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Le soldat britannique

Soldats de la Wehrmacht contre combattants de l’Armée Rouge,
Forces Françaises Libres ou GI américains débarquant sur les plages
de Normandie et engagés dans une lutte à mort contre des soldats
japonais fanatisés, le mythe du soldat de la Seconde guerre mondiale
s’est largement construit en omettant le soldat britannique. Et
pourtant, celui-ci peut se prévaloir de faits d’armes d’importance : il
défit, dans le désert, le plus intrépide des généraux allemands et
évita aux Alliés de perdre la guerre où, selon les mots de Winston
Churchill, « jamais dans l’histoire des conflits tant de gens n’ont dû autant à si peu », en référence aux aviateurs de la Royal Air France qui
gagnèrent la bataille d’Angleterre.

Le livre de Benoît Rondeau répare enfin cette injustice, cet oubli de
l’historiographie française. Sur quoi se base-t-elle ? A l’impossibilité
de définir une identité ? L’auteur il montre qu’il n’y a pas un soldat
britannique mais des soldats britanniques, un soldat impérial entre
Irlandais, Ecossais, Kiwis Néo-Zélandais, Gurkhas du Népal
considérés comme l’élite de l’armée des Indes ou Juifs de Palestine.
Cela tient-il au respect profond et à l’honneur que ce soldat
manifesta à l’égard des lois de la guerre quand le conflit se définissait
par le nombre de massacres exercés de part et d’autre de la ligne de
front ? Peut-être même si les bombardements à outrance des villes
allemandes, dont certains peuvent être considérés comme des  
crimes de guerre notamment à Dresde en février 1945, ont été le
fait de la RAF.

Ces réponses se trouvent assurément dans le livre de Benoît
Rondeau. Explorant toutes les caractéristiques du soldat
britannique avec comme à son habitude, une extraordinaire
exhaustivité et reprenant sa méthode déjà exposée avec brio dans
son livre sur la Wehrmacht (Etre soldat de Hitler, Perrin, 2019),
l’auteur nous emmène dans les cercles d’officiers, les arsenaux, sur
mer et en compagnie des fameux génies de Bletchley Park qui
cassèrent les codes nazis. Le livre se lit presque comme un
dictionnaire, c’est-à-dire en l’ouvrant au chapitre souhaité. Il
fourmille d’anecdotes tantôt drôles comme ce piano amené par le
général Philip « Pip » Roberts sur lequel l’officier jouait du jazz lors de la campagne de Tunisie ou la découverte du harem du bey de
Tunis, tantôt tragiques comme l’entrée dans le camp de
concentration de Bergen-Belsen. Mais à chaque fois, elles servent à
cerner la mentalité du soldat et à appréhender la construction de
son mythe.

Sans faire un livre d’histoire de l’armée britannique durant le second
conflit mondial, l’auteur s’attache à suivre le soldat dans son
quotidien et parvient, assez subtilement à nous présenter, du point
de vue du soldat de base ou du général, les grands affrontements
(guerre du désert que connaît particulièrement bien l’auteur, les
campagnes d’Italie ou de Birmanie) dans lesquels les Britanniques
furent impliqués. Les lacunes ne sont pas omises comme les défaites
du début du conflit, le manque de coordination interarmes ou les
carences en sous-marins, Benoît Rondeau explore également dans
des chapitres passionnants la conception de la guerre propre aux
soldats britanniques – croyance dans la victoire finale au sein de la
troupe, nécessité de limiter les pertes humaines chez les officiers –  
ainsi que les rapports sociaux au sein de l’armée et avec l’ennemi. Au
final, la démonstration du livre important de Benoit Rondeau permet
de prendre toute la mesure de la contribution majeure de l’armée
britannique à la victoire finale.

Par Laurent Pfaadt

Benoît Rondeau, Le soldat britannique
Chez Perrin, 512 p.

Brejnev, l’antihéros

Leonid Brejnev adorait le théâtre. Et la pièce dont il fut le principal
acteur s’apparenta tantôt à une honteuse tragédie, tantôt à une
comédie pathétique. C’est ce que montre à merveille cette première
biographie française du leader soviétique signée Andreï Kozovoï,
maître de conférences à l’université de Lille. Pour quelle raison
Brejnev ne suscita que peu d’intérêt parmi les chercheurs français ?
Parce que coincé entre le turbulent Khrouchtchev et le réformateur
Gorbatchev ? Parce que son époque ne vacilla pas comme à Cuba en
1962 ou à Berlin en 1989 ? Parce que Brejnev incarna parfaitement
l’antihéros, objet des blagues les plus grotesques et symbole du
discrédit moral de l’URSS ? Peut-être pour toutes ces raisons à la fois
finalement.

Dans ce grand théâtre cynique et sanglant que fut le 20e siècle,
Leonid Brejnev demeura longtemps dans la coulisse. Modèle de
l’apparatchik ayant réussi à passer entre les gouttes des purges, il
rejoignit la cour d’un autre ukrainien, Nikita Khrouchtchev qu’il
trahit lors de la révolution de palais d’octobre 1964 qui le porta au
pouvoir. Grâce à des archives inédites, l’auteur nous fait ainsi revivre
presque heure par heure, au sein du Poliburo, cet évènement majeur
du 20e siècle.  

Fin politique, Brejnev installa une gouvernance faite de népotisme
où l’on retrouva des membres de sa famille et de la « mafia de
Dniepropetrovsk » c’est-à-dire de fidèles à lui, au sein d’un système
qualifié de « culte de la personnalité sans personnalité ». En fait, celui-ci
s’apparenta à un conservatisme qui ne dit pas son nom où les écarts
avec le dogme soviétique ne furent pas tolérés. Prague en 1968 ou
les dissidents en firent ainsi les frais. Mais l’inadaptation de ce
conservatisme avec le monde de la deuxième partie du 20e siècle
accéléra la chute du régime soviétique. Déclin économique
irrattrapable, décisions géopolitiques hasardeuses comme en Afghanistan, Brejnev restera bien dans l’histoire comme le fossoyeur
de l’URSS. Et le ciment du mythe de la grande guerre patriotique
dont il usa ne parvint pas à éviter l’effondrement du système.

Le lecteur assiste ainsi en même temps aux dérives à la fois d’un
système et de l’esprit d’un homme. En s’appuyant sur les carnets
personnels de Brejnev dont il démêle en historien averti le vrai du
faux, la réalité du mythe et en croisant d’autres sources inédites et
passionnantes – comme celles de la répression de l’insurrection de
Budapest en 1956 –  Andreï Kozovoï nous montre combien Brejnev
personnifia l’enfermement d’un système qui finit par pourrir de
l’intérieur.

Par Laurent Pfaadt

Andreï Kozovoï, Brejnev, l’antihéros
Aux éditions Perrin, 400 p.

#Lecturesconfinement : 7 femmes de Lydie Salvayre par Anne Pauly

 

En ces temps de morosité, j’ai replongé avec un plaisir infini dans le
« 7 Femmes » de Lydie Salvayre. Elle y évoque le destin de sept
« allumées », sept écrivaines (Emily Bronte, Djuna Barnes, Sylvia
Plath, Colette, Marina Tsvetaeva, Virginia Woolf et Ingeborg
Bachmann) pour qui l’écriture était l’existence même et qui, malgré
l’adversité, ont écouté la petit voix qui leur disait de ne pas renoncer.
Sept portraits délicieux, comme sept exercices d’admiration,
délivrés par la plume vive et drôle de Lydie Salvayre. Quelle
jouissance !
Anne Pauly est écrivaine. Son premier roman, Avant que j’oublie
(Verdier) a obtenu, en 2020, le Prix du livre Inter.


7 femmes de Lydie Salvayre (Perrin)
par Anne Pauly

#Lecturesconfinement : Churchill d’Andrew Roberts par Delphine Ernotte

Je lis, ou plutôt je dévore la
biographie de Churchill d’Andrew
Roberts. C’est bluffant de précision,
de finesse et d’intelligence : on
comprend tout et l’auteur rectifie au
passage les propres récits de
Churchill dans Mes jeunes années
notamment. Et ça qui se lit comme
un roman !
Delphine Ernotte est la présidente
de France Télévisions

Churchill
d’Andrew Roberts (Perrin)
par Delphine Ernotte

Un renard parmi les loups

Nouvelle biographie
passionnante
d’Erwin Rommel

Depuis quelques
années déjà, les
éditions Perrin ont
entrepris de publier les biographies des principaux acteurs militaires
de la seconde guerre mondiale : Joukov, Patton, van Manstein etc.
Ce nouvel opus consacré à Erwin Rommel, l’un des stratèges les plus
connus du second conflit mondial et objet de plusieurs ouvrages, se
révèle passionnant à plus d’un titre. D’abord parce qu’il est signé par
l’un des plus grands spécialistes du maréchal, Benoît Rondeau, déjà
auteur d’un remarquable ouvrage sur l’Afrikakorps, l’armée de
Rommel. Ensuite, parce qu’il permet de mieux cerner ce personnage
ambigu et de mettre en lumière ses contractions aussi bien
militaires que psychologiques.

Benoît Rondeau entraîne ainsi son lecteur tout au long de ce destin
qui se confondit avec celui de l’Allemagne que l’on croise au congrès
de Nuremberg en 1936 où Rommel fut chargé de la sécurité d’Adolf
Hitler, sur les dunes africaines où Rommel construisit, à l’ombre des
mythiques pyramides, sa légende, ou en France où il multiplia succès
et erreurs.

Officier durant la Première guerre mondiale, Rommel se rallia très
vite à l’ancien caporal et devint l’un de ses soldats les plus
impétueux. Pendant la campagne de France en 1940, il manifesta
une témérité qui séduisit Hitler, n’hésitant pas à désobéir à son
supérieur, le général Hermann Hoth. Sa profonde connaissance du
personnage permet fort heureusement à Benoît Rondeau de ne pas
tomber dans une hagiographie qui serait forcément réductrice et
nuirait à la pertinence du propos. C’est ainsi qu’il ne passe pas sous
silence les crimes de guerre commis par des soldats de l’auteur de la
guerre sans haine
à Quesnoy-sur-Airaines, le 8 juin 1940 sans pour
autant incriminer Rommel.

C’est bien évidemment dans le désert brûlant de l’Afrique du Nord
que Rommel édifia son mythe, bien desservi au demeurant par une
propagande nazie soucieuse de montrer la supériorité de la
Wehrmacht sur les Britanniques. Un néologisme, Rommeln, qui veut
dire foncer en profondeur sur les arrières de l’ennemi, est même
inventé. En septembre 1942, Rommel est alors au faîte de sa gloire.
Il est devenu le Renard du désert. Goebbels écrit même que «
Rommel est le prochain commandant de l’OKH »
c’est-à-dire le futur
chef de la Wehrmacht. Mais la seconde bataille d’El Alamein décrite
de l’intérieur par un Benoît Rondeau maîtrisant parfaitement les
considérations tactiques, constitua, à juste titre, et selon les mots de
l’auteur, sa Némésis.

Rommel s’accommoda ainsi parfaitement d’un régime et d’un Führer
tant que ces derniers desservaient son insatiable ambition. «
L’ambitieux colonel reste sous le charme d’Hitler dont il apprécie à la fois
l’ascétisme et le courage »
écrit ainsi Benoit Rondeau à la veille de la
seconde guerre mondiale. Mais la roche tarpéienne fut pour lui, plus
qu’aucun autre, proche du Capitole. Ayant rêvé de marcher dans les
pas du Bonaparte d’Alexandrie, il suivit ceux du Napoléon de la
Bérézina et de l’abdication. Reste son implication dans le complot du
20 juillet 1944 et son suicide forcé. Il fallait aux conjurés un leader. Il
n’entra qu’à reculons dans la conjuration mais suffisamment pour se
compromettre. Le mythe devint comme Saturne, il dévora ses
propres enfants. Au final semble dire Rondeau, Rommel s’est voulu
loup mais ne l’a jamais été. Il a certes louvoyé mais s’est dérobé. Et
les loups ont fini par le dévorer.

Par Laurent Pfaadt

Benoit Rondeau, Rommel,
coll. « Maîtres de guerre »,
Chez Perrin, 480 p.

Les démons du passé

Russland-Süd, Panzer IVUn ouvrage palpitant revient sur la bataille de Koursk

Défait en février 1943 à Stalingrad, Adolf Hitler ne s’avoua pas vaincu et lança dans le centre du pays à l’été 1943 une grande contre-offensive dans un lieu devenu mythique : Koursk.

En lisant l’ouvrage de Nicolas Pontic, Koursk : Staline défie Hitler, on a un peu l’impression d’être dans une salle d’Etat-major à déplacer des petits drapeaux sur une carte, à étudier la topographie ou à attendre un coup de fil de Berlin ou de Moscou pour nous prévenir de l’arrivée de renforts. L’ouvrage construit de façon très académique détaille les enjeux, les phases de la bataille du saillant de Koursk tout en effectuant une excellente montée en tension de l’issue finale.

Car Koursk, c’est la tentative d’Hitler pour reprendre l’avantage après Stalingrad. Et comme dans la bataille de la Moscova telle que la relate Tolstoï dans Guerre et Paix, le mythe s’est construit via l’opposition entre deux stratèges de génie, Erich von Manstein, « l’homme des situations inextricables » et Nicolaï Vatoutine, général russe impétueux défendant sa terre natale.

Avec cet ouvrage, Nicolas Pontic renouvelle aussi la connaissance historique et stratégique de la bataille, débarrassée des oripeaux mythiques qui ont prévalu jusqu’à une date récente. Ce qui est certain, c’est que Koursk a constitué l’aboutissement de la maturité stratégique des généraux soviétiques, balayés en 1941. « La bataille du saillant représente peut-être la première opération de guerre moderne de l’Armée rouge » écrit ainsi l’auteur.

Koursk, c’est également plusieurs batailles en une seule (Voronej, Orel) notamment celle, meurtrière, de la Prokhorovka, le 12 juillet 1943 au sud-est de Koursk où les T-34 Staline prouvèrent leur supériorité dans ce que l’on appela plu tard « la plus grand bataille de chars de l’histoire » où le sort du monde s’est joué comme ce fut le cas avant à Leningrad, Kharkov ou Stalingrad.

C’est d’ailleurs ce que racontent ces hommes et ces femmes, dans Grandeur et misère de l’armée rouge de Jean Lopez et de Lasha Otkhmezuri, déjà auteurs d’un excellent Joukov chez Perrin (2014). Ils furent ouvriers ou intellectuels et combattirent les fascistes durant cette grande guerre patriotique.

Ce conflit constitua chez ces survivants du feu un moment déterminant dans leur rapport au système soviétique et à son maître de l’époque, Staline. Sorte de catharsis, la guerre poussa les uns vers une défense inconditionnelle du régime et les autres vers la dissidence, cette nouvelle guerre « beaucoup plus dure et difficile » selon Elena Bonner, la compagne d’Andreï Sakharov, Prix Nobel de la Paix en 1975. Entre ces deux groupes, il y eut ces milliers d’hommes qui  perdirent leurs illusions et qui, après la guerre, pour de multiples raisons, se résignèrent. C’est le cas de Nikolaï Nikouline, qui s’illustra à Leningrad, Varsovie et Berlin et devint conservateur au musée de l’Ermitage à St Pétersbourg. Jusqu’à sa mort, il affirma que « ceux qui ont gagné la guerre, soit ils sont tombés sur le champ de bataille, soit, accablés par le poids de l’après-guerre, ils sont devenus alcooliques. »

Nicolas Pontic, Koursk : Staline défie Hitler, Tallandier, 2015

Jean Lopez et  Lasha Otkhmezuri, Grandeur et misère de l’Armée rouge, Perrin, coll. Tempus, 2015

Laurent Pfaadt

Notre meilleur ennemi

WellingtonLe vainqueur de Napoléon
enfin à l’honneur

La France n’aime pas ses vainqueurs surtout lorsqu’il s’agit de celui qui mit un terme à la gloire de l’un de nos plus illustres héros, Napoléon Bonaparte. Car, Arthur Wellesley, duc de Wellington peut être considéré comme le grand oublié de l’historiographie napoléonienne française. Même le tsar Alexandre, allié puis ennemi de l’empereur, eut droit à plus d’égards. Et en ces temps de commémoration du bicentenaire de la défaite de Waterloo, son artisan faillit passer à la trappe.

C’était sans compter avec Antoine d’Arjuzon, auteur d’un remarquable Caulaincourt (Perrin, 2012) qui republie sa biographie du maréchal anglais (Perrin, 1998). Entré très jeune dans l’armée et après des classes aux Pays-Bas ou en Inde, Wellington se révéla durant les guerres napoléoniennes. Commandant les forces anglo-espagnoles au Portugal et en Espagne, il infligea aux Français et à leurs alliés, de lourdes défaites. L’auteur insiste d’ailleurs à juste titre sur les grandes qualités de stratège de Wellington. Ce dernier étudia en profondeur la tactique utilisée par Napoléon, la décortiqua pour mieux la contrer. « Il est capable de mobiliser son intelligence pour trouver la meilleure solution au problème qui e pose à lui (…) Minutie, patience et détermination ne le quitte jamais » écrit ainsi d’Arjuzon.

C’est avec ces qualités qui vainquirent de nombreux maréchaux de l’Empire qu’il se présenta face Napoléon en ce mois de juin 1815 sur la plaine de Waterloo. Les deux hommes nés la même année (1769) ne s’étaient jamais affrontés. Jour après jour, heure après heure, l’auteur nous conte l’affrontement de ces deux titans qui allait tourner à l’avantage du Britannique en ce 18 juin 1815. En dépit de sa victoire face à Napoléon qu’il respectait au demeurant, Wellington ne fut pas l’ennemi de la France comme en témoigne son opposition aux revendications territoriales prussiennes lors du congrès de Vienne en 1814 auquel il assista en tant qu’ambassadeur.

Devenu le héros de toute une nation, Wellington affronta une autre bataille autrement plus meurtrière : celle de la politique. Il s’y montra nettement moins brillant, piètre stratège. L’autre grand mérite de l’ouvrage est d’aller au-delà de la simple perspective historique franco-française et de montrer comment Wellington, et après lui Ulysse Grant puis Dwight Eisenhower, sut capitaliser sa popularité pour accéder aux plus hautes fonctions politiques. Membre du Parlement britannique dans ses jeunes années, il est nommé par le roi George IV, Premier ministre, en 1828. L’histoire militaire laisse alors la place à une histoire sociale, économique de la Grande-Bretagne où pendant près de trois années, le duc de Wellington fut dépassé par les évènements, ne pressentant pas « l’accélération des changements dans les domaines politiques, sociaux et économiques qui vont marquer le siècle » et qui allait faire de la Grande-Bretagne la première puissance du globe.

Malgré cet échec, cette biographie très complète est là pour rappeler que celui qui restera à jamais le vainqueur de Napoléon, appartient en compagnie de l’Empereur « au patrimoine historique de toute l’Europe ».

Antoine d’Arjuzon, Wellington, Perrin, 2015

Laurent Pfaadt

Entre l’aigle et l’ours

BenesExcellente biographie du président tchécoslovaque qui fit face à Hitler puis à Staline

La poignée de main entre Edvard Benes, président de la République de Tchécoslovaquie et Klement Gottwald, secrétaire du PC est emprunte de méfiance. Le premier perçoit-il la menace que représente le PCF en ce mois de février 1948 alors que la guerre froide vient de débuter ou s’agit-il simplement de la nature réservée de l’homme ?

Peut-être un peu des deux. Car Edvard Benes, président de la Tchécoslovaquie entre 1935 et 1938 puis entre 1945 et 1948 fut de ces hommes au XXe siècle qui se sont retrouvés devant la possibilité de changer l’histoire, de l’inverser à jamais. De Gaulle en 1940 et en 1958, Churchill en 1940, Hindenburg en 1933. Benes lui se retrouva par deux fois dans cette situation. C’est ce que révèle l’excellente biographie d’Antoine Marès, professeur des Universités et directeur du Centre d’Histoire de l’Europe centrale contemporaine.

Pendant longtemps, Benes avait été effacé de la mémoire tchèque façonnée par les communistes. Aujourd’hui, justice lui est rendue dans cette biographie très fouillée. Suivant les pas de son mentor et père de la nation tchécoslovaque, Tomas Masaryk, Edvard Benes fut son ministre des affaires étrangères pendant dix-sept ans avant de devenir le deuxième président de la République tchécoslovaque entre 1935 et 1938

On ignore souvent qu’il étudia en France, à Paris et à Dijon et ce francophile convaincu noua de nombreux liens avec la classe politique française en particulier avec les socialistes. Cela ne l’empêcha pas – à juste titre d’ailleurs – de fustiger avec beaucoup de sévérité et d’amertume l’abandon de son pays par les puissances occidentales lors des accords de Munich en septembre 1938. On lui reprocha de ne pas avoir refusé ces derniers. « On ne peut pour autant mettre cette catastrophe au débit du seul président tchèque car il est la victime ultime d’un processus qui lui échappé » écrit Antoine Marès, indulgent avec son sujet.

Quelques jours après les accords de Munich, il quitte le pouvoir pour les Etats-Unis avant de revenir à Londres en 1940 pour y constituer autour de Churchill cette myriade de gouvernements en exil. Participant à la conception de l’attentat qui allait coûter la vie au SS Reinhard Heydrich, l’un des hommes plus puissants du Troisième Reich, il entre avec l’armée rouge à Prague en mai 1945 et redevient président de la République.

Mais Benes allait faire preuve de naïveté à l’égard de Staline et des communistes qui accédèrent au pouvoir en 1946, pensant que Staline garantirait l’indépendance tchécoslovaque. Ce fut là sa deuxième erreur car une fois de plus, il se retrouva en mesure d’inverser l’histoire. L’auteur analyse la réaction de Benes en s’appuyant sur la tradition slavophile de la Tchécoslovaquie, la volonté de se dégager de l’emprise allemande et, ne l’oublions pas, sa déception de Benes vis-à-vis des puissances occidentales en 1938. D’une certaine manière, Benes fut l’homme des occasions manquées.

Luttant jusqu’au bout de ses forces contre ce nouveau coup de force en 1948, Edvard Benes refusa de ratifier la nouvelle constitution communiste et mourut quelques mois plus tard. Mais il était déjà trop tard.

Antoine Mares, Edvard Benes, un drame entre Hitler et Staline, Perrin, 2015

Laurent Pfaadt

Et Dieu dans tout cela

benoît_XVBiographie de l’un des acteurs majeurs de la première guerre mondiale

Lors des fêtes de noël de 1914, il y près d’un siècle, le pape Benoit XV, élu quelques mois plus tôt, plaidait pour une trêve qui resta sans suite. Loin de se décourager, il affirma devant le Sacré-Collège vouloir « persévérer dans nos efforts pour hâter le terme de cette calamité inouïe »

L’histoire est malheureusement sélective et injuste et le pape Benoit XV (1914-1922) a été oublié dans ce 20e siècle de tragédies au profit des figures de Pie XII et de Jean-Paul II. La biographie d’Yves Chiron, grand spécialiste du Vatican et auteur de plusieurs biographies de référence de souverains pontifes, permet, en ces temps de commémoration de la Grande guerre, de lui rendre justice.

Issu de l’aristocratie italienne, Giacomo Della Chiesa suivit un cursus relativement classique au sein de la curie, se spécialisant dans les affaires diplomatiques ce qui le conduisit très vite dans le cercle restreint du cardinal Rampolla, futur secrétaire d’état de Léon XIII dont il devint le protégé. Yves Chiron relate avec détails ces vingt ans d’apprentissage en Espagne, en France, en Autriche-Hongrie ou à la première conférence de La Haye (1899) sur le désarmement et le droit humanitaire qui lui sera fort utile lorsqu’il conduira une active diplomatie pendant la Grande guerre. Devenu archevêque de Bologne, Giacomo della Chiesa est fait cardinal fin mai 1914, soit trois mois avant son élection au trône de pierre le 3 septembre 1914, plus d’un mois après la déclaration de guerre.

L’ouvrage d’Yves Chiron traite bien évidemment en grande partie de son action pendant la Première guerre mondiale qui occupa la moitié de son pontificat. L’auteur rappelle d’ailleurs qu’ « il ne s’est pas contenté de la déplorer, il a tenté de l’arrêter, d’en atténuer les effets » avant d’ajouter avec pertinence : « le pape et le Saint-Siège ne furent pas neutres mais impartiaux »

Cette nuance fait toute la différence et explique en grande partie les accusations de favoritisme de part et d’autre de la ligne de front. Il n’empêche que Benoît XV, bien secondé par son secrétaire d’Etat, le cardinal Gasparri, s’activa sur tous les fronts au propre comme au figuré pour mettre un terme à ce conflit. Interventions pour libérer les prisonniers politiques dès 1914, auprès du sultan ottoman devant les persécutions dont étaient victimes les Arméniens, soutien aux initiatives autrichiennes, ses actions culminèrent avec l’initiative d’août 1917.

Mais si Benoît XV fut le pape de la paix, animé d’une volonté sincère d’arrêter cette boucherie, l’auteur montre très bien que le souverain pontife, en bon diplomate qu’il fut, poursuivit également des objectifs géopolitiques et en premier lieu la sauvegarde de l’empire austro-hongrois, monarchie catholique qu’il considérait comme le pilier de la stabilité de l’Europe centrale. Son démembrement consacré par le traité de Saint-Germain-en-Laye, le 10 septembre 1919 valut au pape cette phrase prophétique : « l’histoire sera bien obligée de reconnaître un jour que la nouvelle carte avait été dressée par un fou ».
Au final, cet ouvrage d’un sérieux remarquable permet de pénétrer dans les arcanes du Vatican et les coulisses diplomatiques de la Première guerre mondiale en suivant la volonté infatigable d’un homme d’Etat et le chemin de croix d’un homme de paix.

Yves Chiron, Benoît XV, le pape de la paix, Perrin, 2014

Laurent Pfaadt

Le héros devenu paria

Une nouvelle biographie de Philippe Pétain permet de redécouvrir ce personnage de l’histoire de France.

 Pétain

La commémoration du centenaire de la Grande guerre et le regain d’intérêt historique du public qui l’accompagne est l’occasion de publier les biographies des principaux acteurs du conflit qu’ils soient politiques, militaires ou les deux. Philippe Pétain, le héros de Verdun, n’échappe ainsi pas à cette frénésie éditrice.

Bien qu’il soit l’un des personnages les plus importants de notre histoire récente, que son procès demeure permanent dans la communauté scientifique ou dans les médias, bien peu d’ouvrages, mis à part la somme de Marc Ferro, ont tenté une approche globale et en profondeur du maréchal. C’est désormais le cas avec l’ouvrage de Bénedicte Vergez-Chaignon, grande spécialiste de cette période.

Car Pétain, c’est tout et son contraire. C’est le stratège exceptionnel de 1916 et le piètre président du conseil de 1940. C’est l’homme qui lutta contre les Allemands avant de serrer la main du plus terrible d’entre eux. C’est le général qui se soucia de la vie de ses hommes et le maréchal qui livra une partie des enfants de France à l’extermination. A ce titre, malgré la prudence du personnage (on ne sait que peu de choses sur ses positions pendant l’affaire Dreyfus), l’auteur conclut bien qu’il fut un antisémite.

Il fallait donc descendre Philippe Pétain de son piédestal ou de son pilori, et l’examiner. C’est ce qu’a parfaitement réussi Bénedicte Vergez-Chaignon tout au long des quelques mille pages qui ne sont pas de trop pour cerner le personnage public et l’homme privé. Et comme dans tous les mythes, il y a d’abord une affreuse banalité. Philippe Pétain, c’est d’abord un élève moyen qui effectue une carrière moyenne dans l’armée sans faire parler de lui. Comme tant d’autres avant et après lui, des évènements extraordinaires vont précipiter cet officier ordinaire sur l’avant-scène de l’histoire. Puis, il y eut Verdun où « Pétain aura su exploiter à son profit la propagande de guerre pour faire de lui un homme public » écrit l’auteur.

Dans l’entre-deux-guerres, l’homme, comme de nombreux héros de la Grande guerre, est courtisé par les politiques et se laisse tenter en devenant ministre de la guerre en 1934. Et puis surtout, il devient après la mort de Joffre, de Foch et de Lyautey, le dernier survivant des grands maréchaux. Car « faute de documents contemporains probants » sur Verdun, il a su tirer profit du mythe qu’il a patiemment construit.

Cultivant ses amitiés à l’extrême droite, il devient une figure de ralliement en même temps qu’un prétexte pour de nombreux antisémites désireux d’anéantir la gueuse, ce surnom donné à la Troisième République. Parvenu au sommet du pouvoir, Pétain y instaura un nouveau régime. A ce titre, Bénedicte Vergez-Chaignon décortique parfaitement la doctrine pétainiste, analysant ses diverses composantes tout en affirmant que dès le départ, « la collaboration était la suite logique de l’armistice ».

Avec ses innombrables renseignements et anecdotes – les larmes de déception de Pétain face à Foch le 9 novembre 1918 lorsque ce dernier lui demande de cesser le combat – ce livre qui entre en profondeur dans le personnage pour le mettre à nu devant le jugement de l’histoire, est appelé à demeurer la biographie de référence de cet homme qui marqua à jamais notre histoire.

Bénedicte Vergez-Chaignon, Pétain, Perrin, 2014.

Par Laurent Pfaadt
Edition hebdoscope 1010, septembre 2014