Archives par mot-clé : Gallimard

#Lecturesconfinement : Absalon ! Absalon ! de William Faulkner par Olivier Sebban

En plein XIX siècle, Thomas Sutpen, un homme au passé trouble
venu dont ne sait où, débarque à Jefferson Mississippi
. Escorté de
ses esclaves, Sutpen défriche une centaine d’hectares de forêtafin
d
e bâtir une demeure au centre d’une plantation de coton.
Commence 
l’édification d’une dynastie frappée au coin du tragique,
du secret
 et de l’inceste, que la malédiction raciale du Vieux Sud,
finira par 
réduire en cendres. Dans un style somptueux, Faulkner
ressasse et repousse sans cesse la révélation d’une, énigme dont les
ramifications 
conduiront à l’anéantissement de l’orgueilà
l’extinction d’une descendance, à la ruine de la langue elle-même !

Olivier Sebban est écrivain, auteur
de plusieurs romans dont Sécessions (Rivages) en 2016
Absalon ! Absalon ! de
William Faulkner (Gallimard)
par Olivier Sebban 

#Lecturesconfinement : Royan, la professeure de français de Marie NDiaye par Jakuta Alikavazovic

« Je hais les bons parents qui croient tout comprendre »
Un monologue à la beauté implacable — la langue, le style, le monde
de Marie NDiaye sont là tout entiers, dans ces phrases de Gabrielle,
la professeure de français, à laquelle Nicole Garcia devait donner
corps à Avignon au printemps et à Paris à l’automne. On regrette
tant de ne pas avoir pu la voir, l’entendre, on espère vivement que
l’occasion se présentera une fois la crise sanitaire passée. En
attendant, ne vous privez pas de lire ce texte unique qu’est Royan : il
fait corps. Gabrielle et Daniella, l’élève qu’elle évoque avec une telle
ardeur, avec des sentiments si forts, si mêlés, vous briseront le cœur.
La justesse des phrases de Marie NDiaye, elle, vous redonnera du
souffle. Quand vous arriverez à la phrase « Sachez Madame que je suis
votre parafoudre »
, ayez une pensée fugitive pour moi : c’est là que j’ai
pleuré.
Jakuta Alikavazovic est écrivaine,
auteur notamment de Corps Volatils
(L’Olivier), Prix Goncourt du premier
roman 2007. Dernier livre paru :
L’Avancée de la nuit (L’Olivier/Points)
Royan, la professeure de français de Marie NDiaye (Gallimard)
par Jakuta Alikavazovic

#Lecturesconfinement : Jan Karski de Yannick Haenel par Laurent Pfaadt

Un prophète de l’Ancien Testament
qui a vu la vérité, l’a révélé aux
hommes et n’a pas été cru.
Un oeil ayant fixé sur sa rétine
l’innommable et qui fuit celui de
l’histoire dans le documentaire de
Claude Lanzmann.
Un témoin impuissant poursuivi
par la culpabilité.
Un cavalier polonais filant dans une
nuit sans fin dont ne sait s’il
poursuit quelque but ou s’il est poursuivi.
Jan Karski fut tout cela.
Un jour à New York, je me suis assis sur un banc de la Frick
Collection devant le Cavalier polonais de Rembrandt. Pour
retrouver Jan Karski. Pour retrouver les mots inoubliables de
Yannick Haenel.

Jan Karski
de Yannick Haenel (Gallimard)
par Laurent Pfaadt

#Lecturesconfinement : Nouvelles complètes de Philip K. Dick par Laurent Pfaadt

Surveillance des citoyens, société régie par les machines,
mégalomanie du consumérisme, épuisement des ressources ou
standardisation de la production. Tous ces concepts font désormais
partie de notre quotidien, de notre vie, de notre logorrhée. Et si on
vous disait qu’un écrivain avait prévu tout cela, il y a plus d’un demi-
siècle, alors que les algorithmes, internet, les téléphones portables
et mêmes les ordinateurs n’étaient que de fumeuses élucubrations
d’écrivains de bas étage, incapables de produire de la « grande »
littérature, et consommateurs invétérés de drogues. Autant dire
personne.

Parmi cette cohorte d’écrivains perdus, d’outsiders de la société,
vivant et décrivant les marges de cette dernière et ne trouvant leurs
saluts financiers que dans le divertissement et la culture pulp figure
en majesté Philip K. Dick. Les plus avertis se souviendront de
l’adaptation cinématographique de Blade Runner mais peu
connaissent la force de ses nouvelles. Car Dick demeura avant tout
un grand nouvelliste, à l’image d’un Edgar Allan Poe, un siècle plus
tôt, comme en témoigne ce double volume qui recense l’intégralité
de ses cent vingt nouvelles publiées entre 1947 et 1981. Dick y
déploie une force narrative concentrée à l’extrême comme de
l’héroïne dans le piston d’une seringue. L’effet est immédiat,
surpuissant et vous laisse au mieux KO, au pire en état de choc ou de
mort littéraire cérébrale. Prenez par exemple Autofab écrit en 1955
qui raconte l’emprise d’un réseau mondial de fabriques
automatisées après une crise majeure tirant sa puissance de
l’épuisement des ressources naturelles de la terre. Cela ne vous
évoque-t-il personne, en ces temps de confinement et de fermeture
des librairies ? Ici comme dans les autres nouvelles, Dick, comme
l’écrit Laurent Queyssi qui préface ce volume, a son « doigt sur le
pouls de l’Amérique »
 sans que l’on sache si c’est pour en mesurer
l’évolution et les travers ou pour en tapoter la veine avant d’y
injecter son héroïne littéraire et faire vaciller l’American Way of Life.
Peut-être un peu des deux finalement. Tout y passe : le temps,

l’Histoire, nos modes de vies, nos interactions sociales, l’altérité. Pas
étonnant  que de nombreux intellectuels se réclamèrent de lui :
Roberto Bolano ou Jean Baudrillard pour ne citer qu’eux. Alors,
après cela, si vous trouvez encore que Dick n’est qu’un écrivain de
science-fiction, on ne pourra désormais plus rien pour vous.

Nouvelles complètes de Philip K. Dick (Quarto, Gallimard)
par Laurent Pfaadt

#Lecturesconfinement : Suzanne la pleureuse de Alona Kimhi par Hervé Barbaret

Certains écrivains cherchent la
difficulté. Évoquer une jeune
femme-enfant autiste orpheline
dans une famille travailliste
israélienne à l’ère Netanyahou
(alors qu’elle-même porte le nom
de Rabin) qui accueille un cousin
aussi étrange que charmeur, c’est
un peu comme vouloir traverser
l’Atlantique à la rame ou jouer la
chaconne de Bach avec des gants
de boxe. Pourtant, ce roman
initiatique aussi puissant que
profond possède un souffle rare. Tous ces ingrédients a priori improbables se marient en un ensemble
d’une cohérence et d’une rigueur narrative rares.

Découvrir ce qu’est l’altérité à travers les yeux progressivement
dessillés de Suzanne, en évitant tout pathos, est hautement à
recommander en ces temps de repli individualiste.

Et je dois dire que ce qui m’a le plus séduit dans ce qui n’aurait pu
n’être « que » un exercice virtuose, est que ce livre est très drôle.

Ancien secrétaire général du ministère de la culture, Hervé Barbaret
est le directeur général de l’agence France-Muséums
Suzanne la pleureuse de Alona Kimhi (Gallimard)
par Hervé Barbaret

#Lecturesconfinement : Oeuvres de Cesare Pavese par Pierre Adrian

Le bon côté d’une sédentarité
forcée, c’est qu’elle donne l’occasion de découvrir des lectures
graves ou légères dans des livres
lourds. Quarto est une collection
familière et précieuse qu’on
emporte rarement avec soi. Elle
rassemble des textes éparpillés.
Dans le beau rouge et blanc du
Quarto, il convient de lire et relire
Cesare Pavese. Le volume parut en
2008 est présenté par Martin
Rueff. Tout y est. La poésie de
l’écrivain turinois, Travailler Fatigue,
ses cours romans: Le Bel ÉtéLa PlageLa Lune et les feux… Et Le Métier
de vivre
, bien sûr, son douloureux journal. Pavese est le grand
écrivain du temps qui passe, du souvenir, de l’enfance, du retour
chez soi. Il écrit avec une simplicité qui dit tout.

Une fois achevée cette existence confinée, on partira en Italie, un
livre de Pavese sous le bras. Et un soir, comme dans ses romans, on
ira voir les feux de Turin depuis la colline.
Pierre Adrian est écrivain, prix des Deux-Magots 2016 pour La Piste
Pasolini 
(éditions des Equateurs, 2015). Dernier livre paru: Les bons
garçons (
éditions des Equateurs, 2020)

Oeuvres
de Cesare Pavese (Quarto, Gallimard)
par Pierre Adrian

#Lecturesconfinement : Ce qui plaisait à Blanche de Jean-Paul Enthoven par Amélie de Bourbon-Parme

C’est un ouvrage à suspens, dont
on rêve de saisir la chute finale
sans jamais vouloir la connaître.
On reste fasciné par l’écriture
magnifique qui décrit le désarroi
du narrateur devant un amour
impossible, inaccompli, sa quête
éperdue pour satisfaire les désirs
de Blanche, son esclavage
volontaire, sa soumission à tout
prix, son étonnement devant sa
propre capitulation. J’ai adoré
suivre ce témoin de sa propre
perdition, qui en décortique
chaque soubresauts sans jamais parvenir à en saisir le sens. Ce qui
s’efface à mesure qu’on avance dans la lecture de ce livre c’est la
définition de l’amour, mystère insondable.
Amélie de Bourbon-Parme est écrivaine et directrice associée de
l’agence Havas Paris. Elle a notamment publié le Secret de l’empereur
(Gallimard, 2015)

Ce qui plaisait à Blanche
de Jean-Paul Enthoven (Grasset)
par Amélie de Bourbon-Parme

#Lecturesconfinement : Putzi de Thomas Snégaroff par Dominique Missika

Après Little-Rock, Thomas
Snégaroff, dans Putzi, nous plonge
au cœur des États-Unis, cette fois-
ci à travers le destin d’un étudiant
d’Harvard. Né à Munich le 2
février 1887, Ernst Hanfstaengl,
allemand par son père et américain
par sa mère, est issu d’une famille
riche qui reçoit chez elle Strauss,
Wagner et Liszt. Alors qu’il mesure
presque deux mètres, on continue
à l’appeler Putzi, qui veut dire en
dialecte bavarois, « petit
bonhomme ».  Son surnom qu’il
porte depuis son enfance lui a été donné par la nurse qui l’élève.
Soutien dès la première heure d’Hitler, il l’accompagne dans son
ascension.  Son atout majeur, c’est son talent de pianiste. Après ses
nombreux discours qui l’épuise, Hitler vient écouter avec Putzi lui
jouer du Liszt et de Wagner. Il l’informe sur les théories racialistes en
vogue aux Etats-Unis. Mais le confident s’échappera de l’Allemagne
nazie, se mettra au service de Roosevelt avant de sombrer dans
l’oubli. Une enquête fascinante sur un personnage trouble.
Dominique Missika est journaliste, écrivaine et directrice éditoriale
aux éditions Tallandier. Dernier livre paru : Un amour de Kessel (Seuil)

Putzi
 de Thomas Snégaroff (Gallimard)
par Dominique Missika

#Lecturesconfinement : Nemesis de Philip Roth par Josyane Savigneau

Némésis, qui n’est pas le roman le
plus spectaculaire de Philip Roth,
est particulièrement émouvant
parce que c’est son dernier livre.
Après sa publication, en 2010, il a
cessé d’écrire. Mais surtout, on le
relit autrement aujourd’hui parce
que c’est l’histoire d’une épidémie,
de ses ravages dans la société, de la
peur, de la culpabilité de ceux qui
pensent avoir transmis la maladie.
Avec un héros, Bucky Cantor, 23
ans quand commence le récit, qui
est miné par tout cela, et par son
sens du devoir et des responsabilités. « Ils étaient encore en train de
parler de la polio,ils en étaient en se remémorer ses antécédents
terrifiants. Sa grand-mère se rappelait l’époque où les victimes de la
coqueluche devaient porter un brassard, et comment, avant qu’on trouve
le vaccin, la maladie la plus redoutée était la dyphtérie. Elle se rappelait
avoir été l’une des premières à être vaccinée contre la variole. L’endroit où
on l’avait piquée s’était infecté, en conséquence de quoi elle avait une
grande cicatrice circulaire, irrégulière, en haut du bras droit. »
Josyane Savigneau est écrivaine et journaliste. Ancienne rédactrice
en chef du Monde des livres, elle est également membre du jury du
prix Femina. Sa biographie de Marguerite Yourcenar (Marguerite
Yourcenar, l’invention d’une livre
, Gallimard) a notamment remporté le
prix Femina Vacaresco.
Nemesis de Philip Roth (Gallimard)
par Josyane Savigneau

#Lecturesconfinement : Extérieur monde d’Olivier Rolin par Charif Majdalani

Dans Extérieur monde, Olivier Rolin
se donne pour but affiché de faire
son autoportrait. Mais
l’autoportrait ici ne se conçoit que
selon une règle unique,  qui veut
que l’on n’est jamais que ce qu’on a
fait, vu, parcouru, senti et vécu.
C’est de notre expérience du
monde et des hommes, des
paysages que nous avons vus ou parcourus, de l’amour que nous y
avons rencontré ou pas, que nous
sommes pétris, et c’est de cela, de
ce façonnement de soi par
l’extérieur, que sera donc composé l’autoportrait de Rolin. Or ce
dernier, durant sa vie, a énormément voyagé, parcouru le globe
jusque dans ses coins les plus reculés, de la Terre de Feu à
Vladivostok, du Soudan à Khabarovsk. Il a visité les lieux des conflits
les plus sanglants de notre temps, arpenté cent villes, vécu des
amours et des déconvenues innombrables, rencontré une multitude
de gens qui, dans tous les coins de la planète, furent ses guides, ses
amis ou ses interlocuteurs, et croisé aussi sans oser les aborder des
centaines de femmes dont l’inventaire est à lui seul un hymne à
l’universelle beauté du monde.

C’est cette incroyable richesse de souvenirs qui fait la matière
d’Extérieur Monde. Et on devine que les vertigineux et infinis
méandres qui composent cet autoportrait de l’auteur en globe
terrestre ne pouvaient cependant être racontés linéairement. Le
choix de l’écrivain sera donc plutôt de piocher dans la variété des
choses vues et vécues, au gré des sujets ou des motifs. Les faits s’y
génèrent ensuite les uns les autres par associations, proximités,
regroupements, dans une poétique de la digression où chaque
dérive génère de nouvelles associations qui font elles-mêmes
proliférer le texte en le ramifiant sans fin.

Mais ce roman de Rolin est aussi celui d’un grand lecteur pour qui la
littérature et le monde sont en permanente interaction. Rolin
évoque, cite et dialogue avec des dizaines d’auteurs et d’œuvres tout
le long du livre. Et si les écrivains le plus souvent évoqués sont
Proust et Chateaubriand, ce n’est pas seulement parce que Rolin
s’inscrit dans la tradition des grands stylistes français, mais aussi
parce que, à l’instar de la Recherche du temps perdu et des Mémoires
d’Outre-tombe
, Extérieur monde se veut une exploration des effets du temps et du désenchantement sur les humains, et témoigne des bouleversements du monde au carrefour des grandes époques
historiques.

Charif Majdalani est écrivain libanais et professeur de lettres.
Son dernier ouvrage, Beyrouth 2020. Journal d’un effondrement
(Actes Sud) a obtenu le prix spécial du jury Femina 2020.

Extérieur monde d’Olivier Rolin (Gallimard)
par Charif Majdalani