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Suivre son étoile

Roman posthume de l’écrivain canadien
Splendide

Les lecteurs français ont
découvert la voix sombre et
magnifique de Richard
Wagamese en 2016 avec Les
étoiles s’éteignent à l’aube
. Puis,
avec Jeu Blanc en 2017, il
confirmait son incroyable talent
et s’imposait comme l’une des
grandes voix tragiques de la
littérature canadienne. Mais la
mort de l’auteur le 10 mars 2017 rendit cette voix subitement
muette. Jusqu’au jour où son éditeur historique, ZOE, reçut le
manuscrit de son dernier roman, Starlight, œuvre en tout point
testamentaire.

Starlight pourrait être le nom d’une étoile dans le ciel orageux de
Wagamese. Il est celui du héros de ce roman bouleversant et
sensible. Frank Starlight, fermier d’origine indienne, taiseux et
d’une immense bonté, aime photographier les animaux sauvages
et communier avec la nature. Son objectif croise bientôt Emmy et
la petite Winnie qui fuient la violence des « vrais hommes » selon
les mots de Maddie, l’assistante sociale, c’est-à-dire ceux qui
boivent et frappent les femmes. Très vite, dans l’esprit du lecteur
commence alors à germer cette idée qui ne le lâche plus et le
pousse à ne pas s’arrêter de lire : que va-t-il se passer entre Frank
et ces deux êtres fragiles au milieu de cette nature préservée ? Car
pour Frank Starlight, la nature est la source de toute vie. Mais
c’était avant de rencontrer l’amour, cette « contrée vierge » «
chaque pas qui nous en rapproche nous transforme. Nous grandit.
Change la géographie de qui nous sommes »
. Tandis qu’il sert de guide
à Emmy, celle-ci devient le sien dans cette découverte de l’amour.
Cette rencontre se mue alors en hymne et la prose de Wagamese,
en une longue mélopée glorifiant cette nature qui, à l’instar de
l’amour change, avec ses sensations et ses créatures, les êtres qui
s’y abandonnent. Et, à travers le personnage d’Emmy, magnifique
bête blessée qui renaît à la vie auprès de Frank, le roman devient
un magnifique plaidoyer en faveur de la préservation de ses
racines, quelles qu’elles soient en même temps qu’un manifeste
féminin qui montre combien les femmes sont si importantes dans
ce monde et combien elles changent celui des hommes.

Comme une boucle, comme pour refermer cette porte littéraire
qu’il a entrouverte, Wagamese reprend ainsi le héros des Etoiles
s’éteignent à l’aube
. L’adolescent est ainsi devenu un homme. La
violence s’est muée en amour. En c’est en cela que les personnages
de Wagamese rappellent ceux de Steinbeck. En fait, à y regarder
de plus près, Starlight est bel et bien une étoile, que l’on suit
depuis son adolescence. Il y a laissé une poussière d’encre qui se
répand dans ce roman merveilleux, illuminé par la beauté des
paysages de la Colombie-Britannique et par la bonté de son héros.
Et malgré les ténèbres que portent avec eux Cadote et Anderson,
astres noirs du roman, bien décidés à se venger d’Emmy, ils ne
parviennent pas à recouvrir l’éclat de cette étoile, qui n’a jamais
été aussi vivante en ces instants de pêche à la truite ou de cette
scène incroyable entre Emmy et la biche.

Starlight porte en lui à la fois cet espoir et cette résignation qui
cohabitèrent jusqu’au bout dans le cœur de Richard Wagamese.
Emporté par cette violence qu’il mit en littérature, il s’éteignit
peut-être à l’aube de ce 10 mars 2017. Mais nul doute que la
lumière de ses romans, éclatante dans ces nuits d’orages zébrées
des éclairs racistes et violents de la société canadienne, brillera
encore longtemps dans nos cœurs.

Par Laurent Pfaadt

Richard Wagamese, Starlight,
Chez ZOE, 272 p.