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Dans les plaines musicales d’Europe centrale

© Ivan Maly
© Ivan Maly

Le Chamber Orchestra of Europe triomphe à Bordeaux

Bien des exemples ont montré que l’addition de talents ne conduit pas toujours à l’excellence. Cela ne semble pas être le cas du Chamber Orchestra of Europe, orchestre itinérant fondé par Nikolas Harnoncourt et Claudio Abbado, qui a montré, une fois de plus, sa maîtrise parfaite d’un répertoire allant de Mozart à la période contemporaine. Composé de musiciens venus de prestigieux orchestres européens et de traditions musicales différentes, le COE démontre à chaque concert toute sa plasticité. C’est d’ailleurs cette ouverture d’esprit, ce dialogue musical interne permanent qui prévalait à sa création et qui attire les meilleurs solistes et les plus grands chefs de la planète.

Lors de cette étape bordelaise – qu’il retrouvera d’ailleurs en mai 2016 – la baguette était tenue par un fougueux cavalier, le chef russe Vladimir Jurowski, connu pour ses tempii rapide tandis que le soliste n’était autre que Radu Lupu.

Alternant pièces célèbres et découvertes, c’est à un voyage en Europe centrale que nous ont convié l’orchestre et son chef. Assurément, le double concerto pour cordes, piano et timbales de Bohuslav Martinu fut une découverte pour de nombreux spectateurs. Influencé par Roussel, l’œuvre d’une beauté stupéfiante, virevoltante est à la fois un concerto grosso, une sonate conduite en cela parfaitement par Helen Collyer, une messe et une marche funèbre. Mené par un superbe John Chimes, percussionniste tout jeune retraité de l’orchestre symphonique de la BBC, ce concerto fut une sorte de rivière furieuse oscillant au rythme des courants.

Un changement de piano plus tard et voilà que paraît le dernier empereur de cet empire Habsbourgeois de la musique, Radu Lupu. Ce fut réellement un grand moment de musique pour tous ceux qui assistèrent à ce 24e concerto de Mozart. Fascinant devant tant de détachement, la magie de Radu Lupu a éclairé cette soirée et a prouvé à cette jeune génération de pianistes qui maltraite tant de pianos que la douceur du toucher reste, quand elle est dispensée par les meilleurs, le plus bel hymne à la musique. Car, véritablement, dans ce dialogue qu’il a entretenu avec l’orchestre et ses merveilleux hautbois, flûte et bassons mais également avec Mozart lui-même, utilisant parfois sa main gauche comme pour dire au maître « Non, pas trop vite, attends encore un peu », c’est Amadeus lui-même qui écoutait Lupu.

Il fallait bien un entracte pour se remettre de nos émotions. Mais les musiciens du COE n’avaient pas fini de nous étonner notamment les vents et les cuivres avec cet incroyable sextuor de Janacek plein de vie. Il faut dire que les musiciens ont payé de leur personne, transmettant cette joie pleine d’allant. Truculent à souhait, l’œuvre dessine une palette colorée où certains instruments souvent noyés dans le tumulte de l’orchestration se révèlent pleinement. Ainsi en fut notamment de la clarinette basse dont le fabuleux duo avec le basson nous a transporté dans un imaginaire qui n’était pas loin du carnaval des animaux.

Il restait à Vladimir Jurowski à clore cette soirée avec la symphonie Prague qu’il conduisit comme une marche triomphale, avec un lyrisme tel qu’il emporta l’adhésion d’un public déjà convaincu et qui, à n’en point douter, avait déjà pris date avec ce chef et cet orchestre.

Laurent Pfaadt