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Bach à New York

© Warner Classics/Ari Rossner
© Warner Classics/Ari Rossner

Récital d’anthologie de Piotr Anderszewski à Carnegie Hall

 

Entrer à Carnegie Hall, c’est comme visiter le Vatican. On pénètre dans un lieu chargé de légendes, de souvenirs et de moments incroyables qui appartiennent désormais à l’histoire de la musique. Ici, les grands noms de la musique classique se côtoient. Alberto Toscanini y rencontre Serge Prokofiev, Miroslav Rostropovich fait à face à Antonin Dvorak, Léonard Bernstein y admire Vladimir Horowitz.

Si le lieu reste magique pour le visiteur, il est quelque fois intimidant pour l’artiste qui vient s’y produire. Accompagné de son seul piano, son compagnon quotidien, le soliste sent sur ses épaules le poids écrasant de la salle. Rien de tel chez Piotr Anderszewski, génial pianiste polonais qui, en plus de ses innombrables qualités musicales, cultive sa singularité.

Après un récital en décembre 2008, il revint ici pour un nouveau concert où comme la fois précédente, Robert Schumann et Jean-Sébastien Bach se partageaient l’affiche. Anderszewski reprit ce Schumann qu’il maîtrise comme personne notamment dans cette novelette absolument prodigieuse qu’il nous interpréta. Le soliste sut parfaitement restituer ce tempérament schizophrénique qui agitait Robert Schumann et que l’on ressent dans sa musique où le romantisme est porté à son paroxysme entre désespoir absolu et ferveur héroïque. La sensibilité de Piotr Anderszewski oscille à merveille entre ces deux mondes pour nous donner une interprétation d’une émotion rare. Ce fut à n’en point douter un moment unique dans cette salle – qui en compte déjà beaucoup – et dans les mémoires de spectateurs plus que chanceux.

Le reste du programme était consacré à Jean-Sébastien Bach avec l’ouverture à la française et la suite anglaise n°3. La technique incomparable du pianiste se conjugua à une approche qui nous dévoila un Bach plus intime, tout en nuances et en même temps hors du temps. L’alchimie ainsi produite donna une interprétation littéralement solaire. Le pianiste polonais a d’ailleurs récemment gravé au disque cette troisième suite anglaise en compagnie de la cinquième et de la première qui débordent d’énergie et de contrastes. Enregistrées à Varsovie, ces suites traduisent le long travail d’appropriation de l’œuvre par le soliste qu’il restitue merveilleusement en particulier dans ces sarabandes sublimes.

Sur scène, l’implication du pianiste fut totale. Il faut dire que le lieu ne se prête guère à la demi-mesure. Il exige qu’on y donne le meilleur de soi, qu’on s’y abandonne. Anderszewski lui-même en ressortit éprouvé. A plusieurs reprises, le pianiste polonais laissa sa main en suspension comme pour contenir à la fois la musique du kantor et ce temps qui semblait s’arrêter dans cette alliance de perfection entre l’œuvre et son interprète, pour le plus grand bonheur des spectateurs qui dura une éternité…

A écouter : Piotr Anderszewski, Suites anglaises 1, 3 & 5, Warner Classics, 2015

Laurent Pfaadt