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Deux cœurs à l’unisson

Seiji Ozawa

Quand deux géants
de la création se
rencontrent et
échangent.
Magnifique.

Ils sont des maîtres
de la création
artistique, des génies
dans leurs domaines
respectifs ayant
inspiré des générations entières de musiciens et d’écrivains. On ne
les présente plus et pourtant, connaît-on réellement Haruki
Marukami, l’auteur de 1Q84 ou plus récemment du Meurtre du
commandeur
, plusieurs fois cité pour le prix Nobel de littérature et
Seiji Ozawa, l’un des chefs d’orchestre les plus prestigieux, ayant
notamment fait les grandes heures du Boston Symphony Orchestra
et de l’Orchestre de Paris ?

A l’occasion de la convalescence de ce dernier, Murakami, ayant
assisté en mélomane et néophyte aux Etats-Unis et au Japon, aux
différents concerts du maestro a eu l’idée de ces conversations
autour de la musique. L’écrivain s’est ainsi présenté humblement,
armé de tout son savoir, face au chef qui a lui-aussi, en toute
humilité, accueilli ce prestigieux visiteur.

Il en résulte une suite de conversations qu’on ne quitte, à vrai dire,
qu’à regret et où on regrette de ne pas avoir de platine CD à portée
de main pour écouter, disséquer et philosopher avec eux autour des
concertos pour piano de Brahms ou Beethoven, des symphonies de
Mahler ou de Brahms ou la musique française.

Bien entendu, le maestro, cet empereur de la musique classique,
revient sur son passé en tant qu’assistant de Leonard Bernstein qu’il
qualifie de génie mu par un instinct hors du commun, et d’un
Herbert von Karajan, cet autre monarque non éclairé pour le coup
qui ne laissait rien au hasard, et auprès duquel Ozawa s’imprégna de
cette musique allemande qu’il tenta d’insuffler à l’orchestre de
Boston et au Saito Kinen Orchestra créé avec d’autres musiciens en
l’honneur de son ancien maître. Le lecteur se plaît ainsi à croiser en
concert ou en privé les figures de Glenn Gould, de Carlos Kleiber ou
de Mitsuko Uchida et à comprendre un peu plus leurs approches de
la musique.

Les conversations prennent parfois l’aspect de masterclass et en
leur compagnie, on se plaît à parcourir les coulisses de la direction
d’orchestre, scruter les détails techniques et la fabrication de
nombreux mythes musicaux. Mais l’essentiel de l’ouvrage est
ailleurs. Elle réside dans la nature même de la musique, dans ce
qu’elle exige d’obstination et d’abnégation mais également dans ce
qu’elle n’est pas, à savoir les silences qu’elle impose à l’image du Ma
japonais. La musique que l’on produit comme la littérature que l’on
écrit, semble nous dire ces deux hommes, traduisent ce que nous
sommes en réalité et parfois nous dépasse. « Les personnes créatives
doivent fondamentalement être égoïstes. Tout travail créatif est donc
impossible pour ceux qui passent leur temps à regarder ce qui se passe
autour d’eux, essayent de ne pas faire de vagues et toujours à contenter
tout le monde, et ce quel que soit leur domaine »
écrit ainsi Murakami
dans l’introduction de cet ouvrage qui constitue probablement l’un
des plus beaux textes jamais écrits sur la musique et la création en
général.

A entendre Murakami et Ozawa, nous ne sommes que les
instruments de forces qui exigent de nous un sacrifice total et
souvent nous dépassent. L’humilité, la marque des plus grands.

Par Laurent Pfaadt

Haruki Murakami & Seiji Ozawa, De la musique,
Conversations
, Belfond.

L’empereur de la musique

© Walter Scott
© Walter Scott

Le chef d’orchestre Seiji
Ozawa est à l’honneur d’un magnifique coffret.

Avec son épaisse chevelure noire devenue grise avec le temps et sa relation avec les orchestres, Seiji Ozawa ne laissait insensible aucun spectateur ni aucun musicien.

Eloigné des pupitres en raison de problèmes de santé, Seiji Ozawa qui soufflera en septembre prochain, ses 80 bougies se rappelle régulièrement à nous grâce au disque et en particulier avec ce magnifique coffret de 25 CDs édité par Warner Classics qui comprend notamment ses enregistrements parus sous le label Erato. Ce coffret est exceptionnel car il reflète à merveille la personnalité et les combats musicaux que ce chef exceptionnel mena.

Assistant de Leonard Bernstein à New York et de Herbert von Karajan à Berlin, Ozawa fut directeur musical de l’orchestre symphonique de Boston pendant près de trente ans avec lequel il grava en compagnie notamment de solistes de légende présents dans ce coffret (Rostropovitch ou Perlman) quelques disques inoubliables.

Brillant héritier de Charles Munch qui l’avait remarqué au festival de Tanglewood, Ozawa développa un attachement profond à la musique française qu’il exprima en compagnie de l’Orchestre National de France ou de l’Orchestre de Paris. Le concerto en sol de Maurice Ravel avec Alexis Weissenberg ou la troisième symphonie de Saint-Saens avec les grandes orgues de la cathédrale de Chartres présents dans ce coffret sont ainsi des moments musicaux uniques.

Ozawa fut également l’un des grands ambassadeurs de la musique contemporaine, de ces XIXe et XXe siècles qui donnèrent tant de génies, d’Igor Stravinsky (magnifique version de l’Oiseau de feu avec le Boston Symphony Orchestra) à Bela Bartok en passant Serge Prokofiev ou Jean Sibelius, et qui révélèrent les grands noms de la musique contemporaine (Wiltold Lutoslawski, Robert Starer, Riodon Shchedrin) qu’Ozawa promut avec le BSO. Il créa de nombreuses pièces (dont le Shadow of Time d’Henri Dutilleux assez exceptionnel), permit à la création musicale de gagner les foules et aux compositeurs d’imposer leurs œuvres au répertoire.

Enfin, le chef d’orchestre nippon fut à lui seul un passeur de musique. Peu nombreux furent les musiciens ayant eu cette influence car non seulement Seiji Ozawa représenta à lui seul la musique classique japonaise mais il constitua également ce trait d’union entre l’Est et l’Ouest, entre le Japon et les Etats-Unis. Avec lui, l’Asie fit son entrée de plein pied dans la musique classique. Son action révéla également de nombreux musiciens, compositeurs ou interprètes (dont Tsumotu Yamashita aux commandes des percussions de l’incroyable Cassiopéa de Takemitsu) et permit à de nombreuses œuvres de voir le jour comme en témoigne le So-Gu II d’Ishii dans ce coffret. A son contact, Tore Takemitsu, autre grande légende de la musique classique japonaise ou la regrettée Masuko Uchioda (magnifique dans le concerto de Bruch), gagnèrent en notoriété.

Voyage planétaire incroyable, ce coffret permet ainsi de redécouvrir avec bonheur et passion la vie consacrée à la musique de l’un des derniers monstres sacrés de la direction d’orchestre.

Seiji Ozawa, The Complete Warner Recordings, Warner Classics, 2015

Laurent Pfaadt