Koudelka, chercheur d’étoiles mortes

Magnifique monographie de Josef Koudelka, le photographe qui couvrit le printemps de Prague

A l’instar de tous les grands photographes du 20e siècle, il fut l’œil d’une photo, d’un instant, celui de cet homme devant un char soviétique lors du printemps de Prague en 1968. Et pourtant rien de prédestinait ce photographe autodidacte tchèque à passer à la postérité de cette façon. La veille de l’invasion des troupes soviétiques venues réprimer ce socialisme à visage humain, Josef Koudelka se trouvait en Roumanie, à immortaliser une population rom qui constitua l’autre grande thématique de son œuvre. Deux jours pour décider d’un destin. Deux comètes d’une constellation, de ces constellations que raconte le très beau livre des éditions Noir sur Blanc en marge de l’exposition que le musée Photo Elysée de Lausanne consacre à Koudelka.


CZECHOSLOVAKIA. Prague. August 1968. Invasion by Warsaw Pact troops in front of the Radio headquarters.

Aujourd’hui, Josef Koudelka est célébré dans le monde entier. On ne compte plus les musées qui ont mis en avant son travail et que le lecteur retrouvera dans ces portefolios qui évoquent les grands thèmes du photographe : Invasion 68 bien évidemment mais également sa photographie du théâtre tchèque qui signa son entrée dans l’art du 20e siècle, le désormais culte Gypsies que le MOMA exposa en 1975 ou le très beau Exils venant consacrer deux décennies de travail sur l’ensemble du globe.

Josef Koudelka, Italie, 1986
© Josef Koudelka/Magnum Photos, courtesy of the Josef Koudelka Foundation

En se basant sur un certain nombre de planches contacts parmi les 30 000 qu’il a laissé, le livre montre également que Koudelka fut plus qu’un simple photographe. A l’image d’un Henri Cartier-Bresson dont il fut l’ami – les photographies présentées témoignent d’une véritable complicité – Koudelka doit être considéré comme un artiste à part entière. Son travail porta autant sur son rapport intime à l’image que sur l’utilisation des archives ou du livre comme mode d’expression artistique. Car à y regarder de plus près, Koudelka fut ce photographe des étoiles mortes. Celle d’un empire soviétique bien évidemment qui l’ignorait alors et dont les négatifs furent exfiltrés aux Etats-Unis, chez Magnum qui les publia anonymement en 1969. Koudelka dut attendre 1984 et un exil vers le Royaume-Uni pour révéler qu’il en était l’auteur. Celle de ses Roms dont l’identité était menacée par les politiques d’assimilation des pays d’Europe de l’Est. « Il a dit avoir toujours été attiré par ce qui se termine, ce qui n’existera plus » rappelle Stuart Alexander, membre du conseil d’administration de la fondation Koudelka à Prague. Avec les Roms que Koudelka photographia parfois pour la première fois, ce dernier développa une vision personnelle sans aucune visée ethnologique. Il passa du temps avec eux afin de se faire accepter et leur offrit ses clichés qui devinrent pour eux de véritables icônes et valurent à Koudelka le surnom d’Ikonar, « le faiseur d’icônes ».

Aujourd’hui, cette monographie, peut-être l’une des plus belles parmi les trente-cinq qui lui furent consacrées, nous révèle un artiste majeur, « iconique » dirions-nous tant les photographies de ce bras montrant l’heure ou de cette Irlande 1976 (Exils) semblent appartenir à un patrimoine mondial. Koudelka estimait d’ailleurs en 1990 que « ce qui est important dans les photographies, ce n’est pas de savoir qui est russe ou qui est tchèque. Ce qui est important, c’est qu’une personne ait une arme et que l’autre n’en ait pas. Et celle qui n’en a pas est, en fait, plus forte, même si cela ne saute pas aux yeux ». En parcourant ce livre, on comprend pourquoi.

Par Laurent Pfaadt

Josef Koudelka, Ikonar, Constellations d’archives, préface de Tatyana Franck, textes de Stuart Alexander et Lars Willumeit
Aux éditions Noir sur Blanc, 268 p.

A voir :

Josef Koudelka. Ikonar. Constellations d’archives, musée Photo Elysée, Lausanne
Jusqu’au 29 janvier 2023