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Maudite Albion

La romancière Karen Maitland nous offre un nouveau roman ténébreux.

 sorcière

L’Angleterre en ce début du XIIIe siècle est un royaume abandonné de tous et surtout de Dieu. La France menace et le roi Jean sans Terre, monté sur le trône en 1199, a engagé un bras de fer avec le pape Innocent VIII à propos de la nomination de l’archevêque de Canterbury qui a conduit à l’excommunication du souverain en 1209. Le roi ne bénéficie plus de la protection papale, le clergé quitte le royaume, les terres ecclésiastiques sont confisquées mais surtout le peuple est privé des cérémonies religieuses qui rythment son existence.

C’est dans ces conditions, dans cette atmosphère où le diable semble avoir chassé Dieu d’Angleterre qu’arrive à la cour de Norfolk, une jeune paysanne, Elena, héroïne de ce nouveau roman de l’une des plumes les plus talentueuses du roman historique britannique. A défaut de viatique, cette cérémonie permettant à un mourant de bénéficier de l’eucharistie pour préparer son voyage dans l’au-delà, un rituel baptisé « les mangeurs de péchés » est institué et consiste à prendre sur sa conscience, à recueillir tous les péchés des mourants, y compris les plus inavouables, les plus cruels.

Pensant travailler à la cour du seigneur de Gastmere, Elena va très vite devenir une mangeuse de péchés pour son plus grand malheur. Dans cette ambiance fantastique où le malin est caché dans chaque recoin de ces cathédrales abandonnées, notre jeune paysanne va côtoyer le diable en personne et ses innombrables serviteurs.

Après l’extraordinaire Compagnie des menteurs puis les Ages Sombres, Karen Maitland revient avec ce nouvel opus dans cette Angleterre médiévale où la crasse, le sang et la sorcellerie sont le lot commun des petites gens. Il y a dans la Malédiction du Norfolk une noirceur qui macule aussi bien les murs des châteaux que l’âme de leurs occupants. Avec cette atmosphère de fin du monde et d’hommes et de femmes livrés à eux-mêmes, sans aucune protection divine, face au mal et à la tentation, on sent chez Karen Maitland, l’influence du Moine de Matthew Lewis. La peur est distillée à merveille et permet de tenir le lecteur en éveil si d’aventure, il lui prenait l’envie de ciller. Le fantastique avec ces magiciens et cette sorcellerie comme en témoigne l’ajout de pages de l’herbier de la mandragore à côté de la réalité historique de cet épisode de l’histoire d’Angleterre compose cette ambiance qui a fait le succès des romans précédents de Karen Maitland.

L’auteur décrie et utilise une fois de plus à la perfection, cette religiosité entre christianisme et paganisme qui ont cohabité dans ce Moyen-Age des âges sombres pour reprendre le titre de son second ouvrage qui sort ces prochains jours en poche (Pocket). A cela, celle qui se situe dans la lignée des Ken Follett, des CJ Sansom et des Hilary Mantel, a rajouté une nouvelle intrigue policière qui compose un roman qui vous poursuivra de longues nuits entières après en avoir consumé plusieurs lors de sa lecture.

Karen Maitland, la Malédiction du Norfolk, Sonatine Editions, 2014

Par Laurent Pfaadt

Edition hebdoscope 1010, septembre 2014

Le héros devenu paria

Une nouvelle biographie de Philippe Pétain permet de redécouvrir ce personnage de l’histoire de France.

 Pétain

La commémoration du centenaire de la Grande guerre et le regain d’intérêt historique du public qui l’accompagne est l’occasion de publier les biographies des principaux acteurs du conflit qu’ils soient politiques, militaires ou les deux. Philippe Pétain, le héros de Verdun, n’échappe ainsi pas à cette frénésie éditrice.

Bien qu’il soit l’un des personnages les plus importants de notre histoire récente, que son procès demeure permanent dans la communauté scientifique ou dans les médias, bien peu d’ouvrages, mis à part la somme de Marc Ferro, ont tenté une approche globale et en profondeur du maréchal. C’est désormais le cas avec l’ouvrage de Bénedicte Vergez-Chaignon, grande spécialiste de cette période.

Car Pétain, c’est tout et son contraire. C’est le stratège exceptionnel de 1916 et le piètre président du conseil de 1940. C’est l’homme qui lutta contre les Allemands avant de serrer la main du plus terrible d’entre eux. C’est le général qui se soucia de la vie de ses hommes et le maréchal qui livra une partie des enfants de France à l’extermination. A ce titre, malgré la prudence du personnage (on ne sait que peu de choses sur ses positions pendant l’affaire Dreyfus), l’auteur conclut bien qu’il fut un antisémite.

Il fallait donc descendre Philippe Pétain de son piédestal ou de son pilori, et l’examiner. C’est ce qu’a parfaitement réussi Bénedicte Vergez-Chaignon tout au long des quelques mille pages qui ne sont pas de trop pour cerner le personnage public et l’homme privé. Et comme dans tous les mythes, il y a d’abord une affreuse banalité. Philippe Pétain, c’est d’abord un élève moyen qui effectue une carrière moyenne dans l’armée sans faire parler de lui. Comme tant d’autres avant et après lui, des évènements extraordinaires vont précipiter cet officier ordinaire sur l’avant-scène de l’histoire. Puis, il y eut Verdun où « Pétain aura su exploiter à son profit la propagande de guerre pour faire de lui un homme public » écrit l’auteur.

Dans l’entre-deux-guerres, l’homme, comme de nombreux héros de la Grande guerre, est courtisé par les politiques et se laisse tenter en devenant ministre de la guerre en 1934. Et puis surtout, il devient après la mort de Joffre, de Foch et de Lyautey, le dernier survivant des grands maréchaux. Car « faute de documents contemporains probants » sur Verdun, il a su tirer profit du mythe qu’il a patiemment construit.

Cultivant ses amitiés à l’extrême droite, il devient une figure de ralliement en même temps qu’un prétexte pour de nombreux antisémites désireux d’anéantir la gueuse, ce surnom donné à la Troisième République. Parvenu au sommet du pouvoir, Pétain y instaura un nouveau régime. A ce titre, Bénedicte Vergez-Chaignon décortique parfaitement la doctrine pétainiste, analysant ses diverses composantes tout en affirmant que dès le départ, « la collaboration était la suite logique de l’armistice ».

Avec ses innombrables renseignements et anecdotes – les larmes de déception de Pétain face à Foch le 9 novembre 1918 lorsque ce dernier lui demande de cesser le combat – ce livre qui entre en profondeur dans le personnage pour le mettre à nu devant le jugement de l’histoire, est appelé à demeurer la biographie de référence de cet homme qui marqua à jamais notre histoire.

Bénedicte Vergez-Chaignon, Pétain, Perrin, 2014.

Par Laurent Pfaadt
Edition hebdoscope 1010, septembre 2014

Comme un air d’Autriche-Hongrie

Brahms était à l’honneur de l’un des concerts phares de la Quinzaine musicale.

 Fischer

Certaines critiques parmi les plus sérieuses ne manquent pas d’éloges pour qualifier l’orchestre du festival de Budapest. D’autres affirment même que l’orchestre créé en 1983 par le chef Ivan Fischer, également chef principal de l’orchestre symphonique de Berlin (devenu orchestre du Konzerthaus) est l’un des meilleurs du vieux continent avec Vienne, Berlin et Amsterdam, rien que cela !

Il faut dire que l’on ne ressort pas indemne d’un concert de cet orchestre qui enchaîne les tournées et est demandé aux quatre coins de l’Europe. Venant de Londres, l’orchestre est ainsi attendu à La Scala de Milan avant de revenir dans sa Budapest natale.

A l’occasion de la clôture de sa 75e édition, la Quinzaine musicale de San Sebastian qui est revenue cette année sur ses origines a invité l’orchestre hongrois pour deux soirées consacrées aux troisième et quatrième symphonies de Brahms et à la Huitième symphonie « Inachevée » de Schubert qui partageait l’affiche de la première édition de la quinzaine en 1939.

Depuis le printemps, l’orchestre du festival de Budapest a régulièrement rendu hommage au célèbre compositeur romantique en interprétant régulièrement ces symphonies comme en témoigne la nuit Brahms diffusée sur France musique le 26 août dernier.

Il faut dire que l’orchestre dispose de tous les atouts nécessaires pour jouer ces œuvres monumentales. La suavité de ses bois, des cuivres tonitruants et précis permettent de donner vie à ces symphonies. Grâce à sa formidable direction, tout en rondeur, et qui insuffle une incroyable force à l’orchestre, Ivan Fischer, qui connaît parfaitement Brahms pour lui avoir consacré un cycle de référence de l’autre côté de l’Atlantique, a su mettre en valeur le fameux thème héroïque de la troisième – qui d’ailleurs valu à cette symphonie le surnom d’héroïque de la part du célèbre chef d’orchestre Hans Richter – avant de le faire littéralement exploser ce thème dans la coda du dernier mouvement.

L’interprétation de la quatrième symphonie, composée quant à elle en 1884-1885 n’est pas sans rappeler celle des plus grands (Haitink, Giulini, Kleiber). La passacaille qui traverse tout le dernier mouvement est particulièrement perceptible, les musiciens magyars de l’orchestre et leur chef étant particulièrement sensibles à cette forme musicale et se sont attachés à exalter cette dernière.

Grâce à ses instrumentistes de grande qualité et son chef majestueux, une énergie exceptionnelle s’est dégagée de ce concert qui a marqué les esprits. Le public du Kursaal était aux anges ce soir-là car il sait qu’il a assisté à un moment musical d’anthologie et unique.

Par Laurent Pfaadt

Edition hebdoscope 1010, septembre 2014

Baden-Baden Gala 2014

©_Manolo Press
©_Manolo Press

Die Baden-Baden Gala 2014, war der ­konzertanten Aufführung von Mozarts ­Sing­spiel « Die Entführung aus de Serail » im  Festspielhaus gewidmet. Wie bei « Don Giovanni » und « Cosi fan tutte», wurde die musikalische Leitung dem Dirigenten Yannick Nézet-Séguin anvertraut und wurde von der Deutschen Gramophon Gesellschaft mitgeschnitten.

Die glänzende Besetzung ist zur Zeit kaum zu überbieten. Die fünf Rollen, sechs wenn man die Sprechrolle des Bassa Selim dazu zählt, sind geradezu ideal besetzt.

Belmonte, wurde Rolando Villazon anvertraut, der Einzige der in der urdeutschen Besetzung ein wenig exotisch klingt. Man weiss dass die Stimme des Tenors viel an Glanz und Volum eingebüsst hat, aber er hat sie  immer noch in Kontrolle, singt gepflegt und stilsicher und weiss sowohl in dem Legato des träumerischen « Konstanze, dich wieder­zusehen »wie in den heiklen Koloraturen der oft geschnittenen Arie « Ich baue ganz auf deine Stärke »zu überzeugen. Auch muss man seine deutsche Ausprache so gut in den gesungenen Passagen wie in den gesprochenen Dialogen ­loben. Das leichte Akzent steigert noch den Charme.
Paul Schweinester überzeugte als Pedrillo. Die schöne, duktile Tenorstimme glänzte ganz besonders in der Arie « Auf zum Kampfe ». In der feinen Serenade « Im Mohrenland gefangen » bewies er seine Gesangskunst mit einem schönen Legato. In dem Duett « Vivat Bacchus » mit Osmin, kam auch sein spielerisches Talent völlig zur Geltung.

Osmin wurde Franz-Josef Selig anvertraut, einer der grössten Bässe der Gegenwart. Die tief timbrierte, wunderschöne Stimme besticht so gut in den ­wütenden Ausbrüche Osmins, im « Oh wie will ich triumphieren » wie im leichteren, lustigem Duett mit Pedrillo. Die Stimme ist ebenmässig, vom Hohen bis zum  tiefsten Register. Man merkt auch dass es dem Sänger Spass macht, so gut im ­komischeren Fach brillieren zu können, als in den würdevollen Partien eines Gurnemanz oder eines König Marke.

Die Sprechrolle des Bassa Selim wurde keinem Geringerem als Thomas Quasthoff anvertraut. Der Künstler, der seine Gesangskarriere vor zwei Jahren aufgegeben hat, widmet sich nun auschliesslich dem Theater. Es gelingt ihm der Rolle Kontur zu geben, dank seiner, auch im sprachlichen Fach ­faszinierenden Stimme.

Opernstar Diana Damrau verkörperte die Konstanze. Die Sängerin, die zur Zeit in der pariser Oper Furore in Verdis « La Traviata » macht,  ist mit der Partie schon längst vertraut. Es ist geradezu verblüffend wie sie jede Fazette der äusserst schwierigen Rolle meistert. So gut in dem wunderbar verinnerlichten Legato in « Traurigkeit ward mir zum Lose » als in den halsbrecherigen Koloraturen von « Marten aller Arten » ist  sie souverän, eine Perfektion die manchmal die Emotion in den Schatten stellt.

Das lebensfreudige, emanzipierte Blondchen wurde mit Anna Prohaska quasi ideal besetzt. Die schlanke, silberne Stimme weiss so gut in dem heiklen « Durch Zärtlichkeit und schmeicheln » wie in dem burchikosen übermütigen « Welche Wonne welche Lust » zu überzeugen. Man freut sich schon ihr, in der nächsten Spielzeit, als Sophie im Rosenkavalier, zu begegnen.

Das Vocalensemble Rastatt, von Holger Speck ein­studiert, besticht durch Genauigkeit und Rythmik in den « türkischen » Chören im ersten und im dritten Aufzug.

Der gosse Triumphator jedoch, war Yannick Nézet-Séguin und das Chamber Orchestra of Europe. Der junge Künstler bewies einmal mehr, dass er zu den führenden Dirigenten der Zeit gehört. Schon bei der Ouvertüre hatte man das Gefühl der Selbst­verständlichkeit : So muss es sein. Kein barocker Hauch, keine falsche Romantik aber ein zeitloser, be­seelter Mozart wie man ihn sich immer gewünscht hat. Eine fabelhafte Leistung.

Das enthusiastiche Publikum spendete allen Mit­be­teiligten einen orkanhaftigen Applaus.

Festspielhaus Baden-Baden, den 24. Juli 2014

Jean-Claude Hurstel, hebdoscope

Le livre à emmener à la plage

Ignacio del Valle, Derrière les masques

Chez Phébus
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Il nous avait éblouis avec ses deux romans policiers précédents mettant en scène un soldat de la division Azul de la Wehrmacht traquant le crime dans les paysages gelés du front russe et dans les ruines de Berlin. Aujourd’hui, Ignacio del Valle, l’un des auteurs de romans policiers les plus talentueux de sa génération et l’un des chefs de file du roman policier espagnol revient avec une sombre histoire de meurtre et de criminel de guerre où les démons d’hier n’ont pas été exorcisés.

Un simple règlement de comptes entre mafieux à Manhattan est le point de départ d’une vaste enquête aux multiples ramifications où l’auteur, comme dans ses précédents ouvrages, conduit son lecteur dans les profondeurs de l’histoire et sur une multitude de pistes.

Entraînant son lecteur de New York à Tel Haviv en passant par Belgrade et La Haye, l’auteur parvient une fois de plus à construire un suspense insoutenable où les énigmes s’emboîtent comme des poupées russes. Comme d’habitude, l’auteur joue avec nos nerfs jusqu’à la dernière page, jusqu’à l’épilogue d’une enquête menée tambour battant.

Par Laurent Pfaadt

Edition hebdoscope 1009, juillet 2014

Le livre à emmener à la plage

Robert Harris, D.,
Chez Plon

 

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On pensait l’Affaire Dreyfus inadaptable, impossible à romancer. Trop lourde d’enjeux, trop imposante dans sa symbolique historique, trop fragile pour l’histoire nationale française ! Et pourtant, Robert Harris l’a fait et de quelle manière ! Il faut dire que le maître du suspense britannique avait préparé le terrain ces dernières années avec plusieurs romans d’anthologie comme Fatherland (1992), Pompéi (2003) ou Impérium (2006).

Parvenu assez rapidement au terme de ce roman tellement il est difficile de le lâcher, une impression domine : mais pourquoi ne l’a-t-on pas écrit plus tôt ? Car tout se prête au roman dans cette affaire Dreyfus: un innocent injustement condamné (Alfred Dreyfus), un Etat décidé à étouffer un scandale, un héros qui doit se battre contre ses pairs et contre des forces qui tentent de le broyer (Georges Picquart), une histoire d’amour déchirante (entre Lucie et Alfred Dreyfus) et pour pimenter tout cela, une histoire d’espionnage entre deux pays au bord de la guerre.

Suivant les traces du colonel Georges Picquart, chef du deuxième bureau (le service de renseignement militaire), l’intrigue du roman et le scandale de l’affaire se déroulent lentement comme une pelote de laine sous la plume d’un Robert Harris au sommet de son art. Plus qu’un roman policier, D. est également une formidable entrée en matière pour un public peu familier de cet évènement majeur qui laissa des traces indélébiles sur notre histoire de France et peu enclin à se plonger dans des essais volumineux parfois dissuasifs.

Quand l’histoire se lit comme un roman…

Par Laurent Pfaadt
Edition hebodscope 1009, juillet 2014

Le livre à emmener à la plage

Wallace Breem, l’aigle de Rome

Chez Panini Books

 

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Prenez la scène d’ouverture du film Gladiator et prolongez là pendant 350 pages. Voilà à quoi ressemble ce roman paru en 1970 et lu dans le monde entier que réédite Panini Books, une maison d’édition spécialisée dans les romans historiques d’action. Tous ceux qui aiment cette Antiquité où le destin des hommes et des empires se jouait sur les champs de bataille, ne pourront lâcher ce roman qui conte l’histoire et le destin du général Maximus et de sa XXe légion.

Au milieu des forêts glacées de Germanie, vous n’aurez pas trop chaud pour résister au feu et à la fureur des hordes germaniques. Livré à vous-même au sein de cette 20e légion perdue en territoire hostile, il vous faudra défendre coûte que coûte l’empire des Césars ! Entre action et histoire, ce roman plein de testostérone passionnera aussi bien les adeptes de la Rome antique que les passionnés de batailles titanesques.

Par Laurent Pfaadt

Edition hebdoscope 1009, juillet 2014

Le livre à emmener à la plage

Juan Manuel de Prada, Une imposture
Chez
Seuil

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Attention chef d’œuvre ! Voici ce qu’un bandeau devrait signaler sur la magnifique couverture du livre de Juan Manuel de Prada, prodige réac des lettres espagnoles et prix Planeta 1997 (le plus grand prix de littérature espagnole) pour la Tempête. Ou plutôt devrait-on dire nouveau chef d’œuvre de cette littérature espagnole vivante, rythmée, enlevée avec ses Arturo Perez-Reverte, ses Eduardo Mendoza, ses Ignacio del Valle, ses Carlos Luis Zafon, ses Jaume Cabré. Juan de Prada doit assurément être ajouté à cette liste avec ce roman magistral qui explore les tréfonds de l’âme humaine à la manière d’un Dostoïevski.

Une imposture c’est l’histoire d’Antonio, petit malfrat embarqué dans un destin à travers les vicissitudes de l’histoire qui va le dépasser, le détruire malgré lui.

De la fuite à la culpabilité en passant par le thème du double, très largement exploré dans la littérature, le roman montre à quel point les hommes sont capables de faiblesse et sont en permanence traversés par la rédemption. Roman de guerre et roman picaresque, Une imposture conduit jusqu’à la dernière page le lecteur sur la mince ligne de crête qui sépare le bien du mal.

Par Laurent Pfaadt

Edition hebdoscope 1009, juillet 2014

Le livre à emmener à la plage

Timur Vermes, Il est de retour
Chez Belfond
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Et si Hitler revenait ? C’est l’hypothèse un peu folle de cet OVNI littéraire qui a déjà rencontré un grand succès outre-Rhin (1,5 millions d’exemplaires vendus). Après 70 ans de silence, le Führer se réveille en pleine Allemagne du XXIe siècle avec comble du malheur pour le dictateur le plus honni de l’histoire de l’humanité, une femme à la tête de sa belle patrie ! Passé le moment de surprise et le temps de réadaptation au monde moderne, Hitler, pris pour un imitateur, se lance une nouvelle fois à l’assaut du pouvoir.

Fable moderne, Il est de retour cultive le burlesque en même temps qu’il délivre des leçons sur la manipulation des masses via les médias. Car le Führer, qui contrôla à merveille entre 1933 et 1945 les journaux et instaura une propagande que d’autres copièrent, se coule parfaitement de ce nouveau monde de l’information, distillant entre conférences de presse et shows télévisés ses théories sous la forme d’un Mein Kampf interactif.

On rit à chaque page notamment lorsqu’Hitler caricaturé à souhait par l’auteur peste contre ses généraux, Goering surnommé « le Gros » ou contre Bormann son secrétaire. On rit moins devant la facilité de persuasion et de pénétration des idées du Führer. Arrivé à la fin de l’ouvrage, on se demande : « Et si cela recommençait ? ». Alors là, on ne rit plus.


Par Laurent Pfaadt
Edition hebdoscope 1009, juillet 2014

Les ombres de la Pax Americana

Plusieurs ouvrages reviennent sur les déboires et les perspectives de la politique étrangère américaine.

obama

Un uppercut. C’est ce que l’on ressent à la lecture de cette nouvelle enquête extrêmement fouillée, ce livre coup de poing de Jérémy Scahill, journaliste qui nous avait déjà impressionné avec son ouvrage sur la société de sécurité Blackwater.

Avec Scahill, le lecteur est embarqué dans un voyage vertigineux, du sommet à la base de cette politique étrangère américaine, du Proche-Orient aux capitales occidentales, des ruelles mortelles de Badgad ou de Sanaa aux salons feutrés du Pentagone, avec ses répercussions mondiales sur l’ensemble des sociétés. Cet extraordinaire travail d’investigation nous emmène de la décision à l’exécution, des plans d’élimination aux voyages en drone. Les enquêtes parfois périlleuses de Scahill sur le terrain permettent de comprendre comment l’idéologie se traduit à tort ou à raison en meurtres, en éliminations et souvent en bavures.

Le journaliste de The Nation donne ainsi la parole à ces hommes, ces femmes que l’on range souvent dans la case « dommages collatéraux », ces victimes innocentes d’une guerre qui n’est pas la leur mais qui la devienne malgré eux et en fait des combattants redoutables et des terroristes convaincus.

Petit à petit, comme dans un thriller, les pièces disparates d’un conflit planétaire et au demeurant sans rapport entre elles s’assemblent pour devenir les rouages d’une seule et même mécanique, d’un unique engrenage concerté et décidé.

Evidemment, la critique des années Bush (2001-2009) est omniprésente avec les invasions de l’Afghanistan et de l’Irak et son imposition stupide de la démocratie au Moyen-Orient. Mais Jérémy Schahill éreinte également son successeur Barack Obama. « Au moment où Obama rentre d’Oslo avec son prix Nobel en poche, son administration s’apprête à lancer une nouvelle guerre secrète et à inaugurer une nouvelle ère de la politique étrangère américaine, fondée sur l’expansion de son programme planétaire d’assassinats ciblés » écrit ainsi Jérémy Scahill.

L’ouvrage dresse également une formidable galerie de portraits de responsables politiques et militaires ou de terroristes (le général Stanley Mc Chrystal surnommé le « Pape », le terroriste Anwar Al-Awlaki, ou Raymond Davis dont l’affaire en 2011 marqua l’actualité) permettant de les restituer dans ce vaste contexte entourant cette guerre contre le terrorisme.

Du terrain à la mise en perspective, il n’y a qu’un pas que franchit allègrement Robert D. Kaplan, journaliste américain spécialisé en géopolitique et théoricien conservateur dans la Revanche de la géographie. Avec ce premier ouvrage traduit en français, le public découvre enfin ce journaliste iconoclaste dont les thèses sur le conflit yougoslave, la démocratie européenne ou l’affrontement avec la Chine ont suscité des débats passionnés.

Et il faut dire que les choses ne traînent pas. Après quelques chapitres historiques où Kaplan revient sur les grands maîtres à penser de la géopolitique et la géostratégie que sont Halford Mackinder et Karl Haushofer, qui influença Hitler, la Revanche de la géographie met en pièces la politique étrangère américaine de ces quarante dernières années.

S’appuyant sur les cartes à la manière d’une émission bien connue, Robert Kaplan avance certaines théories concernant les conflits à venir dans les vingt prochaines années. Le Moyen-Orient, l’Inde, l’Union Européenne, le Mexique et la Chine sont ainsi passés au crible.

Concernant cette dernière, Robert Kaplan reste convaincu que la Chine représente une menace mais qu’elle « est trop puissante pour être combattue ». Selon lui, sa politique d’armement active et l’accroissement de son budget militaire est avant tout dissuasif. Il revient également sur le rôle que les Etats-Unis sera appelé à jouer dans les prochaines années. Un chapitre très important est consacré à l’Iran dont il pense à juste titre – cette analyse étant d’ailleurs partagé par de nombreux spécialistes – que son réveil et sa domination du Moyen-Orient n’est maintenant plus qu’une question de temps car l’histoire a prouvé par le passé que les différentes civilisations qui se sont succédées sur cette terre ont bâti des empires durables et redoutables.

L’ouvrage pêche parfois par des références trop orientés à droite, trop marquées par une idéologie influencée par des néo-conservateurs comme Jakub J. Grygiel ou le célèbre auteur du Choc des civilisations, Samuel Huntington. A ce titre, l’ancien secrétaire d’Etat américain Henry Kisssinger y a apporté toute sa caution morale. La Revanche de la géographie n’en demeure pas moins intéressante car elle permet une mise en perspective de la marche du monde, ce qui fait parfois cruellement défaut à nos dirigeants.

Jérémy Scahill, Dirty Wars : Le nouvel art de la guerre, Lux Editeur, 2014

Robert D. Kaplan, La Revanche de la Géographie : Ce que les cartes nous disent des conflits à venir, Edition du Toucan, 2014

Par Laurent Pfaadt
Edition hebdoscope 1009, juillet 2014