Compagnons

Un film de François Favrat

Enfin un film social qui traite des banlieues sur le mode positif ! On
regrette le manque de films à la Ken Loach en France. Compagnons
est de ceux-là, orienté autour du sens de la fraternité avec une
bienveillance accordée à tous les personnages, même secondaires.
Autour d’Agnès Jaoui et de Pio Marmaï, Najaa, qui porte le film de
bout en bout dans le rôle de Naëlle, est une révélation, ainsi que de
nombreux acteurs non professionnels qui font partie de Bellevue,
une cité de Nantes, et des Compagnons du Devoir dont l’univers
très codé fait la curiosité du film.

© Wild Bunch Distribution

Naëlle se réfugie sur les terrasses de Bellevue où elle laisse libre
cours à son inspiration, taguant les murs de visages énigmatiques
comme l’est le sien, fermé sur un monde intérieur tourmenté. Naëlle
est un corps féminin caché sous des joggings informes avec une
capuche garant d’être passe-partout et invisible. Pourtant, sur le
chantier d’insertion où Naëlle travaille comme maçon, Hélène
(Agnès Jaoui), la remarque et sent le potentiel de la jeune fille. Elle la
présente à Paul, un Compagnon vitrailliste (Pio Marmaï) pour qu’il la
prenne dans son atelier. Naëlle découvre un monde particulier avec
ses règles, ses chansons  et une exigence qui pousse à l’excellence.
Mais la jeune fille s’est mise à dos des dealers du quartier envers
lesquels elle a une dette. Même si l’une des règles veut que l’on
partage ses soucis avec les autres Compagnons, et que la relation
soit basée sur la confiance, elle opte pour la magouille avec la
complicité de ses copains de Bellevue et met en pratique son
nouveau savoir-faire sous le label « Compagnon ».

Les Compagnons du devoir forment les meilleurs ouvriers de France
dans différentes professions manuelles comme toutes celles liées au
bâtiment mais aussi la pâtisserie par exemple. Si les Compagnons
ont conservé les emblèmes du compas et de l’équerre, il ne faudrait
pas les assimiler aux Francs-Maçons avec lesquels il y a eu scission
au Moyen-âge. Leur devise, devenir « capable, digne, libre et
généreux ».  La transmission du métier se fait par l’apprentissage et
la vie en communauté, sous l’égide du parrain qui forme le
Compagnon, le Prévôt qui est le directeur de la maison des
Compagnons et la Mère (la Maîtresse de maison). Les rituels des
Compagnons ont un côté anachronique et le film vaut pour son
incursion dans un monde ignoré où chacun n’est pas désigné par son
nom mais par celui qu’il acquiert : « Même s’il paraît sorti d’un autre
temps, son nom de Compagnon symbolise l’appartenance à la
communauté. Quand il débute son Tour de France, qui consiste à aller de ville en ville pour enrichir son apprentissage, on donne à l’apprenti un nouveau nom, celui de sa région natale (Bordelais pour
Paul ou Bourguignonne pour Hélène). Plus tard, s’il devient vraiment
Compagnon à l’issue de sa formation, on ajoute à ce nom un trait
caractéristique de sa personnalité («Bordelais, cœur fidèle» pour
Paul ; «Bourguignonne l’intrépide» pour Hélène). Pour les jeunes de
quartier, l’effet comique est garanti. » Naëlle porte un regard amusé
sur cette communauté où elle va évoluer sous les ailes protectrices
de Paul son « parrain » qui d’abord misogyne et machiste va réaliser
que la jeune fille est toute autant capable de certaines tâches que les
apprentis garçons. Tel un papillon qui sortira de sa chrysalide, Naëlle
va s’épanouir et surtout apprendre à se faire confiance et à se
considérer. Le lien entre le street-art et le vitrail est la belle idée du
film. Le sens de la fraternité, de l’entraide et la conscience que d’être
issue de la banlieue ne condamne pas à l’échec fait de ce film une
belle leçon d’humanité et devrait réconcilier avec une vision positive
de l’artisanat et des métiers manuels trop souvent dénigrés. Comme
le dit le personnage de Paul : « Ado, j’avais honte, je pensais que
j’étais débile parce que j’étais doué de mes mains ». Pour Agnès
Jaoui : « Tellement de jeunes vivent cette situation… C’est comme
une espèce de malédiction qui pèse sur l’éducation dans notre pays
et dont on n’arrive pas à sortir. S’il n’y avait ne serait-ce qu’un gamin
perdu, dans une banlieue ou ailleurs, auquel le film donne envie
d’emprunter cette voie, on aurait gagné ».

Elsa Nagel