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Des dynasties gravées dans le marbre

Dans la cadre de « la sculpture 18e », deux expositions majeures mettent en lumière l’incroyable rayonnement de la statuaire lorraine

Statue d-Apollon attribuée à Barthelemy Guibal

Stanislas est de retour. Chez lui. Dans ce château de Lunéville, ce
« Versailles lorrain » qu’il a transcendé architecturalement. Voilà ce
que le visiteur ressent en contemplant la magnifique statuette en
biscuit de porcelaine à l’effigie de l’ancien roi de Pologne tirée de la
manufacture Cyfflé. Mais dès avant l’arrivée de Stanislas
Leszczynski, les ducs de Lorraine comprirent très vite que la
statuaire constituait un outil de propagande et de prestige qu’ils
s’évertuèrent à décliner sur les murs, dans les jardins et les
appartements. En témoigne ainsi ce très beau buste en terre cuite
du duc Léopold par Jacob Sigisbert Adam. Chez Léopold « l’image de
la jeunesse du souverain vêtu de la cuirasse du chef de guerre sert l’idée
d’un pouvoir conquérant » écrit Thierry Franz, responsable du musée
du château de Lunéville et commissaire de l’exposition dans le très
beau catalogue qui accompagne cette dernière. A la cour, les
premiers artistes arrivèrent pour donner corps à cette ambition. Ils
se nomment François Dumont et Germain Boffrand et laisseront des
traces indélébiles comme ce formidable Titan foudroyé du musée du
Louvre.

Le duc Stanislas amena la rocaille, ce goût du mouvement magnifié
par le duo Barthélémy Guibal- François Héré à nouveau réuni pour
donner vie, dans les jardins avec cette magnifique statue d’Apollon
ou ces fontaines de métal, aujourd’hui chez l’électeur palatin
Charles-Théodore, aux rêves artistiques du duc. A l’intérieur, dans
les appartements, la sculpture servit les fastes du quotidien comme
dans ces figures du magnifique miroir de la duchesse Elisabeth-
Charlotte d’Orléans.

Jacob Sigisbert Adam, patriarche d’une dynastie de sculpteurs
lorrains qui allait rayonner sur l’Europe, mit lui aussi son art au
service de Stanislas. Ses descendants, réunis dans la magnifique
exposition du musée des Beaux- Arts de Nancy organisée en
partenariat avec le musée du Louvre avec plus de cent sculptures,
convoque le visiteur à un voyage à travers l’Europe des Lumières, de
Versailles à Potsdam en passant par Berlin et Rome.

C’est véritablement le fils de Jacob Sigisbert, Lambert Sigisbert qui
allait inscrire les Adam au panthéon de la sculpture française en
participant notamment au concours de la fontaine de Trevi organisé
par le pape Clément XII en 1730 et en réalisant un bas-relief dans la
chapelle du souverain pontife au sein de l’église Saint-Jean-de-Latran à Rome. L’art de Lambert Sigisbert profondément imprégné
du Bernin transcende littéralement le matériau. Ses visages sont
marqués par de petites lèvres, de grands yeux et par ces muscles
tendus comme chez son Neptune calmant la tempête, l’une des plus
belles pièces de l’exposition. On reste fasciné par tant de génie,
s’attendant à tout instant à voir le dieu de la mer détourner son
regard vers nous. Son fétichisme pour les chevelures – qui restera
une des marques de fabrique de la famille – ou ces drapés gonflés
par le vent dénotent une technicité assez remarquable. Comme à
Lunéville, des pièces exceptionnelles, issues de collections
prestigieuses ou jamais montrées, notamment l’Agonie du Christ au
jardin des Oliviers ou la Nativité du carmel Sainte-Thérèse de Créteil.

Les successeurs de Lambert Sigisbert sauront faire fructifier cet
héritage. Ses deux frères, Nicolas Sébastien Adam qui réalisa le
monument funéraire du duc Stanislas aujourd’hui visible dans
l’église Notre-Dame-de-Bonsecours, et dont l’exposition présente le
très beau Prométhée déchiré par un aigle ainsi que François Gaspard,
premier sculpteur à la cour de Frédéric II de Prusse, qui participa
notamment au chantier du bassin de Neptune de Versailles et
complètera les sculptures offertes par Louis XV au roi de Prusse
pour son château de Sans-souci demeurèrent fidèles à la tradition
sculpturale familiale avec leurs beaux drapés soufflés. Sa dernière
réalisation, la très belle Minerve de 1760 atteste ainsi de son
incroyable talent.

Claude-Michel dit Clodion, peut-être le plus connu des Adam, resta
fidèle au style rocaille tout en diversifiant un art qui excella dans les
compositions mythologiques. Formé auprès de Jean-Baptiste
Pigalle, celui qui comptait quelques grands personnages de la cour
parmi ses protecteurs dont Charles-Alexandre Calonne, contrôleur
général des finances de Louis XVI et auteur de la fameuse statue de
Montesquieu, laissa quelques témoignages remarquables dont ce
très beau relief en marbre (La Marchande d’Amours) ou le fleuve
Scamandre desséché par les feux de Vulcain qui le rattache à ses
ancêtres.

« Vous vivrez toujours et votre ouvrage sera immortel » avait dit le roi
Fréderic du Danemark à Nicolas Sébastien Adam, le frère de
Lambert Sigisbert. Avec cette remarquable exposition, il faut en
convenir : le souverain danois avait raison.

Par Laurent Pfaadt

La sculpture en son château. Variations sur un art majeur, château de Lunéville,
jusqu’au 9 janvier 2022

Les Adam, la sculpture en héritage, Musée des Beaux-Arts de Nancy,
jusqu’en 9 janvier 2022