Archives par mot-clé : Deutsche Grammophon

Thomas Ades, Ades conducts Ades

Thomas Ades est
incontestablement
l’un des
compositeurs les
plus brillants de sa
génération, l’un
des plus éclairants.
Preuve en est une
fois de plus donnée
avec ce concerto
pour piano qu’il
dirige lui-même à
la tête de
l’orchestre
symphonique de Boston et enregistré pour la première fois. Dans
cette œuvre transparait à la fois les influences de Leonard
Bernstein avec ses rythmes jazzy et de Maurice Ravel, en
particulier le dernier mouvement du concerto en sol. Le piano est
porté admirablement par Kirill Gerstein qui a inspiré le
compositeur et a su utiliser sa merveilleuse maîtrise de Prokofiev
pour exprimer l’explosivité et les changements de rythmes de
l’œuvre.

La Totentanz répond à cette même logique, celle d’une fusion
entre différents mondes, au propre comme au figuré, et différents
styles où l’on perçoit toute l’idiosyncrasie musicale du
compositeur. Portée par la voix inquiétante de Mark Stone, cette
danse macabre emporte avec elle l’Or du Rhin de Wagner mais également Das Lied von der Erde de Gustav Mahler notamment
dans le dialogue des voix et bien évidemment ce Brahms si cher au
compositeur. Fascinant de bout en bout comme à chaque fois.

Par Laurent Pfaadt

Deutsche Grammophon

Nézet-Séguin transcende Mendelssohn

Nézet-Séguin © nézet-séguin 2016

Le chef
d’orchestre
canadien signe
une magnifique
intégrale des
symphonies de
Félix
Mendelssohn

Il est des compositeurs dont l’œuvre est à la fois un testament et
un manifeste. Tel fut le cas des symphonies de Felix Mendelssohn
(1809-1847) qui dirigea en son temps le Gewandhaus de Leipzig
et reste le compositeur qui effectua le pont entre le classicisme et
le romantisme. C’est le sentiment qui ressort de l’écoute de cette
intégrale. Après John Eliot Gardiner qui vient d’achever la sienne
sous le label de l’orchestre symphonique de Londres, voilà venu le
témoignage discographique de Yannick Nézet-Séguin, directeur
en autres du Metropolitan Opera. Et il a eu l’intelligence, pour ne
pas dire l’audace, de confier cette tâche à un orchestre de
chambre, le Chamber Orchestra of Europe, dont l’excellence avait
ravi Abbado, Harnoncourt ou Haitink.

Enregistrées à la Philharmonie de Paris en février 2016, ces
symphonies témoignent d’une vivacité et d’une énergie assez
incroyables. La cinquième est à la fois douce (grâce à une
magnifique flûte) et épique, l’Ecossaise avec ses cordes incisives,
affûtées et ses magnifiques bois sonne tel une tempête déferlant
depuis la Mer du Nord. Ces mêmes cordes deviennent
langoureuses, très « Trauerische », parfois mystiques dans la
seconde symphonie. A chaque interprétation, on sent le travail du
chef, patient, obstiné, n’hésitant pas pousser l’orchestre dans ses
derniers retranchements sans pour autant le brutaliser. Il
commande mais n’impose pas.  Le son est parfois poli à l’extrême
comme dans la première symphonie. Mais il n’est en que plus
brillant, plus éclatant, plus sauvage dans la troisième. De cette
lumière jaillissent des reflets tantôt dorés dans la quatrième avec
son second mouvement plein de couleurs, tantôt de bronze avec
cette cinquième solennelle.

Nézet-Séguin se mue aussi en guide qui nous entraîne dans une
véritable histoire de la musique classique où l’on perçoit aisément
toutes les influences qui imprégnèrent l’œuvre de Felix
Mendelssohn. De Bach dans la deuxième symphonie-cantate
certainement la moins connue de toutes et bien servie par le
RIAS-Kammerchor, probablement le meilleur chœur en activité et
les voix de Daniel Behle et Karina Gauvin, à Mozart ou Haydn
dans la première, à Berlioz dans l’Italienne ou à Beethoven dans la
cinquième. Le Chamber Orchestra of Europe est là derrière son
maître, libérant son incroyable énergie. On le sent prêt à suivre
Yannick Nézet-Séguin n’importe où. Cela tombe bien car les voici
au panthéon discographique.

Laurent Pfaadt

Mendelssohn : symphonies 1-5, Chamber Orchestra of Europe,
RIAS-Kammerchor, Daniel Behle, Karina Gauvin
dir. Yannick Nézet-Séguin,

Deutsche Grammophon, 2017

Le protégé des muses

Sokolov © MarySlepkova-DG

Sokolov dans Mozart et Rachmaninov.
Un petit bijou.

Voilà de nombreuses
années que Grigori
Sokolov ne donne plus de
concertos ni
d’interviews. C’est-à-dire
combien ces CD et DVD
constituent des
témoignages uniques
permettant de
comprendre l’univers et
la personnalité hors du
commun de ce pianiste. Le film de Nadia Zhdanova « une
conversation qui n’a jamais eu lieu » porte bien son nom car le
pianiste russe ne parle jamais, se contentant d’apparaître sur
quelques photos et sur quelques et ô combien magnifiques films.

Les qualificatifs fusent pour décrire Sokolov : « unique »,
« différent », « extraterrestre ». De cette existence vouée à la
musique et non à l’interprétation qui lui fit obtenir à 16 ans le
premier prix au concours Tchaïkovski de 1966, Sokolov a su bâtir
un monument. Non le sien mais celui d’une conception, d’une
approche de la musique que l’on écoute avec passion dans ces
concertos de Mozart et de Rachmaninov qui relèvent d’une autre
époque, celle où Sokolov appartenait encore à l’orchestre. Depuis,
il s’en est extrait et se tient au-dessus, délivrant ses récitals, ces
moments uniques travaillés jusqu’à la perfection. Tels ses aînés,
Emil Gilels en tête, ce pianiste qu’il admirait tant et qui, en 1960,
reçut une lettre anonyme vantant les qualités exceptionnelles
d’un jeune garçon de dix ans, Sokolov réinvente en permanence
les œuvres qu’il joue.

L’auditeur bascule alors du CD au film pour voir un Sokolov à
l’assaut du troisième concerto mythique de Rachmaninov dompté
jadis par des Van Cliburn ou Janis. Les cheveux sont encore bruns
mais le jeu est là, intrépide, solaire, prodigieux. Fuat Mansurov et
le Leningrad Philharmonic ont remplacé Yan-Pascal Tortelier et le
BBC Philharmonic mais l’essentiel n’est pas là. Il se trouve sur le
clavier parcouru par ces mains uniques qui se confondent presque
avec l’instrument dans une illusion d’optique qui ne fait que
refléter l’impression que procure une interprétation de Sokolov.
Mozart de son côté, prend avec Sokolov une noblesse rarement
entendue. Comme le rappelle l’un des intervenants du film, on est
au-delà de la simple technique.

En écoutant les mouvements lents du 23e concerto de Mozart ou
du Rach 3, on comprend alors mieux pourquoi Sokolov a choisi de
ne donner que des récitals car ils exaltent la quintessence de son
génie à nul autre pareil, de cette musique qui dépasse la simple
succession de notes pour se transformer en philosophie.

Laissons le dernier mot à Yuri Temirkanov, chef de l’orchestre
philharmonique de St Petersbourg, citant Pouchkine : « Le service
des muses ne tolère pas l’agitation. Le beau ne peut qu’être digne »
.
Tout y est dit de Sokolov n’est-ce pas ?

Grigori Sokolov, Mozart / Rachmaninov:
Concertos / a Conversation That Never Was,
Deutsche Grammophon, 2017

Laurent Pfaadt

Pianistes de légende

SokolovSokolov et Lisiecki font briller le répertoire romantique

Il faut dire que l’on attendait avec impatience son nouveau disque. Après le récital d’anthologie à Salzburg, Grigori Sokolov revient avec un nouveau disque consacré à Schubert, Beethoven, Rameau et Brahms. Celui qui ne donne plus que des récitals est à nouveau époustouflant. Les Impromptus de Schubert sont ainsi hors du temps, d’une beauté incroyable en particulier le 3e où le pianiste, comme à son habitude, explore toutes les nuances de l’œuvre. Le 4e impromptu ressemble quant à lui à un rêve dans lequel Sokolov nous entraîne avec son toucher unique.

Dans la sonate n°29 dite Hammerklavier de Beethoven, Sokolov est d’une facilité déconcertante.  L’adagio, joué avec délicatesse et profondeur, nous raconte une histoire et nous emporte dans notre propre vie. Le génie de Sokolov y transparaît à chaque note surtout dans ce final si redouté des pianistes. Aucun sentiment n’est assez fort pour décrire le sentiment que l’on ressent à l’écoute de  cette sonate. Avec son interprétation toute personnelle de Rameau où
Sokolov chevauche l’œuvre pour y délivrer une vision proprement stupéfiante et très séduisante. Il achève ainsi de convaincre l’auditeur qu’il n’est pas un pianiste comme les autres.

Si Sokolov a déjà acquis de son vivant le statut de légende, Jan Lisiecki, malgré son âge, ne devrait pas tarder à l’acquérir. Comme son brillant aîné, le pianiste canadien sort lui aussi un nouveau disque, consacré à Robert Schumann. Passage obligé de tous les grands solistes, le concerto de Schumann, composé en 1845, a connu une multitude de versions. Avec son premier mouvement qui déploie immédiatement le brio de l’œuvre, le concerto dévoile très vite les intentions du soliste. Jan Lisiecki ne tombe pas dans le piège de la fougue et malgré son âge, fait preuve d’une incroyable maturité musicale qui est souvent le signe des très grands solistes, d’autant plus que le concerto permet différentes variations. Le piano de Lisiecki se fait parfois murmure dans le premier mouvement lorsqu’il dialogue avec les vents puis devient une caresse dans le second. L’élégance du jeu de Lisiecki se coule parfaitement dans la souplesse rythmique de l’œuvre détonnant ainsi avec tous ces jeunes pianistes qui maltraitent souvent l’instrument.

Il faut dire que le soliste a trouvé un partenaire de choix en la personne d’Antonio Pappano, à la tête de l’orchestre de l’Académie nationale de Sainte-Cécile et chef du Royal Opera House par ailleurs. L’osmose entre le soliste et l’orchestre est excellente et atteint même des sommets dans l’autre pièce concertante de Schumann présente sur le disque, l’introduction et allegro appassionato. L’énergie que Pappano insuffle à l’orchestre est proprement contagieuse et pousse Jan Lisiecki à s’insérer dans un rythme et à danser avec l’orchestre, donnant ainsi toute sa brillance à cette pièce de
Schumann.

Même s’il n’égale pas les versions Lupu/Prévin et surtout celle, indépassable de Lipatti et Ansermet, cette belle version permettra de découvrir ce jeune pianiste appelé, à n’en point douter, à régner sur les sommets du piano.

Grigory Sokolov, Schubert & Beethoven, Deutsche Grammophon, 2015

Jan Lisiecki, Schumann, Orchestra dell’Accademia Nazionale di
Santa Cecilia, dir. Antonio Pappano, Deutsche Grammophon, 2015

Laurent Pfaadt

Viva l’opéra !

Deux nouvelles versions de l’Enlèvement au sérail et de Turandot.

© Manolo Press
© Manolo Press

Une petite révolution est en train, doucement mais efficacement, de bouleverser le monde de l’opéra. Cette révolution signée Universal Music consiste à réenregistrer les grands opéras de Mozart, de Puccini et de Verdi avec les grands interprètes et les orchestres les plus prestigieux de notre temps. Alors si Maria Callas, Renata Tebaldi, Luciano Pavarotti, Placindo Domingo, Joan Sutherland ou Carlo Maria Giulini demeurent des références voire des monstres sacrés, ces nouvelles versions rafraîchissent les mythes et les poussent un peu plus vers les archives.

Avec cette nouvelle version de l’Enlèvement au sérail de Mozart qui s’inscrit d’ailleurs dans un projet de grande ampleur visant à graver sur le disque l’intégralité des opéras du compositeur salzbourgeois, le chef Yannick Nézet-Séguin et le ténor Rolando Villazon frappent un grand coup. Casting de rêve et musique au cordeau sont au menu. Dans la fosse du Festpielhaus de Baden-Baden où a été enregistré l’opéra, le Chamber Orchestra of Europe est à nouveau brillant. Il adopte toujours un ton juste et réjouit par son allant et le côté pétillant de son interprétation qui doit beaucoup aux tempiis rapides imposés par la fougue de son chef.

Au côté d’un Villazon très convaincant en Belmonte dont c’est le premier rôle en allemand, la sublime Diana Damrau, soprano colorature à la tessiture si parfaite, excelle en Constance. Franz-Josef Sellig, qui compte parmi les meilleures basses du monde est un Osmin de grande envergure tandis qu’Anna Prohaska, l’une des sopranos les plus prometteuses de sa génération et Paul Schweinester, qui ont triomphé en octobre 2014 sur la scène de l’opéra de Paris, complètent cette affiche de rêve.

Traversons l’Europe du nord au sud pour se rendre à Valence en compagnie de l’orchestre de la comunitat Valenciana placé sous la direction de Zubin Metha pour un Turandot éblouissant. L’opéra repose essentiellement sur sa tête d’affiche mondialement connue, Andrea Boccelli, qui interprète un magnifique Calaf. Avec son timbre de velours, il fait des merveilles et son Nessum Dorma au troisième acte est très sensuel.  Mais ce serait aller vite en besogne car les deux premiers actes sont très réussis notamment le Non piaugere Liu à l’acte I. Face à lui, la soprano américaine Jennifer Wilson lui offre une merveilleuse réplique en princesse Turandot et prouve qu’elle n’est pas qu’une héroïne wagnérienne même si sa puissance parfois trop écrasante donne un côté masculin à l’héroïne de Puccini. Il y a parfois de la Walkyrie derrière Turandot.

Jennifer Wilson retrouve un orchestre et un chef qu’elle connaît bien pour avoir enregistré avec eux le Ring. Zubin Metha est fidèle à lui-même. Excellent maintien des équilibres sonores, entre des voix qu’il sait canaliser et un orchestre qu’il pousse dans ses retranchements, son interprétation est assez rythmée. Mehta nous raconte ainsi une histoire, cette légende tirée de la Chine médiévale qui sonne comme un film à grand spectacle.

Au final, l’opéra séduira les profanes grâce à sa tête d’affiche mais également les connaisseurs de l’œuvre de Puccini qui trouveront dans cette nouvelle version de très beaux moments d’opéra.

Mozart, Die Entführung aus dem Serail, Chamber Orchestra of Europe, dir. Yannick Nézet-Séguin, Deutsche Grammophon, 2015

Puccini, Turandot, Orquestra de la Comunitat Valenciana, cor de la generalitat Valenciana, dir. Zubin Metha, Decca Classics, 2015.

Laurent Pfaadt

La Baltique, le temps d’une saison

gidon kremerVoyage dans les saisons de Philip Glass en compagnie de
Gidon Kremer

Ce disque c’est un peu la rencontre entre deux géants : Philip Glass, compositeur mondialement connu pour ses musiques de films (The Hours, le Rêve de Cassandre de Woody Allen) et ses œuvres inclassables comme l’opéra Akhnaten ou sa troisième symphonie et Gidon Kremer, l’un des plus grands violonistes du monde. A l’aise dans tous les répertoires, de Bach qu’il a magnifiquement interprété aux côtés notamment de l’Academy of St Martin-in-the-Fields, à John Adams, Gidon Kremer n’a jamais négligé la création contemporaine, bien au contraire.

Ce disque est un nouveau témoignage de l’attachement viscéral du virtuose aux œuvres de son temps. A la tête de « son » orchestre, la Kremerata Baltica qui réunit des musiciens des pays baltes – il est lui-même letton – et qui s’est spécialisé dans la création d’œuvres contemporaines, Gidon Kremer propose ainsi plusieurs œuvres de compositeurs de notre temps : Philip Glass, Giya Kancheli, Arvo Pärt et Shigeru Umebayashi.

Kremer a toujours eu un rapport particulier avec Philip Glass. Son enregistrement du premier concerto pour violon – il fut le premier à le graver chez Deutsche Grammophon en 1993 avec le Wiener Philharmoniker dirigé par Christoph von Dohnanyi – constitue déjà une référence. Il récidive avec ce deuxième concerto dans lequel le compositeur a voulu s’inspirer des Quatre saisons de Vivaldi, baptisé à juste titre The American Four Season. 

En plus d’être un hommage à l’œuvre du compositeur vénitien avec ces changements de rythmes (n’oublions pas qu’il s’agissait à l’origine de quatre concertos différents) et l’utilisation du clavier qui trace une continuité musicale toute symbolique, la musique de Glass constitue une réflexion sur la notion de temps.

Si les Quatre saisons de Vivaldi reposaient sur les changements de temps et de climat propres aux saisons, les saisons américaines de Glass se concentrent sur la temporalité même de la nature, de ce temps qui s’écoule lentement, inexorablement. Le maître de la musique répétitive qu’il est, utilise avec brio et à dessein son art dans une œuvre réussie qui questionne aussi bien l’évolution des êtres vivants que le renouvellement perpétuel de la nature.

Le violon de Gidon Kremer joue ainsi ce rôle de métronome qui évoque inlassablement le temps qui s’écoule comme dans un sablier, versant parfois dans le tragique pour évoquer le caractère unique des choses qui disparaissent.

D’ailleurs, le virtuose poursuit son exploration musicale en interprétant trois œuvres d’Arvo Pärt, de Giya Kancheli où l’instrument se fait la voix d’une longue plainte primitive (Ex Contrario) et enfin de Shigeru Umebayashi qui clôt avec son Yumeji’s theme utilisé par Wong Kar-Waï, ce voyage temporel passionnant.

New Seasons – Glass, Pärt, Kancheli, Umebayashi, Kremarata Baltica, Gidon Kremer, Deutsche Grammophon.

Laurent Pfaadt

Au panthéon des pianistes

HorowitzToutes les légendes du piano enfin réunies.

Quand Deutsche Grammophon, le célèbre label jaune, fait les choses, elle les fait en grand comme en témoigne ce somptueux coffret, 111 Piano, réunissant les grands noms du piano d’hier et d’aujourd’hui. Les plus belles pièces enregistrées en solo par les plus grands interprètes, on ne sait pas par où commencer. Chopin par Zimmermann ou Argerich ? Rachmaninov par Yuja Wang ? Boulez par Pollini ? Beethoven par Barenboïm ? Ravel par Pogorelich ?

Il faut pourtant bien en choisir un. Tout dépend donc de vos goûts, de votre humeur du jour. Commençant donc par le plus grand : Mozart. Plusieurs enregistrements sont présents mais aucun n’égale les sonates 16 et 17 par Friedrich Gulda. Celui qui n’accepta aucun élève avant de faire une exception avec Martha Argerich délivre dans cette interprétation une émotion rarement atteinte.

Evidemment, on ne peut passer à côté de certains disques dirons-nous incontournables. Prenez par exemple, les Nocturnes de Maria Joao Pires ou la sonate n°8 de Prokofiev par Sviatoslav Richter enregistrée à Londres, ils constituent ce qui se fait de mieux.

Les légendes d’hier côtoient les talents d’aujourd’hui. Ainsi Monique Haas et son magnifique Tombeau de Couperin ou Horowitz dans Scriabine répondent dans ce coffret à Daniil Trifonov au jeu si inventif ou à Raphael Bechacz sans oublier Lang Lang dans un Tan Dun époustouflant, tiré du fameux live qu’il donna à Carnegie Hall. Il y a également les compositeurs phares de ce cube, Bach et ses variations Goldberg par un Andrei Gavrilov qui offre une autre vision que la sacro-sainte Gould, Beethoven ou Scarlatti interprété par une Clara Haskil impériale de vitalité et de virtuosité. Les compositeurs moins connus sont aussi présents et ravissent nos oreilles tels Grieg et ses magnifiques pièces lyriques interprétés par Emil Gilels plus connu pour son Beethoven, Christoph Eschenbach dans Haydn ou Bartok et ses Mikrocosmos par le méconnu Andor Foldes, qui a su, à travers son jeu, tirer toute la plénitude de l’œuvre du grand compositeur hongrois.

Dans ce tourbillon de notes et d’accords sublimes, on terminera par les Moments musicaux de Rachmaninov sous les doigts de poète du trop méconnu Lazar Berman. Enregistré dans la Jésus-Kirche, haut lieu musical de Berlin, le rubato de Berman permet une osmose avec l’œuvre du compositeur. On se demande parfois si on n’entend pas Rachmaninov lui-même et sa flamboyance légendaire.

Alors, que vous soyez mélomanes ou auditeurs du dimanche, amoureux de tel nocturne ou de tel impromptu ou simplement désireux de rêver un soir d’été au son d’une mélodie sans nom, ce coffret est plus qu’une simple addition de génies. Il vous plonge dans le cœur de l’humanité où se mêlent tous les sentiments.

Piano 111, Legendary recordings, Deutsche Grammophon, 2015.

Laurent Pfaadt