Ils ont changé le monde

Kazimir Malevich, Lady at the Tram Stop, 1913-1914. Collection Stedelijk Museum Amsterdam
Kazimir Malevich,
Lady at the Tram Stop, 1913-1914.
Collection Stedelijk Museum Amsterdam

Le BOZAR consacre
une exposition
lumineuse à l’avant-
garde

Ils s’appellent Pablo
Picasso, Die Brücke,
Robert Delaunay,
Die Blaue Reiter,
Marcel Duchamp ou
Fritz Lang et leurs
réflexions
considérées à
l’époque comme
décalées ou
révolutionnaires
furent en réalité en
avance sur leur temps. Entre 1895 et 1925 et l’émergence du
Bauhaus de Walter Gropius s’élaborèrent de grandes théories
artistiques qui donnèrent naissance à des formes d’art qui allaient
changer à jamais notre approche artistique et bouleverser la
conception que les hommes eurent de leur monde, de leur
environnement et de leur société.

En mêlant comme à son habitude les esthétiques, le BOZAR a voulu
comprendre la genèse, l’élaboration de cette avant-garde mais
également sa diffusion dans l’Europe entière, de cette Allemagne au
carrefour de son histoire politique et artistique à une Russie au bord
de l’abîme en passant par la Belgique de Théo van Doesburg, la
France et une Italie où fascisme et futurisme ne firent qu’un. La
naissance et la diffusion de l’avant-garde russe est à ce titre presque
un cas d’école. Venu de la galerie Tretyakov à qui l’on doit de
magnifiques pièces, le bain des chevaux de Goncharova en 1911 offre
le témoignage d’un monde révolu traversé par une énergie féroce,
celui d’une société paysanne qui se disloque sous l’effet d’un
pouvoir primaire qui prendra la forme de la révolution bolchévique
de 1917 avec son industrialisation à outrance qui hissa en une
trentaine d’années cette société agraire où persistait le servage au
rang de première puissance économique mondiale et en modèle à
suivre et à copier.

L’avant-garde russe ou italienne, avec sa foi inébranlable dans un
progrès basé sur la machine, la vitesse et l’énergie que l’on perçoit
dans les illustrations de Mario Chiattone entraîna le monde dans un
développement urbain jusqu’à la démesure faisant des métropoles
les centres névralgiques du pouvoir humain, illustrées notamment
par un Fritz Lang dans Metropolis et plus tard par un George
Orwell. Car si l’avant-garde a changé le monde, il est légitime de se
demander s’il ne continue pas de le changer aujourd’hui, si la
direction prophétique qu’elle a indiquée aux hommes ne s’est pas
retournée contre eux. C’est peut-être cela le pouvoir de l’avant-
garde, celui dénoncé par Orwell, celui qui a libéré la Russie d’avant
1917 avant de devenir liberticide. On touche là aux limites des
idéologies lorsqu’elles fondent leurs réflexions sur des utopies qui
ne peuvent avoir de matérialisation effective. Cantonnées à l’art,
elles sont encensées. Appliquées à la politique, elles furent souvent
meurtrières.

La ville et sa place est au cœur de la réflexion de l’avant-garde. Et
très vite, les artistes ont perçu ses dangers notamment celui de
l’atomisation de l’individu que l’on trouve dans cette toile de Jakob
Steinhard ou dans ces œuvres inédites de Paul Klee ou d’Egon
Schiele, tirées de collections privées.

Afin de donner plus de relief à ce questionnement, le BOZAR a
demandé à quinze artistes, considérés comme avant-gardistes dans
leur domaine, d’apporter leurs éclairages sur des œuvres de leurs
célèbres aînés. Ainsi, le chorégraphe William Forsythe a installé des
chaînes au sol en invitant les visiteurs à les déplacer avec leurs pieds
pour questionner notre représentation de l’espace. Il a choisi
Marcel Duchamp et son Three Standards Stoppage (1913-1914)
comme miroir de sa conception spatiale, ce même Duchamp qui se
demandait si l’on pouvait « faire des œuvres qui ne soient pas « d’art » ?»
A la lumière de cette exposition, la réponse est clairement oui.
Cependant, il est toujours dangereux d’avoir raison avant les autres.
Pour soi et pour les autres.

Laurent Pfaadt

The Power of the avant-garde, now and then,
BOZAR, palais des beaux-arts, Bruxelles,
jusqu’au 22 janvier 2017