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1794

On le croyait mort et surtout éloigné de cette gangrène politique et
économique qui ronge à petit feu la Suède. Un nouveau roi âgé de
quinze ans vient de monter sur le trône et son oncle, qui assure la
régence, a confié au baron de Reutersholm les rênes d’un pouvoir
qu’il exerce de façon autoritaire en se drapant dans une
pudibonderie écœurante. D’autant plus qu’un crime apparemment
sans importance – une jeune femme massacrée par des loups tout de
même – rappelle à Jean Michael Cardell, le vieux soldat au cuir épais
et manchot, que tout poison a besoin de son antidote. Car l’époux de
la jeune femme, un petit noble idéaliste qui s’est élevé contre la
traite des Noirs à St Barth, ne cesse de se tourmenter à propos de
cet assassinat et semble vouloir révéler quelques vérités. Débute
alors une enquête menée tambour battant à travers les affres de la
mort et les bas-fonds de Stockholm et de St Barth pour un voyage
sans retour dans la noirceur de l’âme humaine.

Après le fabuleux 1793, Niklas Natt Och Dag, lui-même issu de la
noblesse suédoise, récidive avec cette nouvelle enquête de génie où
l’on retrouve avec bonheur quelques personnages de son opus
précédent. En tout cas, tenez-vous le pour dit : l’Histoire constitue le
nouveau terrain de chasse de prédilection pour les loups du polar
scandinave, prêts à dévorer les tripes des lecteurs du monde entier.
Ames sensibles s’abstenir donc…

Par Laurent Pfaadt

Niklas Natt och Dag, 1794
Chez Sonatine éditions, 544 p.

#Lecturesconfinement : L’Empreinte d’Alexandria Marazano-Lesnevich par Marianne Jaeglé

Récit puis déconstruction d’un
fait divers, traversée d’une
histoire familiale qui résonne
avec celle d’un meurtrier, mise en
évidence de la manière dont nous
fabriquons le réel par la
compréhension que nous en
avons, l’Empreinte est un texte
puissamment nouveau et original.


« Il s’agit d’un livre sur ce qui s’est
produit, mais aussi d’un livre sur ce
que nous faisons de ce qui s’est
produit. Il parle d’un meurtrier, il
parle de ma famille, il parle d’autres familles dont les vies ont été
bouleversées par le meurtre. Mais plus que ça, bien plus que ça, il s’agit
d’un livre sur la façon dont nous comprenons nos vies, le passé, sur la
façon dont nous nous comprenons les uns les autres. Pour y parvenir,
nous créons tous des histoires. » Alexandria Marazano-Lesnevich

L’auteure y démontre une maîtrise éblouissante des procédés de
narration. Un livre qui donne envie de tout repenser, à commencer
par la façon dont nous nous racontons notre propre vie.

Marianne Jaeglé est écrivaine et formatrice en écriture. Elle a
notamment publié Vincent qu’on assassine(Gallimard)

L’Empreinte
d’Alexandria Marazano-Lesnevich (Sonatine)
par Marianne Jaeglé

Maudite Albion

La romancière Karen Maitland nous offre un nouveau roman ténébreux.

 sorcière

L’Angleterre en ce début du XIIIe siècle est un royaume abandonné de tous et surtout de Dieu. La France menace et le roi Jean sans Terre, monté sur le trône en 1199, a engagé un bras de fer avec le pape Innocent VIII à propos de la nomination de l’archevêque de Canterbury qui a conduit à l’excommunication du souverain en 1209. Le roi ne bénéficie plus de la protection papale, le clergé quitte le royaume, les terres ecclésiastiques sont confisquées mais surtout le peuple est privé des cérémonies religieuses qui rythment son existence.

C’est dans ces conditions, dans cette atmosphère où le diable semble avoir chassé Dieu d’Angleterre qu’arrive à la cour de Norfolk, une jeune paysanne, Elena, héroïne de ce nouveau roman de l’une des plumes les plus talentueuses du roman historique britannique. A défaut de viatique, cette cérémonie permettant à un mourant de bénéficier de l’eucharistie pour préparer son voyage dans l’au-delà, un rituel baptisé « les mangeurs de péchés » est institué et consiste à prendre sur sa conscience, à recueillir tous les péchés des mourants, y compris les plus inavouables, les plus cruels.

Pensant travailler à la cour du seigneur de Gastmere, Elena va très vite devenir une mangeuse de péchés pour son plus grand malheur. Dans cette ambiance fantastique où le malin est caché dans chaque recoin de ces cathédrales abandonnées, notre jeune paysanne va côtoyer le diable en personne et ses innombrables serviteurs.

Après l’extraordinaire Compagnie des menteurs puis les Ages Sombres, Karen Maitland revient avec ce nouvel opus dans cette Angleterre médiévale où la crasse, le sang et la sorcellerie sont le lot commun des petites gens. Il y a dans la Malédiction du Norfolk une noirceur qui macule aussi bien les murs des châteaux que l’âme de leurs occupants. Avec cette atmosphère de fin du monde et d’hommes et de femmes livrés à eux-mêmes, sans aucune protection divine, face au mal et à la tentation, on sent chez Karen Maitland, l’influence du Moine de Matthew Lewis. La peur est distillée à merveille et permet de tenir le lecteur en éveil si d’aventure, il lui prenait l’envie de ciller. Le fantastique avec ces magiciens et cette sorcellerie comme en témoigne l’ajout de pages de l’herbier de la mandragore à côté de la réalité historique de cet épisode de l’histoire d’Angleterre compose cette ambiance qui a fait le succès des romans précédents de Karen Maitland.

L’auteur décrie et utilise une fois de plus à la perfection, cette religiosité entre christianisme et paganisme qui ont cohabité dans ce Moyen-Age des âges sombres pour reprendre le titre de son second ouvrage qui sort ces prochains jours en poche (Pocket). A cela, celle qui se situe dans la lignée des Ken Follett, des CJ Sansom et des Hilary Mantel, a rajouté une nouvelle intrigue policière qui compose un roman qui vous poursuivra de longues nuits entières après en avoir consumé plusieurs lors de sa lecture.

Karen Maitland, la Malédiction du Norfolk, Sonatine Editions, 2014

Par Laurent Pfaadt

Edition hebdoscope 1010, septembre 2014