Fraternité, conte fantastique

La programmation de la saison nous conduit à découvrir, avec la pièce « Fraternité , conte fantastique » dont elle signe la mise en scène, Caroline Guiela N’Guyen qui vient tout juste d’être nommée directrice du TNS


Fondatrice  en 2OO9 de la Compagnie « Les Hommes Approximatifs »
Caroline Guiela N’Guye n’est pas pour nous une inconnue, puisque, elle était élève de l’Ecole du TNS de 2OO5 à 2008 dans la section
« mise en scène ».

 Et surtout, qu’elle nous avait présenté, ici même, en 2018 « Saïgon », une pièce qui nous avait bouleversés par son côté humain et sa dimension historique.

« Fraternité , conte fantastique » nous touche différemment.

La pièce créée en juillet 2021 au Festival d’Avignon a déjà beaucoup tourné.

 De problèmes humains il en est encore fortement question dans ce nouvel opus mais ceux-ci sont abordés sous l’angle particulier d’une improbable fiction qui met en place la disparition de la moitié de l’humanité lors d’une éclipse d’une rare intensité.

Comment ceux qui ont été épargnés par cette catastrophe vont-ils vivre cette douloureuse, fâcheuse et inattendue absence, de leur famille, de leurs amis ?

Se mettent alors en place des centres de soin et de consolation largement inspirés des centres d’accueil qui, en raison des détresses actuelles, fleurissent autour de nous.

Le dispositif scénique (Alice Duchange) nous montre sur le plateau une grande pièce où vont et viennent nombre de gens qui cherchent à puiser dans ce lieu un peu de réconfort. Se côtoient jeunes, moins jeunes, hommes et femmes que la détresse rassemble et qui essaient de se soutenir comme ils peuvent face à cette épreuve. On sert des cafés, on se prend dans les bras, parfois on se chamaille on y parle plusieurs langues car la catastrophe a touché bien des parties du monde. On erre de ci delà en composant des chorégraphies qui signent ces rencontres aléatoires.

Les yeux braqués sur un écran où figure l’image du cosmos, les gens espèrent qu’une nouvelle éclipse se produira pour ramener vers eux les chers disparus. En attendant cet improbable retour on leur propose d’entrer dans une petite cabine vitrée où, pendant une minute et demie, ils pourront envoyer un message à la personne disparue. Cela donne lieu à des moments pathétiques remplis de déclarions d’amour, de supplications, de larmes et dont ils ressortent désemparés, parfois harassés car, bien sûr, il n’y a pas de réponse, ces moyens technologiques demeurant impuissants à faire le lien tant espéré. Beaucoup d’émotions se lisent sur les visages projetés en gros plan sur un écran en fond de scène. (vidéo Jérémie Scheidler) 

On découvre aussi que le chagrin fait ralentir les battements du cœur et que cela impacte le mouvement des étoiles, éloignant le possible retour de l’éclipse tant souhaitée, ce qui est surveillé par une scientifique de La Nasa qui déambule parmi ces esseulés en uniforme militaire, micro en main et écouteurs sur les oreilles.

Dans une deuxième partie, un autre protocole est proposé à ceux qui ne se résignent plus à attendre et à souffrir. Ils peuvent être reliés à une machine qui a la forme d’un cœur et qui efface les souvenirs trop douloureux. De cruels dilemmes s’ajoutent alors à leur peine : faut-il supprimer certains souvenirs, pourquoi ceux-là plutôt que d’autres ? Là encore le soutien des compagnons de misère est nécessaire. Leurs conseils, leurs encouragements se révèlent précieux, indispensables dans cette confrontation avec la mémoire.

Les treize acteurs, Dan Artus, Saadi Bahri, Boulaina El Fekkak, Hoonaz  Ghojallu ,Yasmine Hadj  Ali, Maimouna Keita, Nanii, Elios Noel, ou Pierric Plathier, Alix Petris, Saaphyra, Vasanth Selvam,  Selvams, Anh Tran Nghia, HiepTran Nghia, professionnels comme amateurs s’engagent avec conviction dans ces rôles de composition répondant ainsi à la demande de la metteure en scène qui considère comme « un désir et une nécessité absolue d’amener sur le plateau des gens qu’on n’y voit habituellement pas ».

La slameuse Saaphyra porte avec fulgurance la peine et l’espoir de tous.

En contrepoint de cette effervescence le très beau chant, très saisissant du contreténor Alix Petris.

C’est le deuxième volet du cycle « Fraternité » commencé en 2020 avec un court métrage « Les engloutis » tourné en prison avec des détenus de la Centrale d’Arles où l’auteure est intervenue pendant huit ans. Un troisième volet intitulé « Kindheitarchive » (Enfance archive) a été créé  en octobre 2022 avec  des comédiennes de la troupe permanente de la Schaubühne de Berlin et parle de l’adoption.

Le prétexte fictionnel de ce conte ne cherche qu’à souligner cette évidence que la puissance des liens au-delà des différences  marque cette fraternité qui ne guérit pas mais allège le poids du chagrin. 

Marie-Françoise Grislin

Représentation du 12 janvier au TNS

A l’affiche jusqu’au  20 janvier.