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Une histoire d’imbroglios

D’une guerre à l’autre, le destin
de Maxime Weygand rappelle
que l’histoire française connut de
nombreux soubresauts.

On se souvient des mots de
Charles de Gaulle qui fut son sous-
secrétaire d’Etat en juin 1940 puis
son contempteur: « Weygand, était,
en effet, par nature, un brillant
second »
ce qui, dans la bouche du
général, a tout de la litote. Issu
d’un milieu conservateur et
catholique qui influença durablement ses choix, Maxime Weygand eut certes un parcours
atypique mais cela ne l’empêcha pas de se hisser durant le premier
conflit mondial et dans le sillage de Ferdinand Foch jusqu’au sommet
de la hiérarchie militaire. On le retrouva ainsi dans le wagon de
Rethondes, lisant à la délégation allemande les conditions
d’armistice. Pourtant, s’il se voulut le double de Foch, allant même
jusqu’à porter l’habit d’académicien de ce dernier, Weygand n’en fut
cependant que l’ombre. Max Schiavon, auteur d’un remarquable
ouvrage sur la guerre en Orient montre également que l’homme
inscrivit ses pas dans ceux d’un autre maréchal, Philippe Pétain.

Grace à de nouvelles archives inédites notamment privées, Max
Schiavon évite ainsi de tomber dans le piège de l’historiographie
gaulliste qui, très tôt, a voué Weygand aux gémonies. Il décrit un
personnage complexe, d’une très grande probité et ayant le service
de la nation chevillé au corps. Profitant de la disparition successive
des grands chefs militaires de la Première guerre mondiale et de la
disgrâce de Maurice Gamelin, le chef d’état-major, en 1940,
Weygand se retrouva aux avant-postes. Celui qui ne connut jamais
le feu dut ainsi éteindre le plus grand incendie qu’ait connu la France
contemporaine. Weygand contribua à précipiter la fin de la
Troisième République en favorisant l’armistice, puis soutint la
révolution nationale du maréchal Pétain tout en préparant la
revanche. Car Weygand demeura avant tout légaliste et en tant que
soldat, la préservation de l’honneur de l’armée constitua pour lui
une priorité, condition nécessaire selon lui au relèvement du pays.
Quitte à apparaître comme un Janus selon les mots de Charles
Zorgbibe dont le nouvel ouvrage, brillant, traite des liens étroits que
nouèrent en Afrique du Nord, la France de Vichy et les Etats-Unis.

Fidèle au maréchal et antiallemand, Maxime Weygand devint ainsi
très vite une alternative crédible pour des Américains qui ne voyait
en de Gaulle qu’un autocrate illuminé. Délégué général de la France
vichyste à Alger, Maxime Weygand entretint d’excellentes relations
avec l’envoyé spécial du président américain, Robert Murphy et
l’ambassadeur William Leahy. Mais l’influence croissante de la
faction pro-allemande conduite par Pierre Laval eut finalement
raison de lui. La dernière entrevue entre les deux hommes fut à ce
titre glaciale : « Je hais les Boches et votre politique de chien couchant
qui salit le maréchal »
lança un Weygand qui, cependant, ne franchit
pas le Rubicon vers la France libre. « Il commet là sans doute une faute
qu’il paiera au prix fort »
écrit à juste titre Max Schiavon.

Après le débarquement allié en Afrique du Nord, le 8 novembre
1942, que relate presque heure par heure Charles Zorgbibe,
Roosevelt dut composer avec de Gaulle tout en ne rompant pas
complètement avec Vichy. Ce sera la fameuse photo et le simulacre
de la conférence d’Anfa avec les généraux de Gaulle et Giraud.
Quelques jours plus tard, Weygand est arrêté et envoyé au château
d’Itter où il retrouva Paul Reynaud, président du conseil en mai
1940. Les Etats-Unis ne se résolurent finalement à reconnaître la
France libre qu’en août 1943 avant que le général de Gaulle
n’impose à la libération un gouvernement provisoire aux Alliés. «
Cette fois, l’imbroglio a pris fin »
conclut Charles Zorgbibe. Vingt ans
plus tard, en 1965, Weygand rendait son dernier souffle. Devenu
président de la République, Charles de Gaulle lui refusa les
honneurs militaires aux Invalides. Espérons que ces ouvrages
permettent enfin de dissiper cet ultime imbroglio.

Laurent Pfaadt

Max Schiavon, Weygand l’intransigeant,
Chez Tallandier, 592 p.

Charles Zorgbibe, l’Imbroglio : Roosevelt, Vichy et Alger,
Editions de Fallois, 496 p.