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Barenboim, dieu du tonnerre

Barenboim © Monika Rittershaus

En compagnie de la
Staatskapelle de
Berlin, le maestro
poursuit l’intégrale
des symphonies de
Bruckner.

Après un premier
épisode en
septembre dernier
où le chef d’orchestre
dirigea les 4e, 5e et 6e
symphonies de
Bruckner, couplées
avec des œuvres de Mozart dont les concertos n° 24 et 27 dirigés du
clavier, Daniel Barenboim était de retour à la Philharmonie en ce
début d’année 2017 avec les trois premières symphonies du
compositeur qui sont certainement les moins connues même si la
troisième, dédiée à Richard Wagner, bénéficia et bénéficie toujours
d’une relative notoriété. La soirée débuta donc par la symphonie
concertante pour violon, alto et orchestre de Mozart, la partie
soliste étant assurée par le premier violon solo, Wolfram Brandl, et
l’alto solo, Yulia Deyneka, de la Staatskapelle de Berlin. La complicité
entre les deux solistes fut immédiatement perceptible, bien
secondée par un orchestre que connaît parfaitement le maestro et
qui a pu ainsi doser ce rythme enthousiasmant propre à Mozart.
L’orchestre s’est ainsi parfaitement fondu dans cette atmosphère
pour nous délivrer une interprétation pleine d’entrain et de vie. Le
second mouvement se chargea d’émotion grâce au duo entre Brandl
et Deyneka avant que l’orchestre ne fasse vibrer l’oeuvre dans un
dernier mouvement conduit sur un rythme soutenu où des cors
alertes eurent tout le loisir de se chauffer en attendant Bruckner.

Après l’entracte, l’orchestre au grand complet se massa sur la scène.
Barenboim nous entraîna dans cette première symphonie du jeune
Anton Bruckner. Dès le départ, on eut l’impression d’assister au
réveil d’une bête puissante dont le calme n’est qu’apparence. Ce
sentiment a été rendu possible par une maîtrise parfaite des
équilibres sonores et une précision incroyable. A la noirceur du
second mouvement succéda cette force tellurique du troisième
avant que ne se déchaînent les forces musicales du dernier
mouvement.

Lentement, patiemment, Daniel Barenboim construisit son ouvrage.
Il se saisit tantôt des cuivres si chers à Bruckner, tantôt des flûtes
traversières pour maintenir un rythme qui jamais ne faiblit. Son
orchestre, sa Staatskapelle, lui obéit à chaque instant. Il sait être
puissant sans être brutal et le résultat est stupéfiant. Le maestro se
mua ainsi en dieu du tonnerre, tel Thor frappant avec son marteau
sur l’enclume de la partition à l’image de ces superbes percussions.
Aidé de cordes tranchantes, Barenboim emporta alors l’orchestre et
l’auditoire dans une coda vertigineuse. On a hâte de les retrouver en
septembre 2017 pour la fin de ce cycle Mozart-Bruckner.

Pour ceux qui ne pourraient attendre, il faudra se précipiter sur le
coffret Deutsche Grammophon sorti ces jours-ci qui regroupe
l’intégrale des symphonies interprétées par le maestro et son
orchestre. Evidemment, on commencera par les 7e, 8e et 9e
symphonies qui sont toutes les trois emblématiques de cette
magnifique alliance entre la puissance, la sensibilité et l’immense
spiritualité qui irriguent l’œuvre de Bruckner. Il suffit d’écouter un
mouvement de chaque symphonie pour s’en persuader. Le final de la
8e symphonie sonne comme ce marteau que maniait le chef en
concert. Mais en passant à l’adagio de la 9e, il nous semble sentir le
compositeur jetant ses dernières forces avant de rejoindre Dieu. La
7e symphonie et son merveilleux adagio est quant à elle,
bouleversante. Alors on reprend ses classiques, son Eugen Jochum,
son Bernard Haitink et on se dit que l’on n’est pas loin.  Puis on
écoute à nouveau, cette 3e symphonie que Bruckner a dédiée à
Wagner et là, on reconnaît Barenboim, ce chef qui sait si bien
appréhender la musique de Wagner pour comprendre Bruckner en
exaltant notamment sa dimension épique. Ces symphonies-là sont
des enfants du maître de Bayreuth. La troisième semble sortir du
Ring. La 9e atteint cet absolu spirituel à l’image du Parsifal. On passe
les autres symphonies et elles nous paraissent toutes renouvelées.
Chez Barenboim, chaque symphonie raconte une histoire. Alors
vient la fin, on termine bien entendu avec le premier mouvement de
la quatrième avec son incroyable cor. Et dans ces quintes, tout est
dit. De Bruckner mais aussi de Barenboim.

Laurent Pfaadt

Cycle Mozart-Bruckner à la Philharmonie de Paris,
septembre 2017.

Bruckner, the complete symphonies,
dir. Daniel Barenboim, Staatskapelle Berlin,
Deutsche Grammophon, 2017.

Mendelssohn, la symphonie parisienne

Incroyable intégrale des symphonies de Mendelssohn

© The Gatsby Charitable Foundation
© The Gatsby Charitable Foundation

Il s’agissait des concerts à ne pas
rater en ce début d’année à la
Philharmonie de
Paris. Après une formidable intégrale des symphonies de
Robert Schumann, le couple désormais bien rodé Yannick Nézet-Séguin/ Chamber Orchestra of Europe s’était donné rendez-vous dans cette magnifique pour une intégrale des symphonies de Félix Mendelssohn.

On a tous en tête quelques airs de la troisième symphonie écossaise et de la quatrième italienne mais cette intégrale a permis au public de découvrir des pans entiers de la musique symphonique de ce musicien, de ce génie mort à 38 ans et qui annonça dans ses mélodies Wagner ou Bruckner. Et avec le chef d’orchestre québécois Yannick Nézet-Séguin, l’association a pris des airs de triomphe.

Entendre un orchestre de chambre, c’est voyager dans la musique à la découverte des différentes familles d’instrument. Et dans ce voyage, quel merveilleux vaisseau que celui du COE ! Chaque musicien écoute son voisin, le respecte, le complète. La clarinette dialogue merveilleusement avec le basson dans le dernier mouvement de la Troisième, les cordes sont oppressantes sans être omniprésentes dans la seconde, les seconds violons répondent majestueusement aux premiers dans la quatrième. A cela s’ajoute les mains de Nézet-Séguin qui tantôt tempèrent, tantôt exaltent. Il sait tirer le meilleur des musiciens pour le restituer dans une vision globale qui convainc immédiatement. Le résultat est ainsi prodigieux. Les bois sont sublimés à l’image de la flûte de Clara Andrada, petit oiseau niché dans ces arbres musicaux et qui coure le long du troisième mouvement de l’Italienne avant de guider l’orchestre dans ce troisième mouvement transformé en hymne de la cinquième symphonie dite Réformation.

Si les anciennes intégrales manquaient peut-être de couleurs, les spectateurs ont été plus que comblés par ces interprétations. Car, dans ces symphonies, on y danse souvent. Nézet-Séguin a eu la bonne idée de transformer l’énergie du COE en une danse permanente qui traverse l’ensemble des symphonies, allant même jusqu’à une forme de furiant dans le dernier mouvement de la Première ! Et puis, on y chante car l’autre grande découverte de cette intégrale est cet incroyable oratorio inséré dans la seconde symphonie et qui a résonné d’une beauté toute solennelle, mystique grâce au RIAS Kammerchor qui agit telle une mer avec ses reflux.

Le son ainsi produit se faufile dans une sorte de jeu permanent et ne prend jamais l’aspect d’une course à l’abîme que tant de chefs impriment aux symphonies de Mendelssohn, cantonnées trop souvent à leur seule dimension romantique. Nézet-Séguin ne l’occulte pas, bien au contraire, et quand il fait jouer les cordes dans cette magnifique cinquième symphonie qui devrait rester comme la plus aboutie au disque, c’est pour mieux mettre en lumière le caractère absolument novateur de Mendelssohn qui a su capter l’héritage des anciens pour le projeter dans une forme d’expérimentation.

Cette intégrale a bel et bien été l’occasion d’un voyage musical à
travers l’Europe. Pour ceux qui auraient manqué ces concerts
d’anthologie, le label Deutsche Grammophon a eu la bonne idée d’enregistrer cette intégrale qui permettra à tous de redécouvrir cette pléiade de génies réunis.

Laurent Pfaadt

Le condottiere du piano

© Southbank Center
© Southbank Center

Maurizio Pollini en récital à la Philharmonie

Les grands monstres sacrés du piano se font rares. Après la disparition d’Aldo Ciccolini, il ne reste plus que Martha Argerich, Nelson Freire, Daniel Barenboim ou Maria Joao Pires pour nous offrir ces moments musicaux d’exception et cette plongée dans l’âge d’or du piano au XXe siècle où jouer du piano allait bien au-delà de la simple interprétation.

Maurizio Pollini, ce prince rouge du piano, fait partie de ces artistes qui ont transcendé leur art musicalement et humainement. On se souvient de ces moments d’anthologie avec son ami Claudio Abbado mais surtout de l’expérience que les deux milanais menèrent pour apporter la musique au plus grand nombre, dans les usines, les universités, etc. Aujourd’hui, l’homme a vieilli mais dans ses yeux subsistent toujours cette humilité profonde et dans ses mains est resté intact ce don exceptionnel qu’il a travaillé notamment avec Michelangeli.

Le récital qu’il donna dans la toute nouvelle Philharmonie de Paris fut un nouveau moment de partage entre un public conquis au sein duquel hommes politiques et professionnels de la musique s’étaient donné rendez-vous pour rendre hommage et admirer une fois de plus le pianiste de légende qu’il est.

Celui qui a remporté avec brio le concours Chopin en 1960 ne pouvait pas faire l’impasse sur l’œuvre du maître même s’il s’est évertué tout au long de sa vie à sortir de ce carcan. Pollini dont le grand Rubinstein avait dit « qu’il était meilleur que nous tous » lors de la finale du concours Chopin interpréta merveilleusement les Préludes. Son toucher rond et tout en velours délivra sur ce Steinway and Sons spécialement construit pour lui par le facteur Fabbrini, des sons d’une beauté rare en particulier lors du quinzième prélude « goutte d’eau » qu’il joua à la manière d’un Caravage répandant son clair-obscur ou durant le seizième, cet Hadès comme l’a surnommé Hans von Bülow en raison de sa difficulté, où la frénésie domine le clavier.

Cette sensibilité propre à Pollini ne pouvait que trouver un terrain favorable chez Claude Debussy et ses Préludes du deuxième livre. La délicatesse du pianiste milanais restitua à merveille à la fois le caractère onirique et cauchemardesque de la musique de Claude Debussy, oscillant entre berceuse et fracas, entre douceur et violence. Car la musique de Debussy raconte toujours une histoire et, avec Pollini dans le rôle du conteur, celle-ci ne pouvait être que passionnante et passionnée.

La transition entre Claude Debussy et Pierre Boulez, deux compositeurs qui bouleversèrent à jamais la musique, son interprétation et sa conception, était enfin toute trouvée puisque la soirée s’acheva avec la fameuse sonate pour piano n°2 dont on fête cette année le 90e anniversaire de son créateur. Déroutante autant que fascinante, elle permit une fois de plus à Maurizio Pollini de démontrer tout son génie dans un style musical qu’il affectionne également et qu’il eut l’occasion d’interpréter notamment en compagnie de Luigi Nono, autre participant à l’Internationale Ferienkurse für Neue Musik de Darmstadt. Reconnu encore aujourd’hui comme l’un des interprètes majeurs de cette sonate pour piano n°2 qu’il joue depuis près d’un demi-siècle et qu’il contribua à inscrire comme l’un des classiques du répertoire, Maurizio Pollini a démontré avec force l’étendue de sa virtuosité notamment dans ce finale qui conduit le soliste à, d’une certaine manière et allégoriquement, franchir le mur du son. En tout cas, avec un tel interprète au clavier, le compositeur ne pouvait rêver meilleur cadeau d’anniversaire.

Laurent Pfaadt