Plusieurs enregistrements redonnent vie à la musique de Ravel
La musique de Ravel est venue, ces derniers mois, se rappeler à nous. Tandis que les héritiers du compositeur ont intenté un nouveau procès pour protester contre le basculement dans le domaine public du Boléro, un film est revenu sur la genèse de cette œuvre. Une actualité constituant un merveilleux prétexte pour se replonger dans la musique si unique de Maurice Ravel et notamment son œuvre au piano. Et qui dit musique unique, dit interprète unique avec Keigo Mukawa, pianiste japonais qui nous gratifie, en successeur averti de Martha Argerich et d’Arturo Benedetti Michelangeli d’une intégrale des œuvres pour piano seul du génie de Ciboure. Dans ce double CD, il a réussi non seulement à comprendre et à restituer le phrasé ravelien mais est également entré en empathie avec le compositeur. Cela donne une interprétation proprement exquise notamment un magnifique Gaspard de la nuit ou une Pavane pour une infante défunte de toute beauté. Il rêvait depuis des années d’enregistrer l’intégrale de l’oeuvre pour piano du maître. Et il faut bien dire qu’il a réussi à nous emmener à l’intérieur de celui-ci.
Peut-être que dans ces Miroirs aériens, translucides, Keigo Mukawa a-t-il vu le reflet d’un Arturo Benedetti Michelangeli lors de son enregistrement légendaire du concerto pour piano en sol majeur au Royal Festival Hall de Londres (1982) accompagné du London Symphony Orchestra sous la direction du chef d’orchestre roumain Sergio Celibidache. L’enregistrement était connu mais il n’existait qu’une captation vidéo du concert. Grâce au label The Lost Recordings, expert en renaissance de pépites musicales (classiques et jazz), celui-ci est aujourd’hui accessible et permet d’entrer, le temps d’une pause, dans cette rêverie ouverte dans la marche du temps. La rencontre solaire entre les deux interprètes de génie est absolument géniale. Car Celibidache n’aimait pas les enregistrements et Michelangeli ne libérait son instrument que s’il était certain de l’emmener au firmament. Cette restauration prodigieuse permet de s’absorber pleinement, de s’abandonner totalement à la magie de l’oeuvre, en particulier dans ce très bel adagio qui semble porter en lui l’Histoire avec un grand H après que les deux hommes aient dressé, ensemble, un arc-en-ciel sonore dans l’Allegramente. Dix ans plus tard, Celibidache et Michelangeli allaient reprendre à Munich leur dialogue ravélien sans pour autant retrouver la magie londonienne.
Si ces oiseaux de nuit nous ont quitté, Michelangeli en 1995, Celibidache un an plus tard, leurs colombes musicales sont, en revanche, restées dans l’âme de ces pianos que déploient les pianistes de la nouvelle génération. Et notamment Sofya Melikyan merveilleuse musicienne française d’origine arménienne, qui rend un très bel hommage aux oiseaux tristes de ces mêmes Miroirs dans un album doux comme un rêve enfantin. Avec cette interprétation féerique et pleine de grâce, la virtuose passe allègrement de Déodat de Severac à Frederico Mompou et à ses merveilleuses Scènes d’enfants comme pour nous rappeler l’influence d’un Maurice Ravel demeuré éternel et qui continue, tel un phénix, à enchanter nos nuits.
Par Laurent Pfaadt
Keigo Mukawa, Maurice Ravel, Complete works for piano solo, 2CDs, Etcetera, SOCADISC
Ravel, Piano Concerto in G major, Arturo Benedetti Michelangeli, London Symphony Orchestra, dir. Sergiu Celibidache, The Lost recordings,Sofya Melikyan, Présence lointaine, Rubicon