Jeu blanc – Obasan

Les deux faces de la même médaille,
celle du racisme canadien à
l’encontre des étrangers et des
Amérindiens. D’un côté le récit
familial d’une canadienne d’origine
japonaise, Naomi Nakane, enfant de
déportés japonais de Colombie-
Britannique forcés de travailler
dans les champs de betteraves de
l’Alberta. De l’autre, l’assimilation
forcée de Saul Indian Horse dans
ces internats des années 1970 où
son indianité fut méprisée. Deux
êtres suspectés d’être des menaces
pour la nation canadienne. Mais un seul destin, celui d’avancer
coûte que coûte. Chacun y développa ses armes : le hockey sur
glace, véritable sport national au Canada dont Saul Indian Horse
devint vite un prodige. Le travail de mémoire pour Naomi. Leurs
combats oscillèrent en permanence entre résilience et déchéance.
Ici, plus qu’ailleurs, l’expression « l’enfer c’est les autres » prend
tout son sens.

Les deux écrivains récompensés pour leurs ouvrages ont tirés de
leurs existences matières à leurs littératures. Deux plumes pour
tracer ce même destin : celle tranchante comme une lame de patin
à glaces pour Wagamese et celle plus ronde et plus méditative de
Kogawa. Leurs récits s’appuient sur deux inoubliables
personnages : la grand-mère de Saul Indian Horse, gardienne de
ces légendes indiennes sur lesquelles Saul allait bâtir la sienne et
Aya l’« Obasan » de Naomi, cette tante que la déportation a
plongée dans le mutisme. La tolérance canadienne n’a pas toujours
été une évidence et conduisit Naomi et Saul à une vie de nomade.
Des excuses officielles concernant le drame des autochtones ont
été nécessaires et aujourd’hui des applications financées par l’Etat
et conçues en partie par Joy Kogawa permettent d’éclairer cet
épisode oublié de la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui, le
Canada tente de réparer ces injustices qui, tel un fleuve
infranchissable, traversent les deux livres. Et la littérature est là
pour dire ce qui a été mais surtout, en ces temps de
bouleversements migratoires, pour éviter que l’histoire ne se
répète une énième fois.

Par Laurent Pfaadt

Richard Wagamese, Jeu blanc,
Chez 10/18, 264 p.
Joy Kogawa, Obasan,
Livre de poche, 408 p.