heure où l’individualisme et l’argent gangrènent nos sociétés et où le football n’en est que la pathétique vitrine, ce livre est une belle leçon de vie et montre que ce sport, s’il est universel, véhicula aussi des valeurs d’égalité, de solidarité et d’humilité. Aux hommes de le vouloir. C’est ce qu’avait parfaitement compris Bill Shankly, mort en 1981 et dont le dernier mot lui revient : «  la pression, c’est travailler à la mine. La pression, c’est être au chômage. La pression, c’est d’essayer d’éviter la relégation pour 50 shillings par semaine. Cela n’a rien à voir avec la Coupe d’Europe, le championnat ou la finale de la Cup. Ça, c’est la récompense. »

Tout est dit.

David Peace, Rouge ou mort, éditions Payot & Rivages, 2014

Par Laurent Pfaadt
Edition hebdoscope 1011, octobre 2014