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Martha Argerich raconte

Qui aurait pu prédire que cette jeune femme de 24 ans avec ses airs
de « reine assyrienne » comme le rappelle avec malice Olivier Bellamy,
éclabousserait le monde de la musique classique en s’asseyant
devant son piano lors de ce fameux récital d’anthologie de 1965, et
deviendrait au lendemain de ses 80 printemps, fêtés le 5 juin dernier,
l’une des légendes du piano des 20e et 21e siècles, à la fois adulée et
toujours aussi mystérieuse ? Quelques-uns peut-être. 

Remontant le fil de ce destin hors normes, Olivier Bellamy,
journaliste à Radio Classique et Classica, nous trace, à travers
quelques grands entretiens et miscellanées qui sont autant de
sentences de la « reine », le portrait de cette femme qui ne se livre
que rarement. Au centre de ces pages, il y a bien entendu la musique
et le piano avec en majesté, ses Beethoven et notamment ce
quatrième concerto qui décida, pour cette enfant de Buenos Aires,
de son incroyable destinée, ces Schumann ou ce Chopin, « son amour
impossible » qu’elle sublima. 

Les grands pianistes et les chefs se succèdent ainsi au fil des pages : le professeur Friedrich Gulda, omniprésent, dont elle fut l’unique
élève, Nelson Freire, l’ami de toujours qui « sent tout ce que je sens »,
Claudio Abbado avec qui elle réalisa peut-être ses plus beaux
disques ou Daniel Barenboim qu’elle admire. Elle est tantôt peu
amène sur certains pianistes dont nous tairons le nom, enjouée pour
d’autres comme Piotr Anderszewski par exemple. A la manière d’un
concerto, avec ses mouvements lents et rapides, ses accents
désinvoltes et ténébreux, la pianiste évoque son enfance, sa vie, sa
relation avec le chef Charles Dutoit, son rapport à la mort après
avoir vaincu un cancer, la musique comme vecteur de démocratie ou
ses liens avec la France dont l’âme « possède quelque chose de voilé »« 
J’aime beaucoup jouer du piano, mais je n’aime pas être une pianiste » 
conclut-elle dans ce livre qui contribuera à façonner un peu plus
cette légende…

Par Laurent Pfaadt

A écouter : Martha Argerich, The Legendary 1965 Recording, Warner Classics

Olivier Bellamy, Martha Argerich raconte,
chez Buchet & Chastel, 272 p.

Un amour en noir et blanc

clarahaskilLe piano fait son entrée dans la célèbre collection des dictionnaires amoureux.

Il faut dire qu’en mélomane averti, cela faisait longtemps que l’on attendait ce livre. On s’était contenté de quelques entrées dans le dictionnaire amoureux de la musique d’André Tubeuf, de quelques bribes ici ou là (opéra, Venise) mais le piano attendait derrière le rideau de l’édition que justice lui soit rendue.

C’est désormais chose faîte avec ce dictionnaire amoureux du piano d’Olivier Bellamy qui n’est plus à présenter si ce n’est à ceux qui ne connaîtraient pas encore Passion classique sur les ondes. Comme d’habitude, l’ouvrage obéit au classement alphabétique des dictionnaires mais ses entrées sont fonction de l’amour et de l’humeur de son auteur. Et on sent bien, en ouvrant au hasard à telle entrée ou à telle page, que notre auteur aime passionnément son sujet.

Alors oui, il y a les entrées incontournables, celles des grands compositeurs qui ont donné au piano ses lettres de noblesses (Bach, Mozart, Beethoven, Brahms, Chopin, Liszt ou Schumann). A ce titre, il ne pouvait faire l’impasse sur l’histoire d’amour entre Clara et Robert Schumann où « cette fusion amoureuse donne de la passion, de la chair et de la tendresse à sa musique. Clara est partout, dans chaque phrase, dans chaque note » écrit ainsi Olivier Bellamy à propos de l’œuvre au piano de Robert Schuman qui, après son mariage avec Clara, ne composa plus rien au piano sauf au soir de sa vie.

Les solistes, ces génies du clavier, vivants ou morts ne sont pas oubliés, loin de là. D’Alfred Cortot à Evgueny Kissin en passant par Sviatoslav Richter, Martha Argerich, Vladimir Horowitz, Glenn Gould, Clara Haskil ou Arturo Benedetti Michelangeli, ils sont tous là. Olivier Bellamy, grâce à son incroyable culture musicale, les fait ainsi revivre sous nos yeux, dans tel concert mythique ou nous relate telle anecdote croustillante comme ce cadeau, une Ferrari 250 GT Pininfarina offerte à Michelangeli par Enzo Ferrari en personne ou les derniers mots émouvants de Clara Haskil sur le quai de la gare de Bruxelles.

Enfin, l’attrait majeur de ces dictionnaires réside dans leurs entrées inattendues parfois teintées d’humour qui interpellent et excitent notre curiosité. Et celui d’Olivier Bellamy en fourmille. Ainsi, Aveugle évoque la carrière de certains pianistes aveugles tels Thomas Wiggins ou George Sharing avant de préciser que « dès lors, quand on est privé de la vue, la partie la plus périlleuse d’un récital, c’est de parcourir le chemin qui mène du rideau de scène au piano ». Plus loin, Mains de pianiste s’ouvre ainsi : « l’expression populaire désigne des doigts longs et fins. Elle se trompe. » Et l’entrée de préciser que Frédéric Chopin, Alicia de Larrocha et même Glenn Gould n’avaient pas de prédispositions physiques pour le piano car ce qui compte affirme l’auteur, c’est la force et la souplesse du poignet.

«On s’habitue à tout, sauf à soi-même» disait Alfred Cortot. Il en va de même pour ce dictionnaire. Il faut l’ouvrir et l’ouvrir encore car des notes s’en échappent et résonnent en permanence à nos oreilles à chaque lecture.

Olivier Bellamy, Dictionnaire amoureux du piano, Plon, 2014

Par Laurent Pfaadt
Edition hebdoscope 1011, octobre 2014