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Rome n’est plus dans Rome

BélisaireEssai pertinent autour de la perception de la capitale du monde romain et chrétien.

 

On connait l’histoire : 476 après-J-C, le dernier empereur romain, Romulus Augustule est déposé par le chef barbare Odoacre mettant ainsi fin à l’Empire romain d’Occident. A cette époque, Rome, la ville des Césars, n’était déjà plus que l’ombre d’elle-même. Mise à sac dès 410 par Alaric, le chef des Goths, puis en 455 par les Vandales et en 472 par les troupes de Genséric, elle avait cessé d’être le centre du pouvoir impérial, réfugié à Ravenne. Mais Rome demeura cependant un enjeu de pouvoir durant les dernières décennies de l’Empire et surtout un symbole à conquérir. C’est ce que raconte très bien l’ouvrage d’Umberto Roberto, professeur associé d’histoire romaine à l’Université européenne de Rome, et auteur de ce livre passionnant. Se lisant parfois comme un roman historique avec ses rebondissements, il montre bien que la ville éternelle demeura un enjeu de pouvoir autant que le reflet d’une époque.

Bien entendu, l’ouvrage relate par le menu les grandes batailles de rues, les trahisons et ces épisodes qui ont brisé, humilié la capitale du monde romain et chrétien. Mais le grand intérêt du livre réside dans le fait d’aller au-delà de 476. L’auteur nous explique que les vicissitudes de l’histoire qui frappèrent la ville éternelle reflétèrent l’évolution de l’histoire de l’humanité et les changements d’époques et de paradigmes. Ainsi en se focalisant sur la figure du général romain d’origine barbare Ricimer, Umberto Roberto montre très bien le basculement d’un modèle politique centrée autour de Rome, pivot d’une unité méditerranéenne contrôlée par l’institution impériale, vers un « système d’Etats romano-barbares ». Ainsi, le statut de Rome et sa conception politique et institutionnelle s’en trouvèrent bouleversés conduisant inéluctablement à sa marginalisation.

Cependant nous rappelle Roberto, Rome resta la ville éternelle avec un capital symbolique fort comme en témoigna aussi bien la formidable appropriation de la ville par les papes des premiers siècles transformant «  la capitale du monde romain en capitale de la chrétienté ». Mais également, l’image véhiculée par le sac de 1527 par les troupes de l’empereur Charles Quint, qui apparaissent comme les nouveaux barbares mettant fin à un monde imprégné de l’humanisme de la Renaissance.

Tirant son récit des dernières recherches sur cette époque si troublée des invasions barbares, l’auteur évite tout manichéisme qui a longtemps prévalu entre des barbares assoiffés de sang et des Romains vils et corrompus. Ici, l’opinion est plus mesurée. A travers le prisme de Rome et de son histoire, Umberto Roberto montre avec justesse une réalité plus complexe avec des acteurs réfléchis, nourris de projets politiques construits et antagonistes. Comme il le rappelle à juste titre, les sacs n’ont fait qu’accélérer un processus de transformation inscrit dans l’histoire. Rome, aussi immortelle qu’elle est dans nos cœurs, n’en demeura pas moins mortelle…

Umberto Roberto, Rome face aux barbares, Seuil, 2015.

Laurent Pfaadt