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Dans l’antichambre du crime

Le biographe
d’Himmler nous
emmène dans les
coulisses de la
conférence de
Wannsee. Glaçant

Jamais une
réunion n’a été
autant associée au destin d’un si grand nombre de personnes.
Ainsi, durant cette journée du 20 janvier 1942, quinze hommes,
ces apôtres de la mort, débattirent de la vie et surtout de la mort
de millions d’êtres humains, de millions de juifs. A grands coups
d’arguments juridiques teintés de considérations raciales. Ce
moment de l’histoire porte un nom : Wannsee, en référence à
cette petite île posée au milieu de Berlin et à sa sinistre villa.

Pour comprendre ce moment emblématique de la Shoah, il nous
fallait le plus averti des guides, à savoir l’historien allemand Peter
Longerich, biographe reconnu des principaux séides du Troisième
Reich ainsi que de son chef. On a beau dire que le diable réside
dans les détails mais ici plus qu’ailleurs, cette expression prit tout
son sens. Si l’extermination des juifs constitua un préalable à
toutes les discussions, en dépit des dénégations ultérieures de
certains participants après-guerre, Peter Longerich montre
parfaitement que la conférence de Wannsee ne constitua pas le
début de la Shoah mais plutôt sa formalisation car la Shoah par
balles avait commencé dès juin 1941 et l’opération Barbarossa,
tout comme la construction de fours crématoires provisoires,
l’utilisation expérimentale du Zyklon B ou l’édification de camps
de concentration et d’extermination.

Le débat qui agita les participants tourna autour de deux visions,
celle du Reichsführer SS, Heinrich Himmler et celle de Reinhard
Heydrich, le chef du RSHA, les services de sécurité du Troisième
Reich mandaté par Goering pour mener à bien le génocide. Se
basant sur le seul protocole conservé de la conférence dont la
reproduction fait froid dans le dos notamment lorsqu’il évoque le
nombre de juifs à déporter par pays, l’ouvrage de Peter Longerich
expose parfaitement la lutte d’influence qui se joua entre un
Heydrich partisan d’un plan d’ensemble applicable après la guerre
et un Himmler, dont la vision anarchique était d’abord tournée
vers une extermination plus conséquente et immédiate. Au final,
en l’absence voulue de Himmler, Wannsee constitua surtout le
coup d’Etat bureaucratique mené par Heydrich afin de s’attribuer
la maîtrise et certainement le « prestige » de la Shoah. « Dans
l’esprit de Heydrich, cette conférence avait manifestement pour
objectif d’asseoir son autorité en tant que responsable des préparatifs
de la « Solution finale » et donner ainsi l’impression que les
déportations, qui avaient entre-temps débuté, et les massacres, déjà
commis ou qui se préparaient dans diverses régions sur les Juifs locaux,
représentaient des expériences qui s’inscrivaient dans un programme
d’ensemble sous sa direction »
écrit ainsi Longerich.

Malgré l’assassinat de Heydrich en juin 1942, sa vision ainsi que
celle de Himmler, lancée dans une course à l’abîme liée aux
considérations militaires, furent appliquées en même temps. La
conférence de Wannsee apparaît ainsi, grâce à la pédagogie et
l’extrême précision de Peter Longerich, plus comme un symbole
que comme un tournant de l’un des plus grands crimes de
l’histoire de l’humanité.

Par Laurent Pfaadt

Peter Longerich, La conférence de Wannsee,
Aux éditions Héloïse d’Ormesson, 240 p.