Des traîtres à notre goût

Les historiens Franck Favier et Vincent Haegele nous proposent à travers une magnifique galerie de portraits, une réflexion sur la trahison


Il y a 200 ans exactement, le 14 mars 1823, disparaissait à Londres, Charles François Dumouriez, ministre des affaires étrangères sous la Révolution et vainqueur de Valmy. Après avoir tenté un coup d’Etat visant à rétablir une monarchie constitutionnelle, il fut obligé de quitter la France. Selon Patrice Gueniffey, auteur du chapitre sur les généraux et la Révolution, « Charles François Dumouriez est certainement l’un des personnages les plus insaisissables de la Révolution » avant de conclure qu’il fut « l’incarnation du traître ».

Ce général félon qui connut gloire et infamie est l’un des personnages qui peuplent cette incroyable galerie de traîtres traversant différentes époques à travers l’Europe et le monde. Du Grand Condé au colonel Redl en passant par le chevalier de Rohan et Vidkun Quisling, homme politique norvégien rallié au Troisième Reich, quelques grandes plumes historiques telles que Didier Le Fur, Thierry Sarmant ou Eric Anceau pour ne citer qu’eux nous offrent leur peinture du traître. Délaissant certaines grandes figures comme Talleyrand ou Fouché, les contributeurs focalisent leur attention sur des hommes moins connus afin d’étayer une réflexion sur la traîtrise.

Le lecteur, lui, chemine dans cette galerie avec, il faut bien le dire, une certaine jubilation. Car le traître intrigue autant qu’il fascine. Il s’arrête devant chaque portrait et le soumet à son sens moral, à son patriotisme, à ses valeurs pour s’ériger en juge. Parvenu au dernier portrait, il s’interroge : mais pourquoi trahissent-ils ? Franck Favier et Vincent Haegele qui ont coordonné l’ouvrage, expliquent ainsi que « les traîtres fascinent, autant par leur infamie que par leur courage d’aller contre une raison impérieuse plus puissante, celle de la morale, s’étant forgé, souvent par autopersuasion, une morale personnelle ».

Mais trahir qui ? Son roi ? Son pays ? Certes, la codification juridique de la trahison tirée du droit romain et appliquée aux guerres de religion, jette les bases avec la grande ordonnance de Blois en 1579 du traître à la patrie mais à y réfléchir de plus près, il y a mille et une raisons de trahir. Trahir pour sauver son roi comme les princes de la Fronde afin de se débarrasser de ces conseillers néfastes que furent les cardinaux Richelieu et Mazarin. « Ma pensée entière, la pensée de l’homme juste, se dévoilera aux regards du roi même s’il l’interroge, dût-elle me coûter la tête » affirma ainsi sous la plume d’Alfred de Vigny, un Cinq-Mars qui traverse brièvement l’ouvrage. Trahir en pensant que le temps jouera en sa faveur, nous donnera raison. Trahir car guidé par la main de Dieu. Les différents auteurs avancent ainsi sur les nombreux chemins de la trahison tout en les inscrivant dans la construction de l’Etat moderne.

On ne naît pas traître, on le devient. Par devoir. Par ambition. Par corruption morale ou financière. Mais également parce que les autres le souhaitent. Et le XIXe nous rappelle Eric Anceau fut le siècle, avec le développement de l’étatisation et des moyens de renseignement et d’information, des complots et de la fabrique des traîtres.

Ces différents exemples témoignent enfin d’une forme d’ego, de ce sentiment unique qui a quelque chose d’inconscient, allié à une démarche à chaque fois personnelle au détriment du collectif et qui parfois, peut-être dans le cas de Dumouriez, préside à toute trahison. Inexpliqué et inexplicable, ce geste reste ainsi entouré d’une fascination demeurée intacte que vient entretenir de la plus belle des manières ce livre passionnant.

Par Laurent Pfaadt

Traîtres, nouvelle histoire de l’infamie, sous la direction de Franck Favier et Vincent Haegele
Passés composés, 272 p.