Des colombes brisées

Le nouveau roman de Douglas Stuart s’attaque à l’homophobie. Glaçant et magnifique.

Une douceur sur le visage. Voilà la première impression que l’on ressent. Ces derniers jours, le héros du dernier roman de l’écrivain écossais Douglas Stuart, Mungo, a revêtu un visage : celui du jeune Lucas, 13 ans, qui s’est suicidé dans les Vosges, début janvier parce qu’il aimait un garçon. Celui d’une homophobie révoltante, lancinante comme un poison.


Si les usines rouillées de Glasgow ont remplacé les plaines vallonnées de Golbey et que Mungo est un peu plus âgé (15 ans), le poison, lui, est le même. Il imprègne les consciences, se nourrit d’alcool et de misère sociale, les véritables maladies de nos sociétés. Cet alcool qui a corrodé le cœur de la mère de Mungo, Mo-Maw, qui n’est pas sans rappeler l’Agnès de Shuggie Bain, la poussant à abandonner son fils à deux malfrats pour le « guérir » de son homosexualité lors d’une partie de pêche, pour vider son cœur de son amour pour l’ennemi catholique James, ce garçon différent qui aime tant les colombes.

Mungo lui ne se doute de rien. Il est étranger à cette lutte que se livre catholiques et protestants, ces Atrides modernes, entre cités rivales et derbys Celtic-Rangers. Il se plaît à se moquer de ces caïds un peu harlequin. La trame narrative une nouvelle fois menée de main de maître et qui atteste du grand talent littéraire de Douglas Stuart avec ces scènes qui resteront longtemps dans la mémoire des lecteurs en particulier celles entre Mungo et James, embarque son lecteur vers ce lac tout en déroulant le chemin qui y conduit comme un fleuve menant à la mer. Un fleuve empoisonné dont on redoute l’embouchure. La solitude du voyage de l’adolescent sur ce Styx écossais où les enfers semblent être la destination finale est terrible et prenante. Dans notre cœur, les larmes se teintent de colère.

Poursuivant avec Mungo le même sillon littéraire qui lui valut un succès international et le Booker Prize 2020 pour son premier roman, Shuggie Bain qui sort en poche, Douglas Stuart signe bien évidemment un livre d’une puissance inouïe sur l’intolérance. Mais ce dernier va bien au-delà. C’est un cri d’alerte sur la destruction de notre société et de nos valeurs. Une destruction que nous constatons sans rien faire. Un choc littéraire qui pousse le lecteur et le citoyen à s’interroger sur son inaction, sur sa complicité. Pour que ne s’éteignent plus les visages de jeunes adolescents au visage d’ange.

Par Laurent Pfaadt

Douglas Stuart, Mungo, Globe, 480 p.

A lire également : Shuggie Bain, Pocket, 576 p.