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Aujourd’hui

Les souvenirs ressemblent à ces poussières d’étoiles, ces fragments
de vie qui virevoltent dans l’espace et le temps. Quelques fois, ils
s’agrègent, se reconstituent autour d’un être, étoile perdue ou astre
mort. Ce sentiment, le lecteur le partage immédiatement en
plongeant dans les mots de Dominique Fabre, cet écrivain de la
mémoire.

A travers le retour d’un homme sur les lieux de son passé, à l’ombre
de la carcasse de la gare Saint Lazare, se déploie une symphonie du
souvenir. Ces petits riens, ces choses sans importance, anodines se
rassemblent alors lentement, au gré des pages, pour former une
existence. Le talent de Dominique Fabre est là : transcender des
banalités pour en faire des expériences sensibles. La prose devient
poésie, la standardisation s’efface pour faire de ses personnages
atomisés, des êtres singuliers avec leurs joies, leurs douleurs, leurs
regrets, leurs frustrations. Le dialogue entre Fabrice et le narrateur
dans le café Malesherbes est à ce titre merveilleux.

Comme les étoiles, ses personnages et les rencontres qu’ils font
semblent invisibles. Mais il ne tient qu’à nous, qu’à eux, de lever la
tête vers le ciel pour voir ces mêmes étoiles et s’y raccrocher. Car,
elles sont là à nous attendre. Elles ont, en fait, toujours été là, avec
nous, parmi nous, avec leurs tristesses inavouées et leurs amitiés
bridées. On se trompe souvent mais on s’aime toujours. L’amour et le
chagrin, mirages urbains et émotionnels, guident les vies des
personnages. Il ne tient qu’à nous également d’écouter les
battements de cœur de ces mirages, « comme on épie derrière une
porte la conversation des parents, la conversation des enfants ». Avec ce
merveilleux récit, Dominique Fabre touche du doigt l’essence même
de la littérature : donner une voix à ceux qui n’en ont pas.
Finalement, ce livre est le nôtre. A nous tous. Anonymes ou pas.

Aujourd’hui offre ainsi un miroir au lecteur, celui de profiter de la vie
même dans son apparente laideur quotidienne. Et en ces temps de
crise, c’est peu dire.

Par Laurent Pfaadt

Dominique Fabre, Aujourd’hui
Chez Fayard, 272 p.

#Lecturesconfinement : Le bonheur, sa dent douce à la mort. Autobiographie philosophique de Barbara Cassin de l’Académie française par Laurent Pfaadt

C’est une drôle d’autobiographie que
celle de Barbara Cassin, récemment
élue à l’Académie française. Oui de
l’humour, il y en a dans cette enfance
passée auprès de parents peintres à
leurs heures, de cet grand-oncle
illustre qui lui propose de devenir
sténo ou de ces virées étudiantes et
de ces rencontres intellectuelles qui
appartiennent à un autre âge. Mais à
travers ces pages truculentes se
nichent également des leçons de vie
que l’on goûte, que l’on savoure. Qui a
dit que la philosophie était
mélancolie ? Certainement pas elle…

D’ailleurs, de la philosophie il est en évidemment question avec
Barbara Cassin. Tout le temps. Comme une boussole pour avancer.
La brillante helléniste nous convie avec bonheur à une navigation en
compagnie de Platon, de Parménide, de Protagoras ou d’Aristote
mais également de Leibniz, Kant, Heidegger et Lacan permettant
ainsi de remettre en perspective ce monde souvent privé de sens. Ce
voyage permet ainsi de tracer des fils d’Ariane entre leurs
enseignements et notre époque, entre la vie de Barbara Cassin et
aujourd’hui comme lorsqu’elle oppose Platon à Gorgias, l’une de ces
« sales ordures démagogues » dont la vérité n’était pas la
préoccupation première. Tiens…tiens…nous pensons à quelqu’un…

L’Académicienne ne serait pas immortelle si elle ne nous invitait pas
à chevaucher joyeusement la langue française, sur les barricades de
mai 68, dans les retraites passionnées de René Char ou en
compagnie d’Alain Rey. Cette langue qui autorise tout, celle qui
transforme des adolescents psychotiques en êtres sublimes, celle
qui réconcilie une nation, celle qui, enfin, permet toutes les libertés.
Car, à y regarder de plus près ou plutôt à y lire de plus près, ce livre
est un formidable plaidoyer pour la liberté, pour toutes les libertés.
En refermant le livre, on se sent mieux armé de ce courage qui nous
faisait peut-être défaut, prêt à « suivre ce qu’on attend pas »

Le bonheur, sa dent douce à la mort. Autobiographie philosophique de
Barbara Cassin de l’Académie française (Fayard)
par Laurent Pfaadt

#Lecturesconfinement : Pour l’amour de Beyrouth, collectif de trente-cinq personnalités sous la direction de Sarah Briand par Diane Mazloum

Si Pour l’amour de Beyrouth, le collectif
conçu par Sarah Briand en hommage
à Beyrouth suite à l’explosion du 4
août 2020, est un recueil de plusieurs
voix libanaises et françaises, il n’en
est pas moins un même et long cri
d’amour et de désespoir à l’encontre
de cette capitale mille fois malmenée,
mille fois revécue, pour reprendre les
termes de la poétesse Nadia Tueni. À
l’image d’une ville riche et contrastée
au point d’en devenir presque
insaisissable, ce livre regorge de
témoignages de différentes tailles, formes, verves et couleurs. Fût-il un poème ou un récit, une prière
ou une lettre, chaque texte ajoute une nouvelle facette à cette
capitale déjà si contradictoire, tout en y apportant, en retour, un
certain éclairage.
C’est un livre qui tout en donnant un avant-goût de la complexité
fascinante du Liban, laisse longtemps encore le goût persistant et
addictif du grand gâchis. On en sort la tête hantée, le cœur pressé,
broyé, mais le corps revitalisé d’une nouvelle énergie. Exactement
comme si on s’était laissé immerger dans Beyrouth.
Beyrouth, fille ou femme ? Féminine ou au masculin ?
Organique, chaotique, bruyante mais attachante comme un enfant,
d’une naïveté attendrissante, envoûtante, tour à tour charmant et
colérique, violent, cruel. Beyrouth, si petite mais insaisissable,
fuyante, duplice, incompréhensible, alors fantasmée, rêvée, devenue
désormais cauchemardesque, insupportable, à présent violée,
violentée, bientôt abandonnée, dépeuplée, voire occultée.
Pourquoi Beyrouth ? Parce qu’il fut un jour où Beyrouth concentrait
le meilleur de ce que l’Occident et l’Orient avaient à offrir, et
qu’aujourd’hui, Beyrouth concentre le meilleur comme le pire de ce
que peut offrir la race humaine.
Les bénéfices seront reversés à l’association OffreJoie qui travaille à
la reconstruction de la ville et panse les traumatismes de ses
habitants.
Diane Mazloum est une romancière libanaise, auteure de plusieurs
ouvrages dont une piscine dans le désert qui a figuré sur les listes des
principaux prix en 2020.

Pour l’amour de Beyrouth
, collectif de trente-cinq personnalités sous la direction de Sarah Briand (Fayard)
par Diane Mazloum

#Lecturesconfinement : Les grands jours de Pierre Mari par Laurent Pfaadt

Dès les premières pages, une sorte
de fatalité, d’épilogue funèbre
semble se dégager de ce livre. On
entre avec les poilus dans ce bois des
Caures comme dans un tombeau
sans issue. Le bois des Caures ouvre
la bataille de Verdun. 80 000 obus y
furent déversés, transformant les
arbres en lances et les hommes en
fétus de paille si bien que le bois des
Caures devint « le bois des corps ».
Avec une langue absolument sublime,
Pierre Mari dessine une atmosphère
mystique où fureur et violence côtoient calme et beauté. On se croirait dans la Ligne rouge de Terence Malick. Au milieu se dresse la haute figure du lieutenant-colonel Driant, ce Léonidas moderne, prêt à entrer avec ses
hommes, en ce jour de panthéonisation de Maurice Genevoix, dans
la légende des siècles.

Les grands jours
de Pierre Mari (Fayard)
par Laurent Pfaadt