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L’année de la mort de Peter Nadas

Peter Nadas © Gaspar Stekovics

Avec Almanach, le
grand écrivain
hongrois Peter
Nadas signe l’un des
meilleurs livres de
l’année

Peter Nadas se fait
discret. Fuyant
l’exposition
médiatique à la manière d’un Kundera, il aime être cet ermite distillant sa vision du
monde depuis son exil volontaire et semble vouloir nous dire : « si
vous voulez savoir ce que je pense, lisez mes livres »
.

Et il faut bien dire qu’en lisant ce dernier, tout devient clair, limpide.
Oscillant une nouvelle fois entre le réel et l’imaginaire dans ce style
narratif si caractéristique de sa prose, Peter Nadas nous livre sa
vision du monde et de l’histoire à travers les reflets du lac Balaton où
lui et ce double viennent de s’installer pour se demander si cette
année sera la dernière de leur vie. On ne sait véritablement pas si
l’écrivain reclus qui parle dans Almanach n’est autre qu’un
hétéronyme de Peter Nadas, un peu comme le Ricardo Reis de
Pessoa. Car en observateur attentif de son époque, cet écrivain
s’interroge sur notre société, sur nos interactions avec les autres
dans ce monde contemporain, sur l’idée de progrès, de création ou
sur cette société des objets dont on se demande qui possède l’autre,
comme dans le cas de la télévision dont il propose une brillante
analyse.

La démocratie, l’amour, la vie urbaine, le sexe avec cet avant-goût de
la mort sont quelques-uns des sujets que Nadas aborde tout au long
de ces pages. Comment ne pas voir l’ombre du Ricardo Reis de
Saramago dans cette évocation de la mort et dans cette relation
entre la littérature et le mythe qu’elle fabrique. Ainsi écrit-il que «
notre littérature n’atteindra l’âge adulte qu’au moment où elle ne singera
plus le malade imaginaire, toujours prête à s’inventer des maux physiques
pour ne rien voir du mal psychique qui la ronge ».

Avec son écriture dense, la prose de Nadas est une pluie qui pénètre
le sol de notre esprit pour s’y imprégner en profondeur et y faire
germer le doute salutaire, celui de Descartes. Chaque phrase semble
contenir à elle seule tout un ouvrage. En règle générale, si un livre
délivre une citation ou un aphorisme, peut-être a-t-il une chance de
demeurer dans la mémoire collective. Or ici, il y en a des centaines.
On ne peut le lire d’un trait car chaque mot doit trouver sa place
dans notre esprit. Chaque phrase a besoin de sa digestion spirituelle.
De toute façon, on ne veut pas le lire trop vite. Sorte de prophète
des temps modernes, Peter Nadas livre là un témoignage lucide et
acéré sur son temps où son humour et son cynisme font une
nouvelle fois mouche. Ce n’est pas, ce n’est plus une prose, une
littérature qu’on a l’habitude de lire car elles appartiennent à des
temps immémoriaux, à cet or tiré de la forge de l’âme humaine dont
on fait les Nobel. Et sans vouloir être un donneur de leçons, Nadas
propose en même temps à ses lecteurs l’introspection d’un homme,
d’un écrivain qui comprend aussi qu’il est, d’une certaine manière,
complice de ce monde qu’il critique. Notre responsabilité est donc
collective nous dit-il. C’est pour cela que ce livre est à lire
absolument. Encore et encore.

Par Laurent Pfaadt

Peter Nadas, Almanach,
Chez Phébus, 336 p.