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Sur un échiquier sanglant

Khomeiny © Abbas Magnum

Un brillant essai revient sur la
première guerre du Golfe qui
opposa l’Iran à l’Irak.

Le jeu d’échecs est né au Moyen-
Orient, entre la Perse et la
Mésopotamie. Les héritiers de ces
civilisations allaient durant les
années 80 se livrer à un duel
qu’auraient certainement apprécié
Bobby Fischer ou Gary Kasparov.
Car le conflit qui opposa l’Iran de
l’ayatollah Khomeiny à l’Irak de
Saddam Hussein entre 1980 et 1988 se traduisit par une telle
complexité, qu’il demeure encore aujourd’hui, près de trente ans
après sa conclusion, incompréhensible voire méconnu.

C’est dire le tour de force de Pierre Razoux, directeur de recherche
à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (IRSEM), qui
parvient à rendre ce conflit saisissable. Il faut dire que si l’opposition
entre un Iran religieux et un Irak laïc apparaît de premier abord fort
simple, la guerre entre les deux nations recouvrent une multiplicité
d’acteurs et d’enjeux que l’auteur parvient à expliquer grâce à un
travail qui l’a conduit à arpenter ce Moyen-Orient si compliqué
pendant dix ans pour y collecter sources inédites aussi bien
iraniennes qu’irakiennes (les fameuses bandes audio de Saddam
Hussein, récupérées après la chute de Bagdad en 2003) et
entretiens d’acteurs de premier plan.

L’ayatollah Khomeiny, sorte de Lénine religieux, parvenu au pouvoir
en 1979 à la suite d’une révolution sans effusion immédiate de sang
et après avoir, à l’instar du chef des bolcheviks, poussé du pied une
monarchie d’un autre âge, comprit très vite tout l’intérêt que
pouvait représenter une guerre pour consolider le nouveau régime.
Les nouveaux ennemis furent alors tout trouvés : l’Irak sunnite et
athée qu’il désigna en ranimant la lutte ancestrale entre chiites et
sunnites et l’Occident notamment les Etats-Unis qualifiés de Grand
Satan et leurs alliés dont la France, soutiens de l’Irak.

Cela n’empêcha les Etats-Unis, officiellement favorables à l’Irak, de
s’entendre avec la nouvelle république islamique en leur vendant
des armes. Ce double jeu américain allait trouver son paroxysme
avec l’Irangate car l’argent iranien servit à financer leur lutte contre
les mouvements de gauche en Amérique centrale. D’ailleurs Pierre
Razoux montre intelligemment que les cinq membres du conseil de
sécurité des Nations-Unies trouvèrent dans cette guerre où des
enfants-soldats iraniens furent massacrés par milliers, de
formidables contrats d’armement.

Sur les champs de bataille, les combats ressemblèrent à une
immense boucherie. Sorte de synthèse de l’ensemble des guerres du
20e siècle avec ses tranchées, ses armes chimiques notamment à
Halabja en 1988, ses blindés chargeant l’ennemi ou sa guerre
électronique et ses missiles balistiques, le dernier conflit armé de la
guerre froide ne connut pas de vainqueur. Cette guerre ressembla
finalement à une immense bataille de Verdun sans gain stratégique
ou géographique majeur qui finit par épuiser les deux belligérants.

Au fil des pages, on croise quelques-uns des acteurs du Proche-
Orient actuel, Hassan Rohani, l’actuel président de la république
islamique d’Iran ou Mir Hossein Moussavi, premier ministre de
Khomeiny devenu vingt ans plus tard, le héros de la révolution de
2009. On comprend alors mieux que la guerre Iran-Irak constitua la
matrice des enjeux qui régissent aujourd’hui le Moyen-Orient en
installant par exemple l’Arabie saoudite comme un acteur politique
de premier plan. Au-delà de la leçon d’histoire, ce livre permet bel et
bien de comprendre les crises et les guerres qui secouent le Moyen-
Orient et par ricochets la planète depuis une vingtaine d’année, du
Liban à la Syrie en passant par l’Irak, ainsi que les convulsions de la
société iranienne. Pierre Razoux nous aide ainsi à comprendre
comment avancent sur cet échiquier les pièces des différentes nations, pièces qui ne cessent de laisser leurs traces de sang.

Pierre Razoux, La guerre Iran-Irak (1980-1988)
coll. Tempus, Perrin, 896 p.

Laurent Pfaadt