La désindustrialisation de la France 1995-2015

Alors que se profile déjà une rentrée économique compliquée, l’essai de Nicolas Dufourcq mérite assurément une lecture attentive afin de comprendre l’état industriel de la France. Le directeur général de la BPI (Banque Publique d’Investissement) revient dans ce livre alliant pédagogie et expertise sur ces vingt années où la France a opéré des mutations industrielles majeures.


La désindustrialisation est ainsi devenue, depuis près de quarante ans, un argument servant à traduire le déclin économique de la France. Il recèle tout à la fois des sentiments de déclassement, d’inéluctabilité et d’impuissance politique. Rien de tel donc que la lecture de cet ouvrage qui se veut à la fois leçon économique, politique et sociétale. En revenant ainsi sur les grandes étapes de ce phénomène qui ne toucha pas que la France, l’auteur met ainsi en exergue certains moments-clés comme la mise en place des 35 heures, l’adoption de l’euro ou le phénomène des délocalisations pour entrer dans le fond des sujets en convoquant notamment de grands témoins. Par la même occasion, il déconstruit quelques idées reçues véhiculées par une classe politique qui vit dans ce même phénomène toute la démagogie qu’elle pouvait en retirer. Ainsi François Villeroy de Galhau passé par les cabinets de Pierre Bérégovoy et Dominique Strauss-Kahn, aujourd’hui gouverneur de la Banque de France, estime que « le problème, c’est que nos choix économico-politiques ultérieurs n’ont pas été cohérents mais il serait faux de dire que l’euro porte la responsabilité là-dessus » à propos de la monnaie unique, principale accusée de la désindustrialisation de notre pays dans la bouche d’une partie de la classe politique.

La grande plus-value de l’ouvrage réside assurément dans ces témoignages que l’auteur a recueillis et qui viennent donner du poids à la théorie. Politiques, entrepreneurs, syndicalistes, banquiers et fonctionnaires exposent ainsi leurs visions de la désindustrialisation. La parole donnée aux entrepreneurs est particulièrement instructive puisque l’auteur ne s’est pas contentée d’interroger les grands patrons mais est également allé voir des entrepreneurs locaux tel Bruno Lacroix, de Lacroix Emballages dans l’agroalimentaire qui estime que les 35 heures ont porté atteinte à la valeur du travail dans notre pays, valeur aujourd’hui déconsidérée. Les patrons, s’ils condamnent le manque de clairvoyance et d’anticipation de responsables politiques plus soucieux de la justification de leurs actions, font également preuve d’une autocritique assez remarquable.

Alors la partie est-elle perdue ? « Une chose est claire : on ne reconstruira pas ce qui a disparu. On inventera autre chose » écrit Nicolas Dufourcq en évoquant quelques pistes comme la French-Tech ou la transition structurelle liée à la décarbonisation et à la digitalisation de notre économie. Ce livre est donc autant un essai historique qu’un ouvrage de prospective. « Il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France sera sauvée ! » disait Danton. Aujourd’hui plus que jamais, cette maxime est d’actualité. Et ce livre devrait, collectivement, nous y aider.

Par Laurent Pfaadt

Nicolas Dufourcq, La désindustrialisation de la France 1995-2015
Aux éditions Odile Jacob, 384 p