Exil blanc

Nicolas Ross achève avec cet opus durant la guerre froide, son histoire de l’émigration russe blanche

C’est ce qui s’appelle une œuvre. Celle d’une vie. Celle d’un exil sans relâche. Celle d’une persécution aveugle. Une œuvre à la poursuite d’un idéal, d’une vision comme boussole. Une œuvre qui s’apparente à la lutte sempiternelle de David contre Goliath.


Avec ce livre qui succède à celui, brillant, des Russes blancs et rouges pendant la seconde guerre mondiale (Entre Hitler et Staline, éditions des Syrtes, 2020), Nicolas Ross, historien spécialiste de l’émigration russe blanche clôt son histoire de ces Russes restés fidèles au tsar et aux valeurs de la Russie d’avant 1917.

La seconde guerre mondiale vient de s’achever et les Russes blancs se sont partagés entre sauver la mère patrie quitte à pactiser avec le diable soviétique et miser sur une défaite et un effondrement du régime qui n’a pas eu lieu. Parmi ceux qui ont choisi cette deuxième voie figurent les partisans d’Andrei Vlassov, ce général soviétique ayant rejoint les nazis à la tête d’une armée russe de libération nationale. Arrêté et livré à Staline, il est exécuté en 1946 tandis qu’autour du général Anton Tourkoul se forme un comité qui cohabite avec d’autres structures notamment la NTS (Union Nationale-Travailliste) dans une difficile structuration que nous décortique parfaitement Nicolas Ross pour comprendre l’organisation de la résistance blanche.

Mais en ces lendemains d’apocalypse, déjà, une nouvelle guerre se dessine. Elle sera froide et l’émigration blanche va représenter un allié de poids dans la lutte planétaire que se livrent Etats-Unis et URSS. Les Américains vont ainsi soutenir massivement l’émigration russe antisoviétique et sa plus importante organisation, la NTS qui a succédée au ROVS décapité avant-guerre par Staline et s’est imposée sur toutes les autres.

Dans ce nouveau contexte, Nicolas Ross nous emmène dans ces lieux de résistance, des officines aux églises orthodoxes, des maisons de retraite que les premiers russes émigrés viennent remplir aux revues littéraires de l’émigration notamment la Nouvelle Revue qui paraît à New York à partir de 1946 et aux appartements clandestins où se cachent les chefs blancs, Gueorgui Okolovitch ou Alexandre Trouchnovitch, traqués par les sbires du futur KGB et leurs alliés, notamment la Stasi. Le livre de Nicolas Ross, déjà passionnant, prend alors des airs de romans d’espionnage lorsqu’il évoque avec, il faut le dire, un suspens non feint, les tentatives d’assassinat contre Gueorgui Okolovitch. Car si les époques ont changé, les méthodes, elles, n’ont guère évolué. Staline a décidé de faire subir à Okolovitch le même sort qu’à Evgueny Miller, enlevé à Paris en 1937. Il a d’ailleurs chargé un élève de Pavel Soudoplatov, son maître espion durant l’entre-deux-guerres, de cette besogne. Mais l’homme a des scrupules et prévient Okolovitch. Ce sera l‘affaire Khokhlov en 1954 qui provoquera un retentissement international. La NTS ne sera d’ailleurs pas en reste et aidée de la CIA et du MI-6, elle tentera à son tour de s’implanter sur le territoire de la mère patrie.

Il faudra attendre encore près de trente-cinq ans pour permettre à ces émigrés et à leurs descendants de rentrer chez eux. Trente-cinq longues années où leurs souffles finiront par s’éteindre dans les maisons de retraite, leurs écrits se tarir dans les revues et leurs enfants choisir la mondialisation comme identité. Avec ce livre qui ne referme pas le tombeau de l’émigration blanche mais bien au contraire l’ouvre sur une histoire dont l’écriture doit assurément se poursuivre, Nicolas Ross rend à tous ces hommes et ces femmes, l’hommage qu’ils méritent.

Par Laurent Pfaadt

Nicolas Ross, Au cœur de la guerre froide, Les combats de l’émigration russe de 1945 à 1960
Editions des Syrtes, 544 p.