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Le sculpteur de glaciers musicaux

Esa-Pekka Salonen

Un coffret magistral revient sur
Esa-Pekka Salonen,
chef et compositeur
d’exception

Il est bien loin où le
visage poupin
d’Esa-Pekka Salonen
s’affichait sur les
pochettes de CD et
où on se demandait
s’il s’agissait du chef ou du soliste. Et pourtant, à l’occasion de son
60e anniversaire, le maestro n’a jamais paru aussi jeune. Jeune dans
sa façon de concevoir la musique, jeune dans son rapport aux
musiciens. Evidemment, les trois grands orchestres qu’il dirigea
dominent ce coffret : l’orchestre de la radio suédoise (1984-1995), le
Philharmonique de Los Angeles pendant dix-sept ans et le
Philharmonia Orchestra de Londres depuis 2008. Ses compères de
toujours sont là pour célébrer cet anniversaire : Yefim Bronfman à
qui il dédia deux concertos, Emmanuel Ax dans Liszt ou le violoniste
chinois Cho-Liang Lin qui nous fait découvrir le concerto de Nielsen.
Cependant, c’est oublier que Salonen reste un chef polymorphe,
capable de diriger avec brio une symphonie de Mahler à la tête d’une
armée de musiciens mais également un orchestre de chambre, en
l’occurrence le Stockholm Chamber Orchestra, où le jeune chef
d’alors déployait dans les symphonies d’Haydn toute cette énergie
et cette sensibilité qu’on lui connaît.

Ce coffret est également un voyage passionnant sur les terres
musicales de sa Scandinavie natale. Jean Sibelius et Carl Nielsen
trônent en majesté. Salonen reste un infatigable défenseur du
compositeur danois avec une intégrale de ses symphonies
enregistrées en compagnie de l’orchestre de la radio suédoise. Les
nombreuses versions de l’ouverture de  l’opéra de Nielsen
Maskarade permettent de mesurer toute la palette et le travail du
chef. Dans Sibelius qu’il mit du temps à apprivoiser – un comble pour
un chef finlandais me direz-vous – Salonen a su parfaitement
combiner cet étrange alliance entre puissance tellurique et fragile
émotion. Sous sa baguette, on découvre également d’autres
compositeurs nordiques nettement moins connus comme Alfven ou
Järnefelt et sa fameuse berceuse. Son interprète, Mats Zetterqvist,
à l’époque premier violon de l’orchestre de la radio suédoise se
souvient : « ce qui m’a le plus impressionné chez Esa-Pekka comme nous
l’appelions, fut son incroyable capacité à appendre les œuvres les plus
complexes »
. Ce dernier confirme d’ailleurs l’extrême rigueur du chef,
son éclectisme et surtout, son humilité. A travers ces
enregistrements parfois hétéroclites, on voyage dans ses univers
musicaux, de Bach jusqu’à l’explosif All Rise de Wynton Marsalis, qui
prépara à n’en point douter le LA Phil à son successeur, Gustavo
Dudamel, en passant par les musiques de films de Bernard
Herrmann ou une forme hybride de musique classique et de variété
avec Anders Hillborg et Eva Dahlgren.

Bien évidemment ses compères et amis compositeurs Kaija Saariaho
et Magnus Lindberg avec qui il fonda en 1977 le Collectif Ears Open
ne sont pas oubliés. A ce titre, le coffret fait une timide incursion
dans l’œuvre d’Esa-Pekka Salonen en proposant ses LA Variations.
Ce travail de compositeur conféra d’ailleurs au chef une attention
toute particulière pour la musique contemporaine – Stravinsky qu’il
a si souvent joué mais également Messian qu’il découvrit à onze ans,
Corigliano ou Takemitsu – et une approche visionnaire de la musique
quand on pense à ses incursions dans le numérique et la réalité
virtuelle.

A l’image d’un Bernard Haitink, comme dans ces incroyables
Métamorphoses symphoniques de Paul Hindemith, Esa-Pekka Salonen
trouve à chaque fois le ton juste, sans vouloir briller au détriment
des musiciens, sans vouloir impressionner son public, sans dénaturer
les œuvres. Il y a une forme d’humilité dans ses conduites, une
humilité devant la musique qui lui confère un rôle de passeur.
L’étoffe d’un grand musicien en somme.

Par Laurent Pfaadt

Esa-Pekka Salonen,
The Complete Sony recordings (1986-2005), 61 CD,
Chez Sony Classical, 2018