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Le monde dans sa main

Pieter Bruegel d. Ä.
(Autour de 1525/30 , Breugel ou Antwerpen 1569 Bruxelles)
Le suicide de Sauls
Kunsthistorisches Museum Wien
© KHM-Museumsverband

A l’occasion du 450e
anniversaire de la
mort du peintre
flamand Bruegel
l’Ancien, le
Kunsthistorisches
Museum de Vienne
présente une
rétrospective
grandiose.

Des tableaux comme
des allégories de la
vie et de la mort. Des œuvres qui sont entrées dans la mémoire
collective de l’humanité et qui accueillent, gigantesques, le visiteur
dès l’entrée de cette exposition monumentale, première grande
monographie de Pieter Bruegel l’Ancien (1525-1569). La main du
peintre est là, en plâtre. Elle tient un pinceau mais au fur et à mesure
que l’on entre dans cette aventure picturale, on se rend très vite
compte qu’elle peignit bien plus que de simples tableaux.

Figure majeure de l’école flamande après la mort d’un Jérôme Bosch
dont on perçoit immédiatement la filiation, Bruegel l’Ancien excella
dans le traitement minutieux des détails de ces scènes de la vie
quotidienne si typiques de la peinture flamande (Le combat de
Carnaval et de Carême
, 1559) où il porta à son paroxysme ce travail
de miniaturiste appris au contact de sa belle-mère, Mayken
Verhulst. Le cycle des Saisons qui réunit pour la première fois depuis
350 ans, quatre des six tableaux du maître – seuls les Récoltes de
New York manquent à l’appel et le Printemps ayant été perdu – en
est l’exemple le plus frappant. L’émotion est grande de voir ainsi
réuni ces chefs d’œuvre comme au temps de leur création. D’ailleurs,
le visiteur n’est pas au bout de ses surprises puisqu’il découvre
quelques œuvres jamais montrées comme cet Ivrogne poussé dans la
porcherie
de 1557 prêté par un collectionneur privé.

Avec Bosch, Bruegel partagea ce goût de la métaphore. Sur la mort
bien évidemment que l’on voit notamment dans l’un de ses chefs
d’œuvre, Le triomphe de la mort (1562) où le visiteur se plaît à scruter
chaque scène, chaque détail tantôt un sourire aux lèvres, tantôt les
sourcils froncés par l’inquiétude. Ici comme ailleurs, le tableau
devient tourbillon. Le mouvement est permanent. La fascination
qu’opère Bruegel n’est pas seulement esthétique, elle est également
sociologique. Car la Réforme est passée par là et la peinture n’est
plus à la glorification ni à la célébration. Dans les œuvres de Bruegel,
les hommes sont seuls, livrés à eux-mêmes. Les couleurs sont ternes.
La Tour de Babel de Rotterdam (1563) apparaît plus sombre, plus
fragile, plus menaçante. Plus loin, les rois mages sont des vieillards
décharnés (L’Adoration des mages, 1564). Humain, trop humain aurait
dit Nietzsche.

On comprend alors mieux que la peinture de Bruegel n’est pas juste
de la peinture. On est dans la métaphore, dans le conte macabre,
dans le récit fantasmé et fantastique. Les amoureux du seigneur des
anneaux ne bouderont pas leur plaisir devant le Suicide de Saul
(1562). Les autres admireront l’audace de sa composition, le «
scénario » de l’œuvre.

Bruegel joue ainsi avec la perspective et s’affranchit des codes en
vigueur. Comme tous les grands génies de la peinture, il est dans la
rupture, cette rupture qui nourrira plus tard un Goya ou un Picasso
qui, à leur tour, tiendront le monde dans leurs mains.

Par Laurent Pfaadt

Pieter Bruegel, Once in a Lifetime, de Vienne,
jusqu’au 13 Janvier 2019

Catalogue de l’exposition (en anglais) :
Bruegel, the hand of a master,
Kunsthistorisches Museum, 303 p.