Des cadeaux grands comme des rêves

Wolfgang Volz © Christo

Une magnifique exposition et deux ouvrages de référence
viennent nous rappeler l’œuvre monumentale de Christo

A l’instar de cet arc de triomphe désormais transfiguré, l’œuvre du
génial Christo Vladimiroff Javacheff alias Christo (1935-2020) a
souvent été réduite à un « simple » emballage. Pourtant, il n’en fut
rien, n’en déplaise à ses détracteurs. Et les preuves se trouvent au
musée Würth d’Erstein en Alsace. Pourquoi là-bas ? Car l’industriel
Reinhold Würth, ami du couple Christo-Jeanne Claude possède ce
qui constitue aujourd’hui le fond privé Christo le plus important du
monde et dont cette très belle exposition en est le reflet.

Christo demeure d’abord un artiste inscrit dans une époque, celle
du Paris de la fin des années 50 avec son bouillonnement culturel où
le jeune bulgare subit l’influence d’un certain nombre de courants
notamment celui de la peinture matiériste de Jean Dubuffet. Là-bas,
Christo commença à collecter des objets qu’il recouvrit, en particulier ces bidons que l’on retrouva quelques quarante ans plus
tard dans The Wall. Dans ses dessins absolument stupéfiants, le
visiteur y lit en filigrane la pensée de l’artiste. Les croquis sont
surmontés d’une sorte de cartouche avec des détails techniques et
des échantillons du tissu utilisé. Tout est là pour que rien ne puisse
trahir la pensée de l’artiste. Car la clef de la réussite de chaque
projet tient à la fidélité des installations par rapport à la vision
initiale du maître, quel que soit la complexité de l’opération. Cela
donne des réalisations magistrales telles que The Umbrellas, Joint
Project for Japan and USA 1984-1991, séries de parapluies, bleus au
Japon et jaunes aux Etats-Unis ou Running Fence, cette clôture de 37
kilomètres installée en 1976 en Californie.

Viennent alors les grands projets : celui de The Gates de Central
Park avec ses voiles orange, du Pont-neuf à Paris, du Reichstag qui
suscita tant de critiques et que la monographie de TASCHEN ainsi
que la maquette du musée Würth placent à juste titre comme l’un
des points d’orgue de la carrière de Christo ou du fabuleux lac Iseo
en Italie (The Floating Piers) où les visiteurs, fascinés par tant de
monumentalité et de prouesse artistique, « ont l’impression de
marcher sur l’eau – ou peut-être sur le dos d’une baleine » selon l’artiste.
Les éléments sont transcendés, les repères bouleversés, l’homme
semble alors, le temps d’un instant, pouvoir dépasser sa propre
condition.

L’exposition comme les différents livres rappellent que les
performances de Christo revêtent également une dimension
écologique majeure comme en témoigne l’utilisation de tissus
recyclés (25.000 mètres carrés et 3.000 mètres de corde pour l’arc
de triomphe par exemple). Le projet Surrounded Islands de Biscayne
Bay sur onze îles au large de la Floride servant de décharges, et
choisi à cet effet par Christo, contribua ainsi à l’évacuation de près
de 40 tonnes de déchets. A la Fondation Beyeler à Bâle, les arbres
furent enveloppés avant la floraison du printemps.

Derrière ces chefs d’œuvre se cachent également l’incroyable
détermination d’un artiste, capable de patienter soixante ans
comme à Paris, avant de voir la conclusion de son projet ou de se
lancer dans un nouveau défi après un échec. A Paris où il rencontra
Jeanne-Claude en 1958, le couple n’eut malheureusement pas le
plaisir de voir aboutir leur projet. Restent pour les visiteurs une
image à jamais gravé sur leur rétine et un livre absolument génial qui
revient sur les nombreux dessins, travaux préparatoires et
négociations qui émaillèrent ces soixante années d’obstination. Les
mérites tant de l’exposition que des ouvrages que lui consacre
TASCHEN résident également dans ces différents projets qui n’ont
jamais vu le jour (Whitney Museum, Au-dessus de la rivière
Arkansas, etc…). Ils montrent ainsi que Christo demeura jusqu’au
bout un artiste qui dut convaincre.

« Je n’aurais jamais pensé que cela arriverait un jour… mais je veux que
vous sachiez que nombre de ces projets peuvent être construits sans moi.
Tout est déjà sur le papier » avait un jour dit Christo. Le projet du
Mastaba d’Abu Dhabi composé de bidons de pétrole qui referme le
livre et l’exposition, a, au regard de ces mots, quelque chose de
prémonitoire. Ce vieux projet, débuté en 1976 mais abandonné au
moment de la guerre Iran-Irak (1980-1988), devrait ainsi boucler
cette démarche entamée quelques soixante-cinq ans plus tôt : celle
d’une œuvre permanente qui se veut à la fois la quête artistique
d’une vie, le manifeste d’un homme de son temps et un jalon
civilisationnel comme le fut celui des pyramides d’Egypte. On est
donc bien loin du paquet cadeau…

Par Laurent Pfaadt

© TASCHEN

A voir :
Christo et Jeanne-Claude Collection Würth, musée Würth France, Erstein, jusqu’au 20 octobre 2021
A lire :
Christo and Jeanne-Claude. L’Arc de Triomphe, Wrapped, Paris, 1961-2021, 128 pages, TASCHEN
Christo and Jeanne-Claude, 40th Edition, 512 pages, TASCHEN
Pour aller plus loin :
Andreï M. Paounov, Christo, Marcher sur l’eau, DVD, Dissidenz Films
Jörg Daniel Hissen, Wolfram Hissen, Christo & Jeanne-Claude, L’art de cacher, l’art de dévoiler, à voir sur Arte replay
jusqu’au 13 décembre 2021