rencontre avec John Woods

« L’Ohio est un reflet plus large de la psyché américaine »

L’écrivain John Woods, auteur du roman noir Lady Chevy (Albin Michel, 2022) qui raconte la dérive d’une adolescente dans un éco-terrorisme sur fond de destruction de l’environnement et de suprémacisme blanc est un enfant de l’Ohio et des Appalaches. Pour Hebdoscope, il évoque son Ohio, celui qu’il décrit et met en scène dans son roman.

Vous vous inscrivez dans une longue tradition d’écrivains venus de l’Ohio

Oui, c’est vrai, de tous les autres écrivains qui viennent de l’Ohio ou qui écrivent sur l’Ohio, mes préférés sont Donald Ray Pollock et Toni Morrison. Tous deux sont d’excellents stylistes avec une belle maîtrise de la langue. Et ils n’ont pas peur de se confronter à la noirceur de la nature humaine. Il est difficile de dire exactement pourquoi l’Ohio est la patrie de nombreux écrivains de ce genre et le cadre de leurs fictions.

Vous êtes vous-même un enfant de l’Ohio

Oui, j’ai grandi là-bas, dans la vallée de l’Ohio, dans une petite ville près de la rivière Ohio, dans les bois des contreforts des Appalaches. C’est ma patrie, un endroit que je connais intimement et qui m’a profondément façonné, moi et mon écriture. C’est le cadre naturel de mes histoires où mon esprit et mon cœur sont enracinés.

Mais comme j’ai grandi dans les Appalaches, je ne me suis jamais vraiment considéré comme un Ohioan à part entière. La vallée de l’Ohio est un monde hybride et possède une atmosphère particulière, une communauté et une culture agraires qui ont fusionné avec l’industrie. C’est le pays du charbon et maintenant de la fracturation, de vallées et de forêts profondes, de collines ombragées. Tout cela crée une atmosphère mystérieuse, une beauté énigmatique et sombre.

C’est aussi une terre très religieuse

Oui, tout à fait. Comme dans de nombreuses communautés des Appalaches, le calvinisme est très présent. J’ai grandi au sein de l’Église presbytérienne et, bien que je ne sois plus croyant, cette vision particulière du monde et sa conception de la nature humaine m’ont toujours paru exactes. Vous pouvez d’ailleurs en voir la manifestation dans ces communautés rurales, ce que j’appelle un fatalisme sinistre et une résilience animée non pas par l’espoir mais par la perspective lointaine de l’espoir. Tout cela a influencé mon parcours d’écrivain et se reflète dans les histoires que je raconte.

En quoi l’Ohio est-il différent des autres Etats des Etats-Unis ?

Je pense que l’Ohio, en tant qu’État, est extrêmement distinct en Amérique. C’est une véritable frontière historique, l’une des premières frontières expansionnistes après notre révolution puis celle entre le Nord et le Sud et c’est aujourd’hui la porte d’entrée du Midwest. Son fondement est un mélange de nombreuses cultures d’immigrants, notamment des Allemands, des Écossais, des Irlandais et des Italiens qui ont été les premiers à s’installer dans la région. Il me semble utile de conceptualiser l’Ohio comme la première frontière de l’expansion occidentale des États-Unis. Son histoire avec les premières tribus amérindiennes est extrêmement violente et sanglant. Pourtant cette histoire est pratiquement oubliée dans la culture populaire et il n’y a pas une seule réserve amérindienne dans l’Ohio. Cela me semble important pour comprendre la nature de l’Ohio, et je pense que c’est aussi un reflet plus large de la psyché américaine.

Est-il un concentré des maux de l’Amérique ?

Je ne pense pas que l’Ohio soit nécessairement le lieu où tous les « problèmes » de l’Amérique se rassemblent ou trouvent leurs origines. En revanche, je pense que l’Ohio constitue le fidèle reflet de nombreuses forces politiques et culturelles qui se manifestent dans le pays. Cela est lié à l’histoire de l’Ohio ainsi qu’aux nombreuses fusions entre l’agriculture, l’industrie et la culture. L’Ohio est ainsi un véritable mélange de nombreux éléments américains.

Interview par Laurent Pfaadt

John Woods, Lady Chevy, traduit par Diniz Galhos
Chez Albin Michel, 464 p.