Dieu au piano

lisztA l’occasion du 130e
anniversaire de la mort de
Liszt, retour sur un génie

Assis sur son trône de pierre
qui surplombe la façade de
l’académie de musique de
Budapest qui porte son nom,
la fameuse Zeneakademia,
Franz Liszt jette un regard
impérieux vers ce Danube qui
a irrigué la musique classique
depuis plusieurs siècles et a
contribué à diffuser son génie
dans l’Europe entière.

C’est à Dobrojan dans la partie hongroise de l’empire d’Autriche que
naît en 1811, Franz Liszt. Très jeune, il montra des dispositions
exceptionnelles au piano et il n’a que onze ans lorsque sa famille
s’installe à Vienne où il suit les cours d’Antonio Salieri. Enfant
prodige, il voyage ensuite longuement en Europe. A Paris, outre les
grands noms de la musique, il fit l’une des plus importantes
rencontres de sa vie : celle de Marie d’Agoult, son grand amour qui
lui donna trois enfants dont Cosima, la future épouse de Richard
Wagner, traçant ainsi de façon indélébile la relation musicale entre
les deux hommes.

A Weimar où il s’installe en 1848, le pianiste se mue en compositeur.
« Pour moi, Liszt appartient à Weimar qui, plus qu’aucune autre ville, lui
donna cette tribune où il put exprimer tout son génie de pianiste, de chef
mais également où il put affirmer sa personnalité »
affirme à juste titre
Kirill Karabits, chef d’orchestre de la Staatskapelle de Weimar. A
Weimar virent le jour notamment les deux concertos pour piano, la
Faust-Symphonie et surtout la sonate en si mineur, point d’orgue
d’une œuvre qui révolutionna le piano et n’eut d’équivalent que celle
de Beethoven dont il fut d’ailleurs l’un des promoteurs. « Nous
pouvons voir dans ses pièces pour piano combien il explora les possibilités
de l’instrument dans sa globalité, atteignant des proportions inégalées
jusque-là. Qu’il s’agisse du son, de la technique, de la palette d’expressions
ou de ses dynamiques, Liszt repoussa les limites de l’instrument dans un
processus de transformation du piano et de son « monde » qui mena à nos
critères modernes »
relève le pianiste Andrei Gavrilov.

Mystique, Liszt multiplia les séjours à Rome et rejoignit l’ordre
franciscain. Avec la ville du pape, Liszt partagea son temps entre
Weimar et Budapest. Puis le compositeur devint pédagogue en
enseignant à l’académie de musique de Budapest qu’il contribua à
fonder en 1875 et qui porte son nom aujourd’hui. L’aura du
compositeur nimbe toujours cette magnifique salle de concert
d’inspiration art nouveau, à l’acoustique exceptionnelle qui vit
passer Bela Bartok, Zoltan Kodaly ou Georg Solti, et qui continue
d’inspirer les musiciens qui s’y produisent. Ainsi Miranda Liu,
concertmaster du Concerto Budapest Symphony Orchestra, l’un des
grands orchestres de la capitale hongroise rappelle que jouer « à la
Zeneakadémia la musique de Liszt qui fonda l’institution est quelque
chose d’unique car sa musique contient tellement de poésie, une
profondeur musicale immense et une grande spiritualité ». 
Ces
sentiments sont d’ailleurs partagés par de nombreux musiciens
ayant interprété cette musique exigeante où les changements de
rythme sont permanents et où la lumière qui s’en dégage ne
s’obtient qu’après avoir vaincu moult difficultés. Ainsi dans le 2e
concerto pour piano, « la grande difficulté est de se sentir à l’aise dans
les transitions »
rappelle Monia Rizkallah, second violon à l’opéra de
Berlin. 

Le génie s’éteignit à Bayreuth en 1886 au lendemain d’une
représentation du Tristan et Isolde de Richard Wagner. Alors que
résonnaient encore les dernières notes de l’une des plus belles
histoires d’amour de l’humanité, les muses venaient de rappeler leur
protégé.

Laurent Pfaadt