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Rencontre/interview Dominique de Rivaz

« Kaliningrad et ses
huit cents ans
d’existence révèle à
chaque pas un tesson
d’Histoire »

Avec Dmitri
Leltschuk, la cinéaste
suisse Dominique de Rivaz est partie à la découverte de l’enclave russe de Kaliningrad.
Elle en est revenue avec un certain nombre de clichés qui se
retrouvent dans ce très beau livre. Pour Hebdoscope, elle revient
sur cette expérience.

Dans votre ouvrage, vous dites avoir arpenté longuement
Kaliningrad 

Oui, nous avons arpenté l’enclave de Kaliningrad, et sa capitale,
Kaliningrad, caméra en bandoulière, à chaque saison, le photographe
biélorusse Dmitri Leltschuk en 2012, et moi-même entre 2017 et
2019. Le livre, Kaliningrad, la petite Russie d’Europe, offre d’ailleurs un
reportage pédestre et joyeux le long de la côte balte par le reporter
allemand, Maik Brandenburg, ainsi qu’un texte passionnant de
Cédric Gras sur cet « Extrême-Ouest » russe, qui permet de mieux
comprendre comment la (P)russe a perdu son « P ».

Avez-vous eu le sentiment que l’histoire aussi bien allemande que
soviétique s’y est dédoublée, figée, cristallisée ? 

Kaliningrad est tiraillée entre le passé et le présent, elle est marquée
par l’architecture gothique prussienne et la démesure, voire la
décadence, soviétique. Tant de choses rendent l’enclave de
Kaliningrad singulière… Son passé allemand hante les lieux, par ses
grandeurs (on pense à Kant, par exemple, qui y vécut et y enseigna)
et ses abjections (le massacre de Palmnicken où en janvier 1945
trois mille femmes juives chassées des camps furent mitraillées).
Mais au temps arrêté se tisse également le temps en marche. Si
Kaliningrad et ses huit cents ans d’existence révèle à chaque pas un
tesson d’Histoire, elle subit jour après jour l’influence de l’Europe
qui l’encercle.

Comment avez-vous ressenti ce dédoublement chez les gens que
vous avez rencontré ?

Pour les intellectuels, ce dédoublement Prusse / Allemagne / Russie
reste fascinant, ils s’y intéressent, en étudient l’histoire, en parlent,
supputent de futurs changements. Les gens plus simples, sont
profondément russes, certains parfois hélas, très nationalistes.

Le livre propose un effet de miroir très intéressant au niveau
iconographique, entre les photos en noir/blanc de Dimitri
Leltschuk et les vôtres, en couleurs. Quels sentiments avez-vous
voulu provoquer chez le lecteur ? 

Nos démarches et nos photos se complètent. Dmitri a exploré les
côtes de l’enclave le long de la mer Baltique. Moi-même j’ai
davantage exploré l’intérieur des terres, de la frontière lituanienne à
la frontière polonaise. Le choix de ces deux méthodes de travail n’a
pas pour but de provoquer des réactions, mais d’offrir plutôt un
ressenti différent.

À y regarder de près, paradoxalement, les images noir/blanc
semblent plus vivantes, plus tournées vers l’avenir, plus en
mouvements, alors que plusieurs de vos clichés veulent semblent
capter une Histoire arrêtée…

Les photos de Dmitri, à une ou deux exceptions près, ont toutes pour
motif des personnes en activité, c’est exact. Les miennes, outre de
nombreux moments de vie quotidienne, donnent aussi à voir des
lieux pour eux-mêmes, des lieux uniques en Europe. J’invite
d’ailleurs vivement chacun à aller les découvrir… dès que les
frontières rouvriront après la pandémie.

Par Laurent Pfaadt