Archives par mot-clé : Institut du Monde Arabe

Une humanité en ruines

Temple Bel
© Iconem DGAM

Une exposition choc
revient sur les
destructions de
plusieurs grandes
cités millénaires

Un vieil homme,
barbe blanche,
chapeau en feutre
avance, appuyé sur une canne, dans les couloirs de l’exposition. « Je me souviens de cette
ville où toutes les communautés vivaient en paix, de caravansérails de
toute beauté »
lâche-t-il, amer, devant les ruines d’Alep, cette ville
que le grand poète médiéval Abul ʿAla Al-Maʿarri comparait au jardin
d’Eden et qui est devenue la Guernica du 21e siècle.

Cette cité millénaire comme Palmyre, la ville de la reine Zénobie,
l’irakienne Mossoul et son mausolée de Jonas ou la libyenne Leptis
Magna magnifiée par l’empereur romain Septime Sévère sont au
cœur d’une exposition spectaculaire. Il faut dire que l’expérience de
la réalité augmentée nous a convaincu de pousser les portes d’une
exposition que l’on redoutait fastidieuse. Cette sensation disparaît
immédiatement face aux immenses ruines de Mossoul. Grâce à une
dramaturgie savamment organisée, le visiteur est immédiatement
plongé dans ces champs de bataille. Comme survolant chaque ville
depuis un hélicoptère de l’armée, on est saisi d’effroi devant ces
ruines où s’entassent rues, maisons et carcasses de voiture, devant
ces souks transformés en catacombes, devant ces maisons de Dieu
devenues des tombes. Ne manque plus que l’odeur de la mort même
si on la devine partout, tapie dans l’obscurité et rassasiée, sous cette
poussière qui recouvre l’Histoire et la pierre tel un linceul.

Dans ce ciel, noir comme l’étendard de l’Etat islamique, les
monuments reprennent, grâce à la magie de la technologie 3D, une
vie architecturale qu’elle mettra en réalité des décennies à se libérer
de ses oripeaux virtuels. Mais pour le visiteur, dans cette Mossoul où
cohabitaient musulmans, juifs, chrétiens assyriens, yézidis, l’Eglise
Notre-Dame de l’Homme ou la Mosquée Al-Nouri où s’exprima
l’imam Al Baghdadi, le 4 juillet 2014 après la prise de la ville,
recouvrent leurs vies d’avant. Des photos datant des années 1930 et
les témoignages de ces héros, simples citoyens ou religieux
résistants ayant chacun à leur manière sauvé une partie de la
mémoire de leur ville, viennent rappeler les innombrables richesses
matérielles et immatérielles contenues dans ces cités et qui ne
seront jamais vaincues. Tel le père Michaeel Najeeb, prêtre
dominicain qui sauva une partie de la bibliothèque de Mossoul des
autodafés islamistes, qui témoigne dans cette exposition et dans un
livre récent. « Les hommes sans passé, sans racines, ont perdu leur âme »
estime ainsi celui qui, en sauvant les livres, sauva aussi les hommes.

Plus loin, les ruines romaines de Leptis Magna et de Palmyre offrent
le même spectacle de désolation. Au final, l’expérience 3D
développée par Ubisoft, leader mondial du jeu vidéo, ne fait
qu’ouvrir un peu plus les portes de notre imaginaire avec cette
chaleur libyenne ou ces pigeons sous les voûtes de l’église de
Mossoul en nous offrant un surplus de sensations fortes. Mais
l’essentiel est ailleurs. Il est dans la contemplation de ces ruines
encore fumantes et surtout dans leur signification. Des générations
entières de peintres et d’écrivains ont pleuré devant la beauté des
ruines romaines, mille ans après la destruction de l’Empire par les
Barbares. Nos larmes de dégoût, de tristesse face aux méfaits de
leurs successeurs sont-elles amenées dans un siècle, un millénaire, à
devenir romantisme ? C’est à cela que la technologie mise au service
de cette exposition doit servir : à ne jamais banaliser ce qui a été fait
pour que, comme le rappelle Michel Al-Maqdissi, ancien directeur
du service des fouilles de Syrie, Palmyre puisse « rester l’espace
prodigieux né de la terre et du sable dans lequel la volonté divine
transforma la steppe en une puissance terrestre »
.

Le vieil homme est là, assis sur un banc face au théâtre antique de
Palmyre. Inconsciemment, il a ôté son chapeau comme pour rendre
hommage à Khaled Assaad, l’ancien directeur du site exécuté par
l’Etat islamique en août 2015. « Quelle tristesse de voir l’homme
saccager l’humanité »
lâche-t-il avant d’ajouter « une fois de plus ». Tout
est dit.

Par Laurent Pfaadt

Cités millénaires, voyage virtuel de Palmyre à Mossoul,
Institut du Monde Arabe,
jusqu’au 10 février 2019

A lire : 

Catalogue Cités millénaires :
Voyage virtuel de Palmyre à Mossoul, Aloudat, Nala (direction), Institut Monde Arabe,
Chez Hazan, 120 p.

Père Michaeel Najeeb, Romain Gubert, Sauver les livres et les hommes,
Chez Grasset, 180 p.