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L’indépendance du génie

Prokofiev (© Bibliothèque nationale de France)
Prokofiev (© Bibliothèque nationale de France)

Il y a 125 ans naissait Serge
Prokofiev, l’un des compositeurs majeurs du 20
e siècle

Définir Serge Prokofiev relève soit de la gageure, soit de
l’exploit tant l’homme et le compositeur se révélèrent complexes et surtout indépendants. Se nourrissant d’influences diverses et des multiples courants artistiques de la première moitié du 20e siècle, il développa un style propre, en dehors de toute école, et ne suivit qu’un seul chemin
artistique : le sien.

Si l’on devait caractériser son œuvre, il faudrait emprunter le mot du compositeur russe Alfred Schnittke, celui de polystylisme dont il fut l’inspirateur au demeurant. Car Serge Prokofiev s’imprégna aussi bien du constructivisme, du classicisme, se fit le promoteur du réalisme-socialiste tout en intégrant à son œuvre les grandes plumes de l’âge d’argent (Biély, Balmont, Akhmatova), absorba le folklore russe et la modernité industrielle, puisa enfin dans la nature. « Oui, j’aime furieusement la diversité partout et en toute chose » écrivait-il ainsi dans son journal en 1910.

Les années 1916-1918 demeurent à ce titre parmi les plus prolifiques de son existence. Il y a un siècle, Serge Prokofiev composait sa première symphonie ainsi que son premier concerto pour violon. Ce dernier, relativement classique, se veut moins percutant que ses deux premiers concertos pour piano. « Tout le concerto est un rêve et je pense que le violoniste doit imaginer son archet comme le pinceau d’un peintre, son œil comme la fenêtre d’un conte de fées tout en ayant l’esprit d’un metteur en scène » rappelle Patricia Kopatchinskaja, soliste
internationale. Tout en déployant ce lyrisme omniprésent dans toute l’œuvre de Prokofiev, le concerto pour violon, comme d’ailleurs la première symphonie, ressemblent à des rivières joyeuses lorsque la Suite Scythe (1914-15) s’apparente à un torrent furieux. « Ce concerto possède des éléments d’une pureté issue de sa personnalité et de son côté visionnaire de sa musique » poursuit Patricia Kopatchinskaja.

Cette première symphonie, avec ce premier mouvement et surtout cette gavotte, est un hommage aux grands maîtres du classicisme que furent Haydn et Mozart. Avec la deuxième symphonie d’inspiration beethovienne et sa cinquième qui rappelle le Parsifal de Wagner, Prokofiev a également inscrit son œuvre dans la lignée des grandes génies mélodiques de l’histoire de la musique. Et c’est ici que réside précisément le génie de Prokofiev. Il a introduit la poésie des anciens dans la forge du 20e siècle à coups de martèlements, d’asymétries et de dissonances, l’a broyé et en a fait du métal, de cet acier
indestructible qui dure éternellement et qui choqua certains de ses contemporains et en fascina d’autres.

Tous ces éléments forment une musique unique animée d’une
énergie incandescente qui a pour but d’interpeller et de provoquer quelque chose chez son auditeur, sans jamais tomber dans la banalité. « Certains considèrent la musique de Prokofiev comme extrêmement forte. D’autres, en revanche la perçoivent difficile et le public peut parfois la juger inamicale » résume le chef d’orchestre ukrainien Kirill
Karabits. Véritable héraut d’une modernité qu’il défendit par-dessus tout et qui convainquit les plus grands interprètes de son temps, de
Maria Yudina à Mstislav Rostropovitch en passant par David
Oïstrakh et Sviatoslav Richter, Serge Prokofiev demeurera un
compositeur aux multiples facettes. Cette formidable complexité se retrouve aujourd’hui dans sa musique, irrémédiablement unique.

A écouter : 

Prokofiev symphonies 1-7, Bournemouth Symphony Orchestra,
dir. Kirill Karabits, Onyx Classics

Prokofiev concerto pour violon, Patricia Kopatchinskja,
London Philharmonic Orchestra,
dir. Vladimir Jurowski, Naïve, 2013.

Laurent Pfaadt