Franc-tireur et partisan

Deux ouvrages remettent en lumière la figure oubliée du dirigeant communiste et écrivain Jean Kanapa

Bilan globalement positif, soutien à l’intervention soviétique en
Afghanistan, l’attitude de Georges Marchais, secrétaire général du
PCF, restera définitivement ancrée dans un passé stalinien révolu,
figée dans une idéologie d’un autre âge. Pourtant, il en aurait pu être
autrement grâce notamment à Jean Kanapa, son conseiller pour les
affaires étrangères et membre du bureau politique du PCF. Gérard
Streiff, ancien collaborateur de Jean Kanapa et journaliste à
l’Humanité, nous relate ainsi dans un ouvrage passionnant la vie de
ce dirigeant communiste et écrivain accompli, les éditions La
Déviation publiant d’ailleurs l’un de ses romans, la Crise, petit bijou
sentimentalo-politique, paru en 1962.

Cette passion des lettres traça d’ailleurs le fil rouge d’une vie, de son
entrée comme rédacteur en chef de la revue communiste La Nouvelle Critique à ses rapports de politique étrangère qui influencèrent les
grandes lignes idéologiques d’un parti en mutation et en firent un
interlocuteur de choix de la très pointue Foreign Affairs, la revue
américaine de politique étrangère.

Mais d’autres fils rouges, ceux qui séparèrent le PCF de son grand
frère soviétique, constituèrent les grands repères, les frontières de
ce fils d’un banquier juif qui pourtant approuva en 1953, la
répression stalinienne et antisémite des blouses blanches. Devenu
très vite un proche de plusieurs secrétaires généraux et notamment
de Marchais qui le surnomma son « éminence grise », Jean Kanapa
demeura longtemps, dans les cercles politiques français, un stalinien
pur et dur, participant notamment à la chute de Laurent Casanova
après avoir été son « estafette idéologique ». Gérard Streiff décortique
intelligemment l’évolution de cet homme qui souhaita réellement
sortir le communisme français de son impasse idéologique sans pour
autant y parvenir. L’évolution de Kanapa, ce puzzle idéologique
reconstitué par l’auteur est fascinant à suivre. Trop nombreux furent
les hommes du PCF à s’enfermer dans une attitude monolithique
intangible. Avec ce livre et ce travail bénéficiant du recul historique
nécessaire, l’auteur remet un peu d’objectivité et nous permet
d’appréhender à sa juste valeur ces individualités comme Kanapa
qui tentèrent de fissurer le granit communiste.

Ainsi les critiques de Kanapa vis-à-vis d’une URSS enfermée dans la
glaciation mortifère du brejnévisme, son activisme en faveur de
l’eurocommunisme ou la transformation du PCF en parti de
gouvernement attestent de cette indéfectible volonté politique qui
acheva presque de convaincre un Georges Marchais attentif à
l’évolution du parti, mais que la mort de Kanapa stoppa nette.
D’ailleurs, la figure de l’ancien secrétaire général apparaît, dans ce
livre, plus nuancée que l’image que lui, en premier lieu, ainsi que ses
opposants, ont bien voulu donner.

A travers Jean Kanapa, le récit de Gérard Streiff nourri d’entretiens
avec de hauts responsables du parti nous raconte ainsi cette période
charnière de l’histoire, celle d’une époque où le PCF était le premier
parti de France avant d’être supplanté par le PS d’un Mitterrand
lancé dans son inexorable ascension et où le monde était divisé
entre deux superpuissances, les Etats-Unis à l’égard desquels
Kanapa prônait le pragmatisme et cette URSS, cette étoile morte
qu’il qualifia au seuil de la mort, de « gâchis ».

Par Laurent Pfaadt

Gérard Streiff, Le Puzzle Kanapa,
La Déviation, 280 p.

Jean Kanapa, La Crise,
La Déviation, 120 p.