La comtesse aux pieds nus

Patricia Kopatchinskaja en répétition (© Emilie Dubrul)
Patricia Kopatchinskaja en répétition
(© Emilie Dubrul)

Magnifique concert de Patricia Kopatchinskaja à l’auditorium de Bordeaux

Il y a des concerts qu’il ne faut
surtout pas manquer dans une
saison. Celui qui réunissait dans la
magnifique salle de l’auditorium
de Bordeaux à l’acoustique
incomparable, la violoniste
Patricia Kopatchinskaja, le chef
polonais Vladimir Jurowski et le
Chamber Orchestra of Europe
représenta un de ces instants
magiques que l’on ne regrette pas.
Car ce soir-là, le public n’était pas au bout de ses surprises.

La première fut le remplacement du chef, souffrant, par le Français
Thierry Fischer, ancienne flûte solo de l’orchestre passée à la
direction notamment à la tête de l’orchestre symphonique de l’Utah.
Fin connaisseur de la maison COE, il prit très rapidement ses
marques. Et si Jurowski était absent, il avait concocté une autre
surprise à destination du public, la dixième symphonie pour
orchestre à cordes de Mieczyslaw Weinberg. Injustement reconnu,
Weinberg, dont la production musicale est considérable et peut
parfois être hermétique, a ouvert cette soirée avec une œuvre en
forme de course à l’abîme. Porté par des cordes très en verve et
notamment les solistes de chaque section (Loranza Borrani, Scott
Dickinson, Richard Lester et Enno Senft), cette symphonie
néobaroque qui s’ouvre avec un concerto grosso monta lentement
en tension jusqu’au cinquième mouvement qui s’apparenta à une
course folle s’achevant dans un gouffre. L’orchestre exploita
parfaitement le dialogue incessant entre chaque section qui
structure l’œuvre.

C’est alors qu’arriva Patricia Kopatchinskaja qui tira le public des
ténèbres dans lesquels nous avait plongé Weinberg. Pieds nus
dissimulés sous son ample robe rouge, la soliste moldave avait
emmené avec elle le deuxième concerto pour violon de Serge
Prokofiev. Avec sa virtuosité exceptionnelle, Patricia Kopatchinskja,
« PatKop », entra immédiatement dans ce concerto composé en
1935 en y faisant briller son lyrisme qui ne demandait d’ailleurs qu’à
être exalté par une main aussi experte. La complicité avec le
Chamber Orchestra of Europe fut immédiate, la soliste faisant
parfois signe d’entrer dans l’orchestre pour l’enjoindre à la suivre.
Après Weinberg et avant Beethoven, le concerto de Prokofiev
montra – s’il en était encore besoin – toute la plasticité de l’orchestre
et sa grande maîtrise des rythmes mélodiques (cordes et bois au
premier mouvement ou percussions dans le finale) qui lui donne, à
chaque concert, ce caractère incroyablement organique.

PatKop ne laissa personne insensible, bien au contraire. Avec son air
à la fois passionné et mutin, elle accompagna un orchestre envers
lequel elle entretient une affection évidente et qu’elle exprima aussi
bien dans cette partie soliste absolument géniale où elle livra cette
liberté et cette sensibilité contenues dans l’œuvre de Prokofiev que
dans ce finale et cette danse ensorcelante avec les percussions.
Cette liaison ne pouvait s’arrêter sitôt la dernière note jouée et
quelques baisers signés Ravel et Bartok avec le violoncelle solo et le
premier violon en guise de bis vinrent conclure, pour un temps, cette
lune de miel.

Les spectateurs n’étaient définitivement pas au bout de leurs
surprises. Car Patricia Kopatchinskja débarqua chez les violons en
tenue de musicienne d’orchestre pour suppléer l’une de ses amies
souffrantes dans une septième symphonie de Beethoven d’une
puissance parfaitement maîtrisée. Ce fut la surprise finale, celle
d’une artiste au talent incroyable qui a montré à tous que génie et
humilité n’étaient pas incompatibles.

Laurent Pfaadt